Le compromis a été arraché au forceps : l’administration Biden a annoncé lundi un accord « historique » avec sept États de l’Ouest américain pour réduire leur consommation d’eau puisée dans le fleuve Colorado, menacé par plus de vingt ans d’une sécheresse aggravée par le réchauffement climatique. Ce plan, annoncé après un an de négociations tendues, offre un sursis à ce cours d’eau majeur, qui prend sa source dans le massif des Rocheuses pour se jeter dans la mer de Cortez au Mexique. Le fleuve approvisionne environ 40 millions de personnes en eau et irrigue des millions d’hectares de terres arables pour nourrir l’Amérique. Mais ces dernières années, son débit avait chuté d’environ un tiers : son niveau était tellement bas que l’Ouest américain risquait la catastrophe.

L’accord prévoit d’économiser 3,7 milliards de mètres cubes d’eau d’ici 2026, selon le communiqué du ministère de l’Intérieur. À cette date, de nouvelles réductions seront nécessaires. Ces coupes seront réalisées par trois États : la Californie, le Nevada et l’Arizona, qui ont accepté de réduire leur consommation d’eau en provenance du fleuve de 13 %. Les trois-quarts de ce volume seront compensés par le gouvernement fédéral, qui va payer 1,2 milliard de dollars pour que les agriculteurs et villes sur place consomment moins, selon les médias américains. Le quart du volume restant devra être réalisé sans compensation par les trois États. L’accord « marque une étape importante dans nos efforts pour protéger la stabilité du système du fleuve Colorado face au changement climatique et à des conditions de sécheresse historiques », a salué le président Joe Biden dans un communiqué.

Image légendée
Le Lac Powell, réservoir artificiel sur le fleuve Colorado, dans l'Utah © AFP Robyn Beck

Modèle en crise

« L’ouest des États-Unis entier est en première ligne face au changement climatique -- nous devons travailler ensemble pour affronter cette crise », a abondé le gouverneur de Californie, Gavin Newsom, dans un communiqué séparé. Ce ton consensuel masque les crispations bien réelles autour du fleuve. Le partage des eaux du Colorado est réglé par un traité datant de 1922, historiquement biaisé : la surconsommation était inévitable, à cause de l’estimation erronée du débit moyen du fleuve retenue comme base. Ce document a établi une loi de la rivière, basée sur la règle du « premier arrivé, premier servi ». Les agriculteurs de Californie peuvent ainsi tirer plus d’eau du fleuve que l’Arizona et le Nevada réunis.

Les insuffisances de ce modèle sont apparues au grand jour l’an dernier. Après vingt ans de sécheresse dans la région, les deux plus grands réservoirs de l’Ouest américain, le lac Powell et le lac Mead, ont atteint des niveaux bas historiques. La situation était tellement critique que les autorités ont craint que leur niveau d’eau passe en-dessous des turbines hydroélectriques des barrages attenants, ce qui aurait interrompu la production d’électricité et empêché le fleuve de couler en aval. Face à cette crise, le gouvernement fédéral a d’abord demandé aux sept États riverains du cours d’eau — le Wyoming, l’Utah, le Colorado, le Nouveau-Mexique, la Californie, le Nevada et l’Arizona — de s’accorder pour réduire jusqu’à un quart de leur consommation.

Tensions entre États

Mais les négociations se sont enlisées et les échéances fixées pour trouver un compromis ont été plusieurs fois repoussées. Les pourparlers ont tourné à l’affrontement entre la Californie, la plus avantagée par le système, et les six autres États qui lui demandaient de faire la majorité des efforts. Devant cette impasse, Washington a menacé en avril de trancher dans le vif : l’administration Biden a publiquement envisagé d’imposer des coupes obligatoires, imposées de manière uniforme à la Californie, au Nevada et à l’Arizona. Cette proposition aurait complètement chamboulé la loi de la rivière, en vigueur depuis un siècle, et aurait probablement provoqué une longue bataille judiciaire.

L’accord trouvé lundi constitue donc un compromis permettant d’agir le plus vite possible. L’hiver exceptionnellement pluvieux connu par la région a contribué à apaiser les tensions : les coupes annoncées sont finalement moins ambitieuses que prévu, car le débit du fleuve a augmenté. Mais les scientifiques avertissent déjà que ce répit ne pourrait être que de courte durée. « Nous avons maintenant une voie pour faire remonter le niveau de nos réservoirs à court terme », a salué la gouverneure d’Arizona, Katie Hobbs. Avant d’insister : « notre travail doit continuer pour prendre des mesures et nous attaquer au problème de long terme qu’est le changement climatique. »