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Des flacons et des seringues destinés au vaccin de BioNTech/Pfizer contre le coronavirus, fabriqués par le spécialiste allemand du verre Schott, au siège de l’entreprise à Mayence (Allemagne), le 20 novembre 2020 © AFP/Archives Daniel Roland

Un matin d’hiver dans une cuisine en Allemagne, un couple de chercheurs est attablé pour le petit-déjeuner. Özlem Türeci et Ugur Sahin, dirigeants de la start-up de biotechnologie BioNTech, tombent d’accord : « Nous devons donner le coup d’envoi » des recherches sur un vaccin contre un nouveau virus qui sévit en Chine. Ugur Sahin vient de lire une publication scientifique décrivant la propagation fulgurante de ce virus à Wuhan. « Il en a conclu qu’il y avait de fortes chances qu’une pandémie pût être imminente », raconte son épouse, Mme Türeci.

C’est le point de départ d’une épopée qui aboutira à l’élaboration du premier vaccin contre la Covid-19 à être autorisé dans le monde occidental. Une prouesse réalisée en un temps record.

Le 24 janvier, le couple décide donc que toutes les ressources de leur PME, allouées jusqu’ici à la recherche sur les immunothérapies contre le cancer, seront désormais consacrées à mettre au point un remède contre cette pneumonie virale d’origine inconnue. Il faut aller vite, l’opération est baptisée « Vitesse de la lumière ». « Depuis cette date (…), il n’y a pas eu un jour où nous n’ayons pas travaillé sur ce projet », affirme Mme Türeci. 

Quatre jours plus tard, le 28 janvier, l’Allemagne confirme sur son territoire le premier cas connu de transmission d’être humain à être humain sur le sol européen. Moins de deux semaines plus tard, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) désigne pour la première fois le nouveau mal : Covid-19.

« Mittelstand »

Le printemps commence à frémir à Mayence, pittoresque cité qui abrite des bâtisses à colombage et surtout le siège de BioNTech, quand l’épidémie partie de Chine se transforme en une crise sanitaire mondiale.  

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Ugur Sahin, chercheur et cofondateur de BioNTech, lors d’un entretien avec l’AFP depuis Mayence, le 19 novembre 2020 © AFP/Archives Yann Schreiber

La flambée des infections contraint les gouvernements à fermer les frontières, les écoles, les institutions culturelles et sportives, les administrations. Le monde est mis sous cloche. Déjà, le « Mittelstand », ce réseau de petites et moyennes entreprises (PME) qui fait le succès de l’économie allemande, se retrousse les manches pour relever le défi qui s’annonce. 

À quelques encablures du siège de BioNTech, une PME aux 130 années d’existence accélère la cadence de ses chaînes de fabrication. Bien que peu connu, le spécialiste du verre Schott s’avère un acteur majeur de l’industrie pharmaceutique grâce à ses flacons utilisés par millions pour les recherches cliniques sur le virus. Le verre « borosilicate » dont il a fait sa spécialité est très recherché pour sa capacité à résister aux températures extrêmes, allant de -80 à 500 degrés. Une propriété qui va s’avérer indispensable. Le vaccin BioNTech/Pfizer nécessite en effet d’être conservé à -70 degrés.

D’ici la fin 2021, Schott compte produire assez de fioles pour deux milliards de doses de vaccin.

La Covid-19, la société l’affronte jusque dans ses murs. Un important site de production, à Mitterleich en Bavière, s’est retrouvé au cœur de la pandémie très tôt, quand après une fête de la bière, la localité est devenue l’un des premiers foyers du nouveau coronavirus.

Et conséquence de la fermeture des frontières, plusieurs travailleurs originaires de République tchèque « n’ont pas vu leurs amis ou familles pendant des semaines ». Partout dans le monde, la pandémie cloue les avions au sol et transforme les aéroports d’ordinaire vibrant de monde en zones mornes et désertées. 

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Acheminement des vaccins contre le coronavirus de Pfizer et Moderna en fonction de leur mode de conservation © AFP

Mais au centre pharmaceutique de la compagnie de fret Lufthansa Cargo situé dans l’aéroport de Francfort, l’activité s’accélère, le stress monte. La plus grande plaque tournante européenne du transport pharmaceutique qui a traité 120 000 tonnes de cargaison l’année passée se prépare à faire transiter des millions de doses de vaccin. 

Au total, le site possède 12 000 m2 climatisés réservés à ce type de produits. Les températures nécessaires s’obtiennent dans des containers spéciaux grâce à des blocs de glace carbonique, du CO2 en forme solide à -78,9 degrés. Mais Fraport, l’exploitant de l’aéroport de Francfort, n’est pas la seule entreprise à investir dans la chaîne du froid.

Arctique

Dans le verdoyant Bade-Wurtemberg (sud-ouest), la société Binder, une autre PME allemande inconnue du grand public, entre en scène. Son savoir-faire ? Des « super-congélateurs » dans lesquels « il fait plus froid que dans l’Arctique », selon les médias allemands. De fait, la température dans ces appareils peut descendre jusqu’à -90 °C.

L’entreprise de Tuttlingen, une des leaders du marché, a d’abord fourni les laboratoires, puis la logistique et travaille désormais avec les autorités allemandes pour équiper les centres de vaccination. « Tout a commencé en août quand nous avons reçu des demandes de sociétés de logistique (…). Elles se sont dit qu’elles devaient équiper leurs centres de stockage de congélateurs », affirme Anne Lenze, chargée de la communication. Depuis, « la demande est telle que nous travaillons 24 heures sur 24, nous recrutons des employés et nous en cherchons », souligne-t-elle. 

Le 18 novembre, à peine dix mois après avoir décidé de se lancer dans l’aventure, BioNTech annonce, avec son partenaire américain Pfizer, que son vaccin est sûr et efficace à 95 %. Un niveau similaire à celui de la firme américaine Moderna avec qui il rivalise pour développer la technique dite de l’ARN Messager. Les marchés boursiers emballent, le monde entier reprend confiance.

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Des avions de la compagnie de fret Lufthansa Cargo sur le tarmac de l’aéroport de Francfort (Allemagne), le 25 novembre 2020 © AFP/Archives Thomas Lohnes

Tasse de thé

Mais à Mayence, il n’est pas question de céder à l’euphorie. Pour fêter cet événement, le couple Türeci-Sahin s’accorde donc… une tasse de thé. De toute façon, « le champagne, ce n’est pas notre truc », plaisante M. Sahin dans un entretien à l’AFP. En soufflant sur leur breuvage, ces deux quinquagénaires, enfants d’immigrés turcs, « songent à tout ce qui s’est passé jusqu’ici et à ce qui va maintenant advenir ».

À 600 km de là, dans la capitale allemande, le pompier à la retraite Albrecht Broemme, solide gaillard de 66 ans à la chevelure poivre et sel, s’affaire avec… une boîte de Lego. Chargé de superviser les six centres de vaccination que Berlin veut mettre sur pied dans le cadre d’une campagne nationale, il bâtit une mini-station de vaccination avec comptoir d’enregistrement et allées de circulation. « J’ai réfléchi à un système en pensant (…) aux espaces nécessaires afin de ne pas créer d’embouteillage », détaille-t-il devant l’ancien aéroport de Tegel, un des lieux où les Berlinois se feront injecter le vaccin.

Quelque 450 centres de vaccination sont installés dans tout le pays. Le plus grand, situé à Hambourg, pourra effectuer jusqu’à 7000 injections par jour dans les 64 cabines prévues à cet effet. 

À Hambourg comme à Berlin, tout visiteur devra suivre un circuit, depuis la vérification d’identité jusqu’à la vaccination proprement dite. L’injection sera précédée d’une consultation médicale et, en fin de chaîne, « une salle d’attente » sera là pour vérifier que toute l’opération s’est bien déroulée. « Nous imaginons qu’en tout cela prendra une heure », assure Albrecht Broemme.

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Peter Wimmer, le vice-président de l’entreprise Binder, ouvre un « super-congélateur » fabriqué par sa société, à Tuttlingen, dans le sud de l’Allemagne, le 24 novembre 2020 © AFP/Archives Thomas Kienzle

Le 2 décembre, le Royaume-Uni devient le premier pays occidental à octroyer une autorisation d’urgence au vaccin BioNTech/Pfizer. D’autres pays suivent : les Etats-Unis, l’Arabie saoudite, Singapour.

L’Allemagne, frappée de plein fouet par une deuxième vague de contamination, s’impatiente. Elle fait pression pour que l’autorité de régulation, l’Agence européenne des médicaments (EMA) accélère sa prise de décision prévue alors le 29 décembre au plus tard. Le 21 décembre, avec plus d’une semaine d’avance, l’EMA donne finalement son feu vert. L’Union européenne annonce dans la foulée que la campagne de vaccination débutera le 27 décembre.

Au centre d’Hambourg, les autorités sanitaires affirment être prêtes tandis que BioNTech organise des formations en ligne avec des médecins et infirmières. La firme répond à plus d’un millier de questions des acteurs médicaux. 

Policiers armés

Les premiers camions chargés de doses de vaccin quittent le centre de production de Pfizer en Belgique mercredi. Elles sont notamment acheminées vers les 25 centres de distribution désignés par les autorités fédérales allemandes qui les transporteront ensuite dans les 294 districts du pays, selon BioNTech. 

Tout au long du parcours, des policiers armés escortent les convois. L’Allemagne redoute d’éventuels sabotages alors que la fronde des « anti-vaccin » et de ceux qui ne croient pas à l’existence du virus a gagné en ampleur depuis l’été.

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Le président allemand Frank-Walter Steinmeier (d) et Albrecht Broemme (g), chargé de superviser les centres de vaccination de la capitale allemande, visitent l’un d’entre eux, le 21 décembre 2020 à Berlin © Pool/AFP/Archives Hannibal Hanschke

Dans un premier temps, le vaccin doit être injecté dans le bras des personnes les plus vulnérables, celles de plus de 80 ans. Plusieurs maisons de retraite ont en effet été durement frappées par la pandémie alors que le nombre de morts quotidien reste élevé.

Pour la chancelière Angela Merkel, chaque injection représente une vie sauvée : « Quand on voit le nombre de personnes qui sont mortes à cause de ce virus, on voit combien de vies le vaccin peut sauver ».

Comme chaque jour compte, les responsables d’une maison de retraite de Halberstadt, à l’est, ont décidé de commencer à vacciner dès samedi, réservant l’honneur à Edith Kwoizalla, une résidente âgée de 101 ans, d’être la première à recevoir le vaccin.

Le lancement officiel de la campagne est programmé pour dimanche dans tout le pays, et dans d’autres États de l’Union Européenne. Et à leur table du petit-déjeuner, Özlem Türeci et Ugur Sahin savoureront peut-être une nouvelle tasse de thé.