Le fémur d’un sauropode vieux de 140 millions d’années retrouvé en Charente
Publié le - par le blob avec l'AFP
Pour sa dixième campagne de fouilles, l’équipe de paléontologues d’Angeac-Charente, près d’Angoulême, est de nouveau tombée sur un os, et quel os : un colossal fémur de dinosaure de 2 mètres et 400 kilos, en très bon état malgré ses 140 millions d’années.
« C’est un beau cadeau d’anniversaire », sourit Jean-François Tournepiche, conservateur du musée d’Angoulême et coordinateur des opérations dans « un des plus grands sites européens à dinosaures ». C’est déjà la découverte en 2010 d’un fémur de sauropode, dinosaure géant herbivore et quadrupède, qui a fait naître la réputation de cet endroit « unique », véritable joyau du crétacé inférieur, situé entre Cognac et Angoulême, à proximité du fleuve Charente et en plein vignoble.
Depuis les débuts des fouilles, Angeac est un gisement inépuisable : environ 7 000 pièces et 70 000 fragments mis au jour, sur 750 m2, selon Ronan Allain, paléontologue au Muséum national d’histoire naturelle à Paris. « C’est blindé d’os », se régale ce rare spécialiste français des dinosaures. Il aime à comparer le site à une « scène de crime » qu’il faut exhumer pour l’analyser aux fins d’« enquête policière ».
Une enquête qui n’est pas prête d’être bouclée vu la richesse des lieux. À Angeac, c’est tout un écosystème qui apparaît grâce aux gestes attentionnés et précis d’une quarantaine de personnes, bénévoles, étudiants et professionnels : de la végétation, des invertébrés et déjà 45 espèces de vertébrés, dont plusieurs de dinosaures, notamment les derniers stégosaures connus et des ornithomimosaures (dinosaure-autruches), sans compter le sauropode géant.
Il y a 140 millions d’années, c’était un environnement très humide, subtropical, « un peu comme les bayous du sud des États-Unis », dit M. Tournepiche. « Il y avait un cours d’eau et de grands conifères, poursuit M. Allain. Batraciens, crocodiles, tortues et poissons vivaient dans ce marécage. Sur la terre ferme, des dinosaures petits et grands. C’était un site vivant ». Grâce à de patientes analyses en laboratoire, la science aidera à reconstituer l’« immense puzzle » que les fouilles mettent au jour. « Mais encore faut-il avoir toutes les pièces », souligne M. Tournepiche.
« Vrai trésor national »
La dernière découverte en date, un fémur gauche, est d’autant plus remarquable qu’elle est en cohérence avec d’autres gros os trouvés à proximité dans un ensemble – encore incomplet – qui est « probablement » l’arrière-train d’un sauropode, une bête « qui devait faire une trentaine de mètres de long » selon M. Allain. « Plus grand et plus robuste qu’un diplodocus », ajoute M. Tournepiche.
La belle surprise est venue la semaine dernière lorsqu’un jeune doctorant, Maxime Lasseron, a commencé à gratter un « bout d’os » qui allait devenir le monumental fémur. Il paraît d’abord un peu abîmé, mais se révèle vite un morceau de choix : « Avec les autres, on se demandait quand on en verrait la fin. On se disait : Oh, il y en a encore ! C’est quoi comme os ? Pourvu qu’il soit entier ! » « Cela m’a coûté cher, car j’avais promis le champagne s’il était entier », s’amuse Jean-François Tournepiche.
Ce fémur « est vraiment unique de par sa qualité de préservation, sa fossilisation parfaite, explique Ronan Allain. Il sera plus pertinent au niveau scientifique (que celui de 2010) ».
En comparant les deux fémurs, dit le paléontologue, on pourrait apprendre s’il s’agit du même animal ou de la même espèce de sauropode, s’ils étaient contemporains, s’ils vivaient ensemble, etc. Et en analysant cet « arrière-train », « on va pouvoir reconstituer la masse musculaire de l’animal, étudier la façon dont il se déplaçait », renchérit M. Tournepiche.
Le site d’Angeac est un « vrai trésor national » qui l’a déjà beaucoup gâté, mais maintenant Ronan Allain « rêve secrètement » d’y trouver des éléments de squelette d’un dinosaure carnivore. Cette quête aboutira peut-être, car la durée de vie du site charentais vient d’être prolongée : les carrières Audouin, propriétaires des lieux, ont offert aux paléontologues 4 000 m2 de plus à gratter. « Un deuxième cadeau d’anniversaire pour nos 10 ans », glisse Jean-François Tournepiche. « On est occupé pour 30 ans ! »