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L'éléphante Marguerite dans la nef du Musée d'Orsay, à Paris, pour l'exposition « Les origines du monde », en mars 2021 © AFP/Archives Alain Jocard

Dans la nef du Musée d'Orsay, à Paris, la présence de l'éléphante Marguerite intrigue : l'exposition « Les origines du monde » invite à découvrir combien les sciences, animalière, botanique ou biologique, ont inspiré les artistes au XIXe siècle.

Avec plus de cinq mois de retard, cette exposition exceptionnelle, fruit de trois ans de travail, s'ouvre enfin au public mercredi. Elle a pu être prolongée jusqu'au 18 juillet après d'intenses négociations avec les prêteurs.

L'exposition a été réalisée avec la collaboration des équipes scientifiques du Muséum d'histoire naturelle. Elle prend la suite d'autres expositions thématiques comme « Le Modèle noir » l'an dernier, qui avait exploré une autre évolution majeure des représentations dans l'art au XIXe. Comme pour « Le Modèle noir », la période retenue est « le long XIXe siècle », jusqu'à la rupture de la guerre de 14-18.

Au milieu de cette période, paraît « L'origine des espèces » (1859) de Charles Darwin. Ce penseur pivot de l'évolutionnisme va dominer au détriment d'autres injustement oubliés.

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Salle de l'exposition "Les origines du monde" au musée d'Orsay présentée en mars 2021 © AFP/Archives Alain Jocard

Quatre-vingts prêts ont enrichi l'exposition, au sous-titre évocateur : « l'invention de la nature au XIXe siècle ». Des cartels surmontés d'une silhouette d'éléphant ont été spécialement accrochés à hauteur d'enfant.

L'exposition restitue les multiples interactions entre sciences et arts au moment où les savants imposent leur vision du monde, alors que l'ordre ancien des connaissances fondé sur le religieux se fracture.

Inventaire

La conception de la place de l'homme dans le monde se modifie à mesure des découvertes qui s'enchaînent, suscitant débats, remises en cause et interprétations. Cela mobilise les peintres dans une diversité d'inspirations très bien rendue.

L'exposition restitue la priorité d'alors : faire l'inventaire de la nature. Tout est remis en cause : l'origine de la vie remonte à des millions et non quelques milliers d'années. L'homme descend du singe. Le nombre d'espèces connues explose. Les savants et explorateurs découvrent l'infiniment petit, les fonds marins, la géologie, les planètes, les animaux disparus, fossiles et autres dinosaures. Tout cela relativise la vision judéo-chrétienne du jardin d'Eden, où l'homme est au centre de la création.

Ces découvertes amènent l'homme à s'interroger sur son animalité, réconfortante, positive, ou terrifiante, bestiale. Il se voit comme simple branche d'un arbre multiple, où les espèces sont liées. Les peintres vont se passionner pour imaginer la vie à l'âge de pierre. Des tableaux spectaculaires montrent les grands voyages d’exploration scientifique.

La vie dans les « abysses inexplorés » ne fascine pas seulement Jules Verne. Un peintre comme l'Autrichien Eugen von Ransonnet-Villez ira jusqu'à peindre les fonds marins, enfermé dans un petit submersible. D'autres thèmes inspirent naturellement le peintre : pourquoi le paon est-il beau ? La beauté a-t-elle un fondement naturel ? L'exposition montre aussi comment l'évolution a été comprise différemment en France, au Royaume-Uni et en Allemagne. A mesure que l'exposition se déroule, le visiteur ressent un malaise devant les représentations de monstres, de centaures, de chimères, de sirènes.

Étouffant dans l'atmosphère positiviste et scientiste, certains peintres se réfugient dans l'occultisme, le spiritisme, le fatalisme désespéré (Munch) ou l'expression symbolique et étrange (Mondrian). « En ôtant toute transcendance à l'humanité, la théorie darwinienne questionne douloureusement la place de l'homme sur terre », relève la présidente du musée d'Orsay Laurence des Cars.

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Laurence Des Cars, présidente du musée d'Orsay, pose dans l'ancienne gare reconvertie en musée, le 24 mars 2021 © AFP/Archives Alain Jocar

Le réalisateur Laurent Grasso a créé pour l'exposition un film, « Artificialis », qui montre que le renouvellement des représentations du monde se poursuit, pour le meilleur et pour le pire, avec scanners et autres outils informatiques.

Projeté au-dessus de la nef, non loin de l'éléphante Marguerite, « Artificialis » se veut « un voyage spectral dans les nouvelles dimensions permises par les nouvelles technologies, un questionnement autour du visible et de l'invisible », souligne auprès de l'AFP le réalisateur.