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Niveaux d'investissements nécessaires pour s'adapter au réchauffement climatique, en comparaison des investissements actuels, par secteur © AFP Valentin RAKOVSKY

Les promesses « creuses » entrainent la planète vers un réchauffement désastreux de 3 °C, mais le monde a encore une chance d’éviter le pire : transformer radicalement l’économie et faire plafonner les émissions d’ici moins de trois ans, en commençant par se désintoxiquer des énergies fossiles.

Le troisième volet de la trilogie scientifique des experts climat de l’ONU (Giec) publié lundi ne laisse pas de place au doute : « C’est maintenant ou jamais », résume Jim Skea, coprésident du groupe ayant produit cet opus de près de 3 000 pages. Sans une réduction « rapide, radicale et le plus souvent immédiate » des émissions de gaz à effet de serre dans tous les secteurs, il ne sera pas possible de limiter le réchauffement à +1,5 °C par rapport à l’ère préindustrielle, ni même à +2 °C.

Les États s’y sont pourtant engagés en signant l’accord de Paris, mais ils ne sont pour l’instant pas à la hauteur de l’enjeu, alors qu’un réchauffement de +1,1 °C rend d’ores et déjà « très vulnérable » la moitié de l’humanité, frappée par des canicules, sécheresses, tempêtes et inondations qui se multiplient.

« Certains gouvernements et responsables d’entreprises disent une chose et en font une autre. Pour le dire simplement, ils mentent », a d’ailleurs dénoncé le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres en qualifiant « d’accablant » ce nouveau rapport du Giec, après les deux précédents qui avaient souligné l’accélération du réchauffement et l’ampleur sans précédent de ses impacts.

Sans un renforcement des politiques actuelles, le monde se dirige vers un réchauffement de +3,2 °C d’ici 2100. Et même si les engagements pris par les États étaient tenus, le mercure monterait de +2,8 °C, alors que chaque dixième de degré supplémentaire provoque son lot de nouvelles catastrophes climatiques.

Pour ne pas aller droit vers cet avenir de souffrances, il faudrait que les émissions atteignent leur pic avant 2025, dans moins de trois ans, et diminuent de près de la moitié d’ici 2030 par rapport à 2019, selon le Giec.

« Nous sommes à un tournant. Nos décisions aujourd’hui peuvent assurer un avenir vivable », insiste le patron du Giec Hoesung Lee, assurant que ce nouveau rapport donne les « outils » pour le faire.

Des outils que « les nations du monde doivent être assez courageuses pour utiliser », a réagi le secrétaire d’État américain, Anthony Blinken.

Pour respecter +1,5 °C, l’usage du charbon sans capture de carbone (une technologie non mature à grande échelle) devrait être totalement stoppé et ceux du pétrole et du gaz réduits de 60 % et 70 %, respectivement, d’ici 2050 par rapport au niveau de 2019. 

Un scénario qui prend une lumière particulière avec la guerre en Ukraine qui expose la dépendance des économies aux énergies fossiles, dénoncée de longue date par les défenseurs du climat.

« Cela me brise le cœur, en tant que militante climat ukrainienne, de vivre une guerre qui porte en son cœur l’argent des fossiles », a commenté Olha Boiko, membre du Climate Action Network. 

« L’argent que nous avons supplié de ne pas investir dans l’énergie sale vole désormais au-dessus de nos têtes sous forme de bombes ».

Au-delà de l’énergie, qui représente environ un tiers des émissions, tous les secteurs (transports, industrie, agriculture, bâtiments…) doivent également entamer leur mue rapide, de la réduction de la déforestation à la rénovation énergétique des logements, en passant par l’électrification des véhicules.

Sans oublier le déploiement de méthodes de captage et de stockage du carbone qui seront « inévitables » pour parvenir à la neutralité carbone, qui doit intervenir au début des années 2050 pour respecter +1,5 °C.

Pour la première fois, les experts de l’ONU consacrent également un chapitre entier à la demande, estimant qu’agir sur ce levier, notamment sur les comportements des consommateurs, pourrait réduire les émissions de 40 à 70 % d’ici 2050.

Alors que tous ces sujets touchent à l’organisation même de nos modes de vie, de consommation et de production, dans des pays aux ressources et au niveau de vie différents, l’approbation ligne par ligne, mot par mot, du « résumé pour les décideurs » d’une soixantaine de pages a débordé de plus de 48 heures sur les deux semaines prévues.

« Mettre d’accord la communauté scientifique et les gouvernements sur le résumé pour les décideurs n’a pas été facile, ce qui prouve une chose plus que tout : le temps des décisions est venu », a commenté Elmar Kriegler, l’un des auteurs.

Les signataires de l’accord de Paris se sont engagés fin 2021 à renforcer leurs ambitions d’ici à la prochaine conférence climat de l’ONU (COP27) en Égypte en novembre.

Mais pour les pays les plus vulnérables, la responsabilité vient avant tout des plus grandes économies.

« Les principaux pays émetteurs – en particulier le G20 – doivent répondre à la crise qui s’aggrave avec l’urgence qu’elle requiert. Et pas seulement par des objectifs sur papier et des promesses creuses », a réclamé Walton Webson au nom de l’alliance des petits États insulaires (Aosis).

« Des demi-mesures ne réduiront pas de moitié les émissions d’ici 2030 », a insisté de son côté Inger Andersen, la patronne de l’ONU-Environnement. « Nous devons y aller à 100 % ».

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Les différentes façons de réduire son empreinte carbonne dans le gestes quotidiens, notamment dans les domaines des transports, du logement et de l'alimentation © AFP Jonathan WALTER