Les bébés commencent à prononcer leurs premiers mots vers un an et demi, et leurs premières phrases dans l’année qui suit. Mais – fait surprenant – ils acquièrent les bases de la grammaire de leur langue maternelle dès huit mois ! Ils sont en effet capables de distinguer les mots dits « de fonction » (le, une, que…), très fréquents, des mots dits « de contenu » (table, chocolat, étoile…) avant même d’acquérir l’usage de la parole.

Pour en arriver à cette conclusion, trois chercheuses du Centre de neurosciences intégratives et cognition (CNRS/INNC/Université de Paris) ont étudié le comportement de 175 bébés âgés de 7,5 à 9 mois. Tout le challenge était de pouvoir étudier des sujets ne parlant pas encore face à des stimuli oraux.

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Un enfant participant à l'expérience © Caterina Marino / CNRS / INCC

Pour résoudre cette problématique, les trois scientifiques ont réalisé une expérience se déroulant en deux étapes.

« firugepefidugemufirigeki »

Durant la première phase de l’expérience, dite « de familiarisation », le bébé et son parent entrent dans une salle munie d’écrans. Les chercheuses émettent alors des phrases reproduisant une sorte de mini-langue inventée, avec des syllabes très fréquentes (« fi » et « ge ») et d’autres syllabes moins fréquentes (« ru », « pe », « du », « mu », « ri », « ki », etc.). Par exemple, la séquence « firugepefidugemufirigeki ». En parallèle de ces phrases, elles affichent une lumière clignotante à droite ou à gauche des écrans qui suit le regard du bébé. Inconsciemment, l’enfant comprend que, s’il tourne le regard, la lumière est toujours présente.

Durant la seconde phase, dite « de test », elles font apparaître une lumière d’un côté des écrans. Dès que l’enfant la regarde, une phrase commence. Puis dès que l’enfant s’en désintéresse et tourne la tête, le son s’interrompt. Elles font alors réapparaître la lumière de l’autre côté, avec une nouvelle phrase. Et ainsi de suite.

En tout, l’expérience dure entre 5 et 6 minutes. « Grâce à ce système combiné “son-lumière”, et au temps de regard des bébés, nous avons pu estimer les préférences des enfants pour tel ou tel type de phrase », explique Caterina Marino, post-doctorante et co-auteure de l’étude.

Les mots "de fonction" sont les derniers appris 

Les chercheuses ont réalisé leurs expériences avec des enfants issus de parents francophones. Elles ont testé deux types de typologies de phrase. Celle qui ressemble au français, avec les mots fréquents – dits « de fonction » – en début de phrase et celle qui s’éloigne de la structure grammaticale française, avec les mots fréquents en fin de phrase. « Nous avons constaté que le temps de regard était plus long lorsque les mots fréquents étaient en début de phrase. Cette structure était donc plus appréciée des bébés, analyse Caterina Marino. Un résultat qui nous permet de conclure que les bébés sont capables de reconnaître des éléments caractéristiques de leur langue maternelle, à savoir, ici, la position des mots dans les phrases. Certains automatismes de la langue sont donc compris avant même que l’enfant ne sache parler ! »

Autre fait que Caterina Marino tient à souligner : « Par ailleurs, ce qui est fascinant, c’est que ces petits mots de fonction sont ceux que les enfants apprennent à dire en dernier, car ils sont moins importants. À titre d’exemple, les enfants disent Pomme avant de dire la pomme ou une pomme ».

Des études similaires ont été faites avec des bébés japonais, turcs et basques. Dans leur langue, l’ordre des mots « de fonction » et « de contenu » est inversé par rapport au français. Et les résultats sont similaires : les bébés préfèrent les structures grammaticales caractéristiques de leur langue maternelle.

L’équipe veut maintenant savoir à quel fréquence ces mots « de fonction » doivent apparaître pour être bien reconnus par les bébés en tant que tels. Elles ont déjà commencé les expériences et publieront les résultats dans quelques mois.