Une population vieillissante
Chute de la natalité, espérance de vie en hausse : la proportion des plus âgés ne cesse de croître. Avec quelles conséquences ?
Une enquête de Kassiopée Toscas - Publié le
Le vieillissement, pourquoi ?
La population mondiale vieillit sous l’effet conjugué des baisses de mortalité et de natalité. Si bien qu’en 2100, 1 être humain sur 4 aura plus de 65 ans.
Si 1 personne sur 20 dans le monde avait plus de 65 ans en 1950, la proportion s’élève aujourd’hui à 1 sur 10, le double. Et ce sera près d’une personne sur 6 en 2050, d’après les dernières projections de l’ONU. C’est l’inexorable prolongement de la transition démographique, entamée il y a deux siècles en Europe occidentale avec le développement économique, social et sanitaire, et la modernisation des modes de vie. D’un côté, la mortalité continue à décliner, y compris aux grands âges, si bien que l’espérance de vie mondiale à la naissance, qui était de 64 ans en 1990, a atteint près de 73 ans en 2019 et dépasserait 77 ans en 2050. De l’autre, la fécondité diminue, car la mortalité infantile recule et les aspirations des familles changent. Si bien qu’aujourd’hui, les deux tiers de la population mondiale vivent dans un pays où la fécondité est inférieure à 2,1 enfants par femme, le seuil de renouvellement des générations. Et si celle-ci reste élevée dans les pays qui n’ont pas encore achevé leur transition démographique, tous suivent la même trajectoire, quoiqu’avec des calendriers et des rythmes variés. L’évolution de l’âge médian mondial – qui divise la population en deux groupes égaux, ici schématiquement « jeunes » et « vieux » – résume bien cette situation : de 24 ans en 1990, il s’établit aujourd’hui à 31 ans et atteindrait 42 ans en 2100, selon l’ONU. Résultat, à cet horizon, le rapport planétaire entre jeunes et vieux serait inversé : les moins de 20 ans ne représenteront plus que 22 % du total mondial, contre 33 % aujourd’hui. Quant aux plus de 65 ans, ils réuniront 24 % des effectifs mondiaux en 2100, contre 10 % à l’heure actuelle.
Des politiques de natalité sans grande efficacité
Face au vieillissement rapide de la population, le gouvernement chinois a supprimé la politique de l’enfant unique en 2015 et cherche depuis à relancer la natalité, autorisant depuis 2021 jusqu’à trois enfants par famille. Un virage à 180°, sans effet pour l’instant, la fécondité chinoise n’ayant jamais été aussi basse – 1,2 enfant par femme en 2022. Pour cause : quand l’éducation progresse et les conditions de vie s’améliorent, en Chine comme ailleurs, la fécondité baisse, car les familles souhaitent avoir moins d’enfants. Aujourd’hui de 2,3 enfants par femme, la fécondité mondiale déclinerait jusqu’à 2,1 en 2050 et 1,8 en 2100.
Au sud, un vieillissement accéléré
Engagés plus tard dans la transition démographique, les pays en développement feront face à un vieillissement très rapide.
Entre croissance économique et accès aux progrès médicaux des pays développés, les pays du Sud ont vu – ou vont voir – leur mortalité infantile et leur fécondité diminuer très rapidement. Les pays d’Afrique du Nord, l’Iran, la Syrie, le Vietnam ou le Brésil vont ainsi connaître un vieillissement accéléré. S’il a fallu à la France 114 ans pour que la part des plus de 65 ans double dans sa population, et 71 ans aux États-Unis, il n’a fallu que 22 années à la Thaïlande et 20 ans à la Tunisie pour connaître la même évolution. Quant à l’Afrique subsaharienne, elle vieillira plus tardivement, dans la seconde partie du siècle. Avec une fécondité de 4,2 enfants par femme en moyenne, sa population reste en effet très jeune, la proportion des plus de 65 ans variant de 2 % à 5 %. Qu’il soit en germe ou en cours, ce vieillissement brutal constituera un défi de taille dans les pays du Sud, où les personnes âgées ont longtemps été laissées à l’écart des politiques publiques. Les services de santé ne sont pas adaptés : en Afrique subsaharienne, l’accès aux soins est difficile – services de gérontologie inexistants ou limités aux capitales – et les pathologies de la vieillesse sont peu ou pas du tout prises en charge… Quant à la protection sociale, si certains pays, à l’instar du Brésil, disposent d’un système de retraite embryonnaire, aucun pays en développement ne possède de système général. Sans oublier que les solidarités familiales, qui assuraient jusque-là la prise en charge des aînés, s’érodent peu à peu avec la modernisation des modes de vie et l’émigration des jeunes. Un défi de taille attend donc les pays du Sud.
Un vieillissement propre à chaque pays
Les inégalités du vieillissement
Nous ne sommes pas égaux face au vieillissement : les riches et les pauvres, les hommes et les femmes, ne sont pas exposés aux mêmes risques.
Sans surprise, l’espérance de vie varie avec la catégorie socioprofessionnelle. En France, un homme de 35 ans peut espérer vivre encore 47 ans quand il est cadre, et seulement 41 ans quand il est ouvrier. L’écart s’élève à 13 années entre les 5 % les plus riches et les 5 % les plus pauvres. Ouvriers et ouvrières vivent donc moins longtemps, mais aussi plus longtemps en mauvaise santé. En cause la surexposition à des maladies graves (cancers, maladies cardiovasculaires…) et invalidantes (troubles musculosquelettiques et anxio-dépressifs) ; de moins bonnes conditions de vie, d’accès et de recours aux soins ; des pratiques à risque plus fréquentes (alcool, tabac…). Les femmes, elles, vivent plus longtemps que les hommes (85,6 ans contre 79,7 ans en 2019 en France), mais avec proportionnellement plus d’années de dépendance. L’articulation entre vies familiale et professionnelle les expose à une plus grande précarité, avec des carrières hachées, et à des syndromes anxieux ou dépressifs. Peu à peu, cependant, les hommes abandonnent les comportements à risque. Quant aux générations féminines récentes, elles sont plus exposées aux maladies cardiovasculaires et cancéreuses (tabagisme, sédentarité…). À l’heure actuelle, l’espérance de vie entre les sexes tend donc à se rapprocher. L’écart ne serait plus que de trois années en 2070 (93 ans d’espérance de vie pour les femmes, 90,1 ans pour les hommes), contre six ans aujourd’hui, selon les projections de l’Insee11.
Vivre vieux, mais en quelle santé ?
Une partie des années de vie « gagnées » s’accompagne de limitations fonctionnelles ou invalidantes (mobilité, mémoire, vue, audition…). Mais les années de dépendance devraient rester stables, autour de 3 à 5 ans de l’espérance de vie totale, car les politiques sanitaires permettront de mieux repérer et prévenir la perte d’autonomie. Quant aux maladies neurodégénératives, elles seront sans doute plus visibles puisqu’il y aura davantage de gens très âgés, mais leur prévalence peut diminuer. C’est déjà le cas de la maladie d’Alzheimer, en recul depuis 20 ans dans plusieurs pays grâce à l’élévation du niveau d’études et la lutte contre les facteurs de risque vasculaire.
Une espérance de vie qui s’allonge encore
L’espérance de vie continue de progresser à la faveur de grandes avancées sanitaires, mais de moins en moins vite, et de façon inégale selon les pays.
En 2019 l’espérance de vie était en moyenne de 63 ans en Afrique, contre 79 ans en Europe. Son évolution résulte de vagues de progrès successives, ou « transitions sanitaires », qui suivent des calendriers différents à travers le monde. La première est la lutte contre les maladies infectieuses, qui a débuté en Europe à la fin du 18e siècle avant de s’étendre au reste du monde. Cette transition n’est cependant pas achevée dans les pays aux économies fragiles, notamment en Afrique subsaharienne, qui a été frappée de plein fouet par le sida. Les pays industriels ont ensuite appris à prendre en charge les maladies cardiovasculaires puis les maladies dites « de société » : morts violentes, pathologies liées au tabagisme et à l’alcoolisme… avec un succès parfois incertain, puisqu’aux États-Unis, la crise des opiacés et l’obésité ont fait reculer l’espérance de vie masculine depuis 2014. Enfin, certains pays développés, comme la France et le Japon, engagent aujourd’hui la lutte contre les pathologies de la vieillesse. Au-delà d’un certain âge, bien sûr, l’espérance de vie augmente moins vite. Mais des gains sont encore attendus en matière de lutte contre le cancer (dépistage et traitements) ou contre les maladies neurodégénératives (politiques sanitaires et innovations) : une espérance de vie de 100 ans n’est pas hors de portée. Les pays du Sud, quant à eux, vont sans doute devoir mener ces différentes transitions de front !
Demain, tous vieux ?
Des enjeux sociaux à anticiper
Les sociétés vont devoir s’adapter aux nouveaux équilibres entre générations, avec un nombre croissant de personnes âgées et souvent dépendantes.
En France, la part des plus de 85 ans va presque doubler d’ici à 2050, passant de 3,5 % à quasiment 7 % de la population totale. Avec des conséquences sur le système de santé, le logement, le lien social… et à terme, sans doute, une profonde réorganisation sociale. Pour faire face au nombre croissant de personnes dépendantes, plusieurs pistes : améliorer la prévention et éradiquer ou limiter les pathologies de la vieillesse en soutenant la recherche – très active sur les maladies neurodégénératives. Par ailleurs, l’adaptation de l’environnement domestique peut compenser les limitations fonctionnelles et donc retarder la perte d’autonomie : développement de la domotique ; mobilité facilitée grâce à des voies sécurisées ou l’installation de bancs… Mais il faudra aussi revaloriser les métiers d’aide aux personnes âgées et repenser les fins de vie possibles, afin que le choix ne se limite pas à une alternative entre Ehpad et aide à domicile : des solutions de logements intermédiaires, par exemple, permettraient de mutualiser les services. Et il faudra bien sûr repenser les systèmes de protection sociale : développer les assurances dépendance, adapter le système contributif des retraites… À l’heure actuelle, 20 % des dépenses liées à l’aide à l’autonomie restent à la charge des familles, le reste étant couvert par la collectivité, contre 8 % des dépenses de santé.
De nouvelles solidarités intergénérationnelles
Les échanges entre générations pourraient s’accroître au sein des familles. Les enfants et petits-enfants prendraient en charge leurs parents ou grands-parents devenus dépendants ; ces derniers participeraient à la vie du foyer sous forme de soutien financier, logement, aide à la garde des enfants… Les héritages étant plus tardifs, des transferts monétaires antérieurs au décès des ascendants permettraient aussi d’aider les jeunes adultes. Dans l’ensemble, les solidarités intergénérationnelles devront sans doute être repensées, avec une proximité accrue des générations proches, qui ont intérêt à échanger, plutôt que celle des très jeunes et des très vieux.
Des parcours de vie bouleversés
Une vie plus longue bouleverse les parcours de vie, un phénomène déjà amorcé. Ainsi, l’âge moyen à réception d’un héritage dépasse aujourd’hui 50 ans, souligne l’Insee. Encore rares, les séparations tardives augmentent, annonçant parfois de nouvelles remises en couple : en 2016, selon l’Ined, les divorces des plus de 60 ans représentaient 12 % de l’ensemble des divorces pour les hommes (8 % pour les femmes), contre seulement 3 à 4 % vingt ans plus tôt. Bref, les représentations devront évoluer aussi : il n’existe pas un vieillissement, mais des vieillissements.
Le fantasme de l’extinction
La baisse des naissances conduira-t-elle à l’extinction de l’espèce humaine ? La réponse dépend des données choisies au départ. En supposant que le monde entier adopte la fécondité et l’espérance de vie européennes actuelles (1,5 enfant par femme et 80 ans) et les conserve indéfiniment, la population mondiale serait divisée par 10 tous les 200 ans pour chuter à 1 milliard en 2250 et… 100 personnes en 3650 ! Mais il s’agit d’un scénario théorique et l’extinction purement démographique semble improbable. Si risque il y a, il se situe plutôt du côté du changement climatique, de l’érosion de la biodiversité et de l’épuisement des ressources.