AU TABLEAU !
Gilles Boeuf
Nous allons maintenant aborder une question fondamentale qui est en fait, l'humain au sein de la biodiversité et pourquoi il faut qu'on en préoccupe autant de cette biodiversité ?
Je vais faire référence à un travail récemment fait de sociologues qui ont enquêté en Belgique sur deux perceptions qui étaient la perception de l'évolution du climat d'un côté, et l'autre, de la biodiversité. Et on s'est rendu compte que quand on interroge des gens dans la rue en matière de climat, on a une assez bonne perception du problème, car les gens en ont peur, du changement climatique, et il y a pas de relation évidente entre la pertinence de la réponse à la question et le niveau d'éducation de la personne qui répond. Quand on parle de biodiversité, c'est bien différent. En fait, beaucoup de gens savent pas trop ce que c'est. Et encore, depuis trois ou quatre ans ça a fait beaucoup de progrès. On avait fait l'enquête en 2006, c'était une catastrophe. En 2010, année internationale dédiée à la biodiversité, ça a été un petit peu mieux quand même, donc on voit un peu ce que c'est. N'empêche que personne nous dit « je suis terrorisé parce que les espèces vivantes disparaissent. » Or, peut-être que ceci sera plus important que le changement climatique. Et bien sûr les deux sont reliés puisque l'une des raisons de la perte de diversité est liée justement à l'évolution du climat. Climat sur lequel l'homme a une action. Il faut être de très mauvaise foi aujourd'hui pour dire que l'homme n'a aucune action sur le changement climatique que l'on vit. C'est très bien documenté et on peut pas revenir là-dessus.
La question, par contre, c'est que ce climat il change, il a changé. Alors l'homme est, en partie, responsable de ces modifications. C'est difficile de rev... – de changer quelque chose. Le problème c'est que plus on prend du temps pour prendre des mesures, et plus on va en payer les conséquences longtemps. Mais on peut pas arrêter ce changement aujourd'hui, donc il va falloir s'intéresser aux causes de disparitions des espèces ou d'habitats, qui sont pas liées que, bien sûr, au changement climatique.
Alors l'homme, de cette diversité, tire des services. Les services rendus par les écosystèmes et beaucoup ont été beaucoup portés aujourd'hui à la connaissance de gens. Pourquoi il faut qu'on s'en préoccupe de cette diversité ? D'abord, cette diversité, on démontre très bien qu'elle est extrêmement importante dans les grands équilibres de la planète. Alors en fait on appelle ça les grands cycles qui sont bio (il y a du vivant) mais aussi liés aux sciences de la Terre, géo, chimiques. C'est la chimie biologique et géologique. Ces grands cycles biogéochimiques (le cycle de l'eau, le cycle du carbone, le cycle de l'azote), sont extrêmement intéressants et eux-mêmes vont jouer beaucoup sur l'évolution du climat. Quel est le rôle de l'océan par exemple. Aujourd'hui, l'océan il piège presque la moitié du CO2 qui est émis. Alors d'un côté c'est extrêmement intéressant pour l'humanité parce que ça empêche un certain effet de serre, il y a moins de CO2 dans l'atmosphère et il y a moins d'effet de serre qui va augmenter. Mais il y a un corollaire qui est assez délétère, qui est ce gaz carbonique dans l'océan se dissout et donne de l'acide carbonique qui contribue à baisser ce qu'on appelle le pH donc augmenter l'acidité de l'océan global. Et c'est un vrai problème parce que le vivant sait assez bien se débrouiller avec la température, si ça change pas trop vite, et mon problème aujourd'hui c'est pas tellement les valeurs absolues atteintes qui m'intéressent, c'est beaucoup plus aujourd'hui la vitesse du changement. C'est là que c'est préoccupant. On parle de quelques dizaines d'années donc, et tout s'amplifie très, très vite, tout s'accélère. Et le vivant, ce sera plus difficile de s'habituer à une acidité qui va changer parce que ça faisait au moins 20 millions d'années durant lesquelles l'acidité de l'océan n'avait absolument pas changé. Donc tous ces aspects-là sont importants. Cette diversité joue un rôle physique extraordinaire. Par exemple le récif corallien, lors du grand tsunami de 2004, en Asie du sud-est, a empêché des millions de morts. Il y en a eu des centaines de milliers, c'est déjà bien sûr dramatique. Ce récif corallien protège des tsunamis, des vagues géantes les continents. Vous avez aussi bien sûr toutes les ressources qu'on tire de la biodiversité. On ne mange que du vivant, on ne coopère qu'avec du vivant, donc elle est fondamentale aussi pour ce niveau-là. On montre aussi que cette biodiversité maintenue a un rôle très important dans les questions de productivité. Ça c'est un mot qui plaît beaucoup à l'Homo economicus que nous sommes devenus. Produire plus sur une plus petite surface. Et c'est clair que dès le moment où vous allez altérer les écosystèmes avec une seule espèce en monospécifique, vous diminuez la productivité et les biomasses produites. Un autre aspect extrêmement intéressant aussi, c'est le fait que si vous maintenez cette biodiversité de façon correcte et harmonieuse, dans un environnement particulier, vous allez freiner et même interdire l'arrivée des envahisseurs, des invasifs. Et ça, ça a été très bien démontré aussi. Le prix de la seule lutte actuellement contre les plantes invasives c'est quelque chose comme 400 milliards d'euros par an. On a également calculé que pour des services rendus par les écosystèmes, comme par exemple la pollinisation... La pollinisation en fait, la nature la développe il y a à peu près 120 millions d'années avec la coévolution des fleurs, des papillons, des hyménoptères. Il y a également des mammifères, les chauves-souris aussi sont des pollinisateurs, et des oiseaux, les colibris par exemple. Eh bien on estime aujourd'hui que si on perdait ce service, (et il y a des régions où ça existe au monde, en Chine en particulier) c'est à peu près aussi entre 150 et 200 milliards d'euros par an, l'argent que l'humain devra dépenser, pour faire le travail à la place des pollinisateurs. Adieu le cacao, adieu le café, tous les fruitiers, les amendes, tous les fruits que vous connaissez qui passent par des fleurs dans les arbres bien sûr ne pourraient pas se développer. Ça, ça a beaucoup séduit, et c'est vrai que il y a eu beaucoup d'exemples là-dessus et on a un cas au Moyen-Orient, on vient, on se rend compte qu'on a perdu 85 % des abeilles, là, sur une époque très récente. Donc c'est un aspect qui est très important. Il y a un film qui s'appelle Pollen qui vient de sortir, qui parle très bien de ces questions-là. Un autre aspect ça va être les pêches maritimes. Si les pêches venaient à disparaître, c'est aussi 100 millions d'euros par an et c'est au moins 60 millions d'emplois. Donc vous voyez, cette diversité on en a absolument besoin, c'est vital pour nous.