Science et sport, combinaison gagnante

Doubler le nombre de médailles olympiques, qui ne dépasse pas la quarantaine depuis six olympiades. L’objectif, formulé par le ministère des sports en vue de Paris 2024, est sacrément ambitieux. Certes, les athlètes français évoluent à domicile, ce qui constitue un avantage significatif, grâce au soutien du public : depuis 1976, à chaque fois qu’une nation organise les Jeux, elle obtient son meilleur placement au tableau des médailles. Toutefois, remporter 80 médailles sur les 1600 distribuées dans les 32 disciplines retenues pour cette édition parisienne est un redoutable défi. Pour le relever, la France compte notamment sur ses scientifiques. Un programme prioritaire de recherche (PPR) « sport de très haute performance » a ainsi été lancé en 2018 par l’État. Doté de 20 millions d’euros et coordonné par le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), ce programme vise à répondre aux besoins des athlètes, toutes disciplines confondues. Des centaines de chercheurs en physiologie, neurosciences, ingénierie des matériaux, physique et mathématique, font équipe avec les différentes fédérations sportives pour individualiser l’entraînement, prévenir les blessures, perfectionner le matériel, optimiser le geste sportif, améliorer la préparation mentale, etc. Une course pouvant désormais se gagner au centième de seconde près, tous les détails comptent ! Les pays qui investissent le plus dans la recherche orientée vers la performance figurent d’ailleurs dans le top 6 olympique depuis 2016, à l’instar de l’Australie, du Royaume-Uni et du Japon. En France, le niveau d’investissement atteint depuis 2018 est sans précédent. 

Sport, quand la recherche
entre en jeu 

Récolte de données par capteurs, amélioration des matériaux et de l’équipement, études physiologiques et biomécaniques, nouvelles méthodes d’entraînement… la science et la technologie contribuent pleinement à l’amélioration des performances.

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© Julie Borgese

Quand la physique se frotte aux frottements

C’est physique : plus la vitesse augmente, plus les frottements de l’air comme de l’eau entravent la course. Pour optimiser la position des cyclistes et le matériel utilisé (vélo, casque, vêtement…), les chercheurs s’efforcent de modéliser course et frottements, en s’appuyant sur des mesures ultra-précises en soufflerie ainsi qu’en conditions réelles, au vélodrome de Saint-Quentin-en-Yvelines qui accueillera les Jeux de Paris. Objectif : diminuer au maximum les forces de friction. D’autres chercheurs étudient les interactions aérodynamiques entre cyclistes, afin de déterminer la meilleure position pour profiter au mieux du phénomène d’aspiration. Des études similaires sont menées en natation. 

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Numérisation 3D d’un cycliste en position contre-la-montre avec un scanner portatif au LAAS (Laboratoire d’analyse et d’architecture des systèmes, CNRS), à Toulouse © Cyril Fresillon / LAAS-CNRS / CNRS Images
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À Harvard, aux États-Unis, le chercheur Jonathan Scheiman étudie l’enrichissement du microbiote des athlètes en espèces bactériennes pour améliorer les performances. © Wyss Institute / Harvard University

Un microbiote de vainqueur sous le microscope

Le chercheur américain Jonathan Scheiman a mis au point un traitement probiotique plébiscité par plusieurs médaillés olympiques. En 2019, il avait découvert, à la Harvard Medical School, que la bactérie Veillonella atypica était plus abondante dans les échantillons fécaux des coureurs de marathon que dans la population générale. En outre, les souris supplémentées avec cette bactérie courent en moyenne 13 % plus longtemps. Quid des résultats chez l’Homme ? En 2023, des chercheurs italiens ont passé en revue les études sur l’impact des probiotiques : malgré des résultats encourageants, difficile de conclure vu la taille réduite des échantillons et la diversité des supplémentations utilisées.

La génétique peut-elle aider les athlètes ? 

Les sportifs d’élite recourent de plus en plus à des tests génétiques pour connaître leurs prédispositions à la haute performance ; ou encore, comme au Royaume-Uni et en Australie, pour mesurer les risques de blessure des athlètes et adapter l’entraînement. Quelque 200 gènes sont associés à la performance sportive, en particulier l’endurance (gènes EPO et ACE) et la vitesse (gène ACTN3). Des mutations, par exemple sur les gènes codant pour le collagène, sont également connues pour accroître les risques de blessure ou d’inflammation après l’exercice. Bref, avoir de « bons gènes », ça aide à devenir champion ! Plusieurs études ont d’ailleurs montré que la probabilité de décrocher une médaille olympique augmente significativement dès lors qu’un parent est déjà médaillé. Chez les jumeaux homozygotes, c’est-à-dire au matériel génétique identique, si l’un est médaillé, l’autre a 85 % de chances de l’être aussi ! De là à réaliser des tests génétiques systématiques, il y a un pas que la science ne permet pas de franchir. « L’héritabilité de la performance ne provient pas que de la génétique, souligne Juliana Antero, chercheuse à l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance. Il y a aussi l’environnement, l’entraînement, les financements… ». De fait, les variations génétiques n’expliquent qu’une fraction des différences inter-individuelles entre athlètes. Ce sont plutôt des milliers de polymorphismes génétiques qui améliorent, de concert, les performances. Or, pour l’heure, seuls quelques-uns sont connus et testés. En France, d’ailleurs, la génétique est absente des programmes de recherche en vue des JO.

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Légende : À l’École normale supérieure de Rennes, collecte de données sur des stagiaires du Stade rennais en vue d’améliorer leur entraînement © Inria/Photo C. Morel

L’IA, futur coach sportif ?

En collectant puis en analysant un nombre toujours croissant de données, l’intelligence artificielle est en passe de devenir un précieux allié des entraîneurs. Ces données, issues de l’entraînement, de tests physiologiques, de l’alimentation, du stress ou encore du sommeil, permettent tout d’abord d’individualiser et d’adapter l’entraînement en conséquence. Elles permettent aussi de construire des modèles de prévision des blessures. L’IA peut également analyser en détail les concurrents, révéler leurs points forts et leurs points faibles. Enfin, l’exploitation de ces données peut aussi aider à détecter des talents ou orienter les sportifs vers des disciplines dans lesquelles leur potentiel pourrait mieux s’exprimer.

Le Graal de l’altitude pour une endurance au top

Les nations qui figurent régulièrement au top 5 des derniers Jeux olympiques (États-Unis, Royaume-Uni, Australie, Japon, Chine, Russie) intègrent toutes l’entraînement en altitude ou en hypoxie, c’est-à dire avec un apport réduit en oxygène simulant l’altitude. Dans un tel environnement, l’organisme produit davantage d’érythropoïétine (EPO), une hormone qui stimule la production de globules rouges et augmente donc le transport d’oxygène : un facteur clé dans les épreuves d’endurance. Aujourd’hui, les recherches cherchent à mieux comprendre la diversité des réponses individuelles à l’hypoxie et le timing idéal de ces séances d’entraînement avant le jour J.

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Vice-championne olympique du 800 m en 2021, la coureuse britannique Keely Hodgkinson s’entraîne le 1er novembre 2022, à Font-Romeu dans les Pyrénées-Orientales. © Michael Steele / Getty Images via AFP

Les sportives, au cœur des recherches 

Les Jeux de Paris devraient être les premiers à accueillir autant de sportives que de sportifs. Une parité qui cache une inégalité de fait : les femmes sont sous-représentées dans les sciences du sport. À peine 9 % des études publiées entre 2017 et 2021 leur étaient exclusivement consacrées, contre 71 % pour les hommes. Autrement dit, les connaissances sur la performance physique et leurs applications en termes d’entraînement sont avant tout conçues pour les hommes. Afin de corriger ce déséquilibre, plusieurs projets de recherche s’intéressent aujourd’hui aux sportives françaises, moins performantes sur la scène internationale que leurs homologues masculins. La France est d’ailleurs la seule nation du top 8 olympique où les femmes décrochent systématiquement moins de médailles que les hommes. Premier objectif : analyser l’influence des variations hormonales sur la performance. « Il existe une fenêtre temporelle optimale, bien souvent lors de la montée des hormones après les règles, où les sportives peuvent supporter des charges d’entraînement plus intenses. Mais cette fenêtre est propre à chaque athlète », résume Juliana Antero, responsable du projet Empow’Her à l’Insep. D’autres recherches, notamment aux États-Unis, ont montré que chez les jeunes sportives, le faible poids s’avère contreproductif dans les épreuves d’endurance : l’inverse de ce que l’on observe chez les hommes. Enfin, certaines blessures affectent davantage les sportives, comme la rupture des ligaments croisés. Un surrisque lié à l’anatomie et aux hormones féminines – qui accroissent la laxité des ligaments – et qu’il est possible de prévenir grâce à un renforcement musculaire adapté.

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© Saintho / iStock / Getty Images Plus

Le génie de l’ingénierie pour une raquette parfaite

Comment améliorer ses performances aux épreuves de tennis de table ? Une équipe de chercheurs de l’École normale supérieure de Lyon y travaille. L’objectif est de caractériser, grâce à des caméras ultrarapides, l’interaction entre les balles et les raquettes en termes de restitution de vitesse, mais aussi de spin (une balle de ping-pong peut effectuer jusqu’à 100 tours sur elle-même par seconde). In fine, il s’agira de proposer aux pongistes français la raquette la plus adaptée à leur style de jeu.

La compétition au prix de la commotion ?

Des chercheurs travaillent aujourd’hui avec les fédérations de rugby et de boxe pour prévenir les blessures musculaires ou tendineuses des athlètes, mais aussi les commotions cérébrales. Grâce à des casques équipés de capteurs, une équipe de l’École polytechnique a pu caractériser les conséquences des impacts. Un sujet brûlant : en 2022 et 2023, près de 400 joueurs et ex-joueurs de rugby ont déposé des recours en justice contre plusieurs fédérations nationales, française notamment, et internationales. Ils souffrent de troubles neurologiques liés à de multiples commotions cérébrales. Au-delà d’une indemnisation à priori difficile à obtenir, les joueurs réclament de meilleures mesures de prévention. 

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La Canadienne Sara Kaljuvee est plaquée par les Françaises Maëlle Filopon et Gabrielle Vernier en finale pour la médaille de bronze de la Coupe du monde féminine de rugby, en 2022. © John Cowpland / Colorsport / DPPI via AFP

Performance, une quête sans limite ? 

Battre des records est de plus en plus difficile ! Des chercheurs français de l’Institut de recherche biomédicale et d’épidémiologie du sport (Irmes) estiment même qu’à partir de 2027, la moitié des records olympiques ne pourra plus être dépassée au-delà d’un millième de leur valeur. D’après eux, nous aurions atteint « les limites supérieures potentielles d’Homo sapiens ». De fait, les contraintes biologiques empêchent l’amélioration perpétuelle de certains paramètres, comme la fréquence cardiaque maximale, la masse et la contraction musculaires ou le temps de réaction. D’autres paramètres, comme la longueur des foulées, dépendent de la taille du sportif. Or, depuis trente ans, l’humanité ne grandit plus. Le changement climatique pourrait constituer une autre limite : en été, les températures risquent de se situer de plus en plus souvent au-delà de l’optimum de performance. Est-ce à dire qu’on ne verra plus de records tomber ? Rien n’est moins sûr. Car d’autres éléments que la physiologie ou le climat influencent les performances. Le dopage, par exemple, pas toujours détectable malgré des contrôles réguliers et de plus en plus exhaustifs. Un facteur démographique, ensuite : de plus en plus d’individus tentent leur chance dans le sport, ce qui augmente la probabilité de dénicher la perle rare. Les innovations technologiques, enfin : le matériel ne cesse de s’alléger, restituant mieux l’énergie et provoquant moins de frottements. Bref, pour toutes ces raisons, les prochaines olympiade devraient bien connaître quelques nouveaux records. 

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Membre de l’équipe française du relais 4 x 100 m, l’athlète Ryan Zeze s’entraîne avec un casque de réalité virtuelle, à Paris, en juin 2023. © Franck Fife / AFP

La réalité virtuelle, témoin du relais

Ryan Zeze entend la rumeur du stade de France. Le 4 x 100 m vient de partir. L’athlète français voit son équipier arriver à toute vitesse. Il déclenche sa course, tend le bras en arrière pour récupérer le témoin. On dirait le jour J, mais la scène se déroule dans un masque de réalité virtuelle. Grâce à un partenariat avec plusieurs universités, la Fédération française d’athlétisme dispose de simulateurs qui fournissent en temps réel des retours d’information sur la performance. Objectif : travailler les passages de témoin dans les moindres détails, sans surcroît de fatigue. Dans les simulateurs développés pour les boxeurs, un avatar prend les coups d’un adversaire virtuel.

Des prothèses high-tech pour les para-athlètes

En paralympisme, les recherches portent notamment sur les équipements et prothèses : fauteuils, pneus, prothèses tibiales, etc. Pour le saut en longueur, par exemple, l’enjeu est de convertir l’énergie cinétique de l’athlète en impulsion sans occasionner de blessure. Ce transfert d’énergie dépend de la forme de la prothèse, des matériaux utilisés, des frottements dans l’emboiture ou du type de semelle fixée sous la prothèse. Une machine de tests en laboratoire a été mise au point pour comparer les caractéristiques des différentes prothèses et permettre aux athlètes de sélectionner les plus performantes. 

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Lors des Jeux paralympiques de Tokyo, en 2021, l’athlète française Marie-Amélie Le Fur remporte la médaille d’argent au saut en longueur. © Naomi Baker / Getty Images ASIAPAC / via AFP