Miroir à retournement temporel / Philippe Roux
Toutes les ondes (électromagnétique, acoustique, mécanique...) ont une propriété de réversibilité qui leur permet de se propager physiquement dans le temps et de revenir en arrière à leur point de départ. Le physicien Philippe Roux explique les conséquences fascinantes qui en découlent.
Une interview tirée du webdoc "2101, science et fiction".
Réalisation : Patrick Chiuzzi
Production : Universcience, Centre de recherche astrophysique de Lyon, C Productions Chromatiques
Année de production : 2016
Durée : 11min03
Accessibilité : sous-titres français
Miroir à retournement temporel / Philippe Roux
"2101, sciences et fiction"
"Le miroir à retournement temporel"
Philippe Roux, physicien.
-Le miroir à retournement temporel, c'est quelque chose qui est, de fait, dans la nature, dans son origine physique, très ancien.
Ça naît simplement du fait que toutes les ondes, les ondes électromagnétiques ou acoustiques, ou les ondes mécaniques qui se propagent dans la terre, satisfont à ce qu'on appelle une équation d'onde et cette équation d'onde a des propriétés de réversibilité.
C'est-à-dire qu'on peut la voir se propageant d'un temps t à un temps t+dt, et puis c'est la même équation qui va passer du temps ultérieur au temps antérieur.
Autrement dit, il n'y a pas d'impossibilité pour qu'une onde se propage dans un sens, qu'elle aille d'un point A à un point B et qu'elle s'étale dans le temps.
Il n'y a pas d'impossibilité physique à faire qu'elle revienne en arrière et qu'elle retrouve sa source originelle.
Au niveau physique, c'est possible.
Ça l'a toujours été depuis que les ondes sont les ondes et depuis que ces équations d'onde de Helmholtz ont été écrites.
Après, ce qui a été nouveau dans les années 1990, c'est la réalisation technique.
Comment est-ce qu'on fait en pratique pour faire qu'une onde revive sa vie antérieure ?
Pour permettre à une onde de revivre sa vie antérieure, on va créer justement ce miroir.
On parle de miroir parce qu'il faut, pour générer une onde qui va revivre sa vie antérieure, pas simplement un capteur, il en faut plusieurs.
Il faut couvrir une surface, comme un miroir, et cette surface va agir sur l'onde, enregistrer cette onde, comme elle enregistrerait notre photo, et puis la renvoyer à l'envers pour permettre à l'onde de revivre sa vie antérieure.
Pour faire une expérience de miroir temporel, il faut une source qui va envoyer une onde dans l'espace.
Ça va être dans le vide si on est en onde électromagnétique, dans l'eau si on est en onde acoustique, ou sur la terre si on est avec des ondes sismiques, par exemple.
Et il va y avoir un ensemble de capteurs qui vont tous être synchronisés et enregistrer la propagation de cette onde.
Ça, c'est la phase d'enregistrement.
C'est l'aspect miroir, mon visage.
Après, dans une deuxième étape, c'est là qu'arrive la magie du retournement temporel, ces capteurs ne seront plus des capteurs mais des sources à leur tour.
Chaque petit capteur va avoir enregistré une onde et on va lui permettre d'être une source.
Cette source ne va pas renvoyer le signal qu'elle a enregistré, mais elle va le retourner temporellement.
Autrement dit, le signal qui est arrivé en premier va être réémis en dernier.
On va le retourner.
Et toute cette banque de signaux qui vont être enregistrés par cette collection de capteurs va agir comme une espèce de miroir.
Elle va renvoyer ces ondes dans le sens inverse et là, la magie opère.
Parce que cette onde satisfait à une équation d'onde réversible, l'onde naturellement va revivre la vie qu'elle avait vécue dans la phase de propagation.
Elle va donc revenir en arrière et se refocaliser sur le point source qui lui a donné naissance.
De très jolies manips ont été faites à l'échelle macroscopique.
Je parle d'une expérience faite dans une piscine.
Une piscine de 10 m par 10 m, je n'ai pas exactement les dimensions, mais ça devait être ça.
Peut-être 5 m par 5 m.
Dans cette piscine, un caillou est lancé.
Je lance un caillou.
Ce caillou tombe et génère cette onde cylindrique qu'on connaît bien.
Sur les bords de la piscine uniquement sont placés des petits capteurs qui vont mesurer cette onde qui s'est propagée.
Cette onde s'est propagée, mais elle a aussi été réfléchie par les bords de la piscine.
C'est une onde qui se propage longtemps.
Elle arrive, elle est captée par les capteurs, et puis elle continue sa vie, elle réverbère, etc.
Et on enregistre toute la vie de cette onde.
Dans un deuxième temps, les petites bouées qui ont permis de détecter, à cause de leur mouvement vertical, l'onde qui s'est propagée vont agir comme des émetteurs, cette fois.
C'est ça la magie du retournement temporel, c'est de permettre à des capteurs d'agir comme des émetteurs.
Si tous ces petits capteurs qui ont enregistré ces ondes, qui les ont stockées, agissent comme des sources, cette fois, en retournant l'onde qui a été enregistrée et en la renvoyant de façon simultanée, on voit une expérience absolument phénoménale qui est que l'onde d'abord revit toutes ses réverbérations et puis, à un moment, on la voit se regénérer au centre et créer un geyser.
On ne voit pas le caillou ressortir, il est au fond de l'eau, mais on voit une mini trombe d'eau qui regénère et qui ressort, et qui va correspondre à l'inverse de ce qu'il s'est passé quand le caillou est tombé dans l'eau et qu'il a généré ce flux de matière qui a donné naissance à cette onde.
À toutes les échelles, du micromètre jusqu'au millier de kilomètres, des physiciens, des scientifiques travaillent actuellement sur ce principe de retournement temporel et l'utilisent à des fins d'imagerie pour sonder la Terre, le corps humain, l'océan, voire des nuages de lait ou la peau, pour les gens qui travaillent en électromagnétisme.
"2101"
Il y a des challenges associés aux sciences de la terre qui sont magnifiques, sociétaux.
Détecter, prévoir, anticiper un tremblement de terre, c'est quelque chose qui nous anime tous les jours, sur lequel on travaille de façon très active.
Le fait qu'on soit maintenant capable de déployer, à la surface de la Terre, sur des échelles de l'ordre du millier de kilomètres, des densités de capteurs sismiques incroyables avec plusieurs dizaines de milliers de capteurs...
Plusieurs milliers de capteurs couvrent le Japon, mais on passera dans 5 ans à des dizaines de milliers de capteurs qui couvriront le globe terrestre.
Cela nous permet d'envisager la possibilité de détecter et prévoir les tremblements de terre avant qu'ils n'arrivent.
Ce serait génial ça, parce que...
Ce serait à la base du retournement temporel.
On parle vraiment là...
Je ne pense pas qu'on fera du retournement temporel, mais c'est cette histoire de cohérence des ondes, de réversibilité des ondes, de la façon dont les ondes sont de la matière qui est vraiment à l'origine de cette physique-là.
Ça, on y arrivera.
Quel autre challenge serait un challenge remarquable ?
Ce serait très intéressant qu'on soit capable, sur des planètes passives comme Mars...
Sur la Lune, on a déjà fait quelque chose.
Mais des planètes plus lointaines, d'exciter ces planètes via des satellites qui les entourent.
Ça, ça serait très intéressant parce qu'actuellement, qu'est-ce qu'on fait sur Mars ?
On envoie une sonde et on prend 3-4 malheureux échantillons et on essaie de détecter la vie sur un capteur qui fait 50 cm sur une planète qui fait des milliers de kilomètres.
L'avantage des ondes c'est qu'elles se propagent sur ces milliers de kilomètres.
Si on était capable d'utiliser les ondes sur Mars, pas simplement avec un seul capteur, rappelez-vous, il en faut des milliers ou des centaines, on pourrait peut-être avoir des informations d'une autre tenue ou d'une autre échelle de grandeur sur ce type de planète inconnue.
Ce qui est amusant, c'est que finalement on parle de ça sur des planètes, mais sur Terre, actuellement, par exemple en Afrique ou dans les zones où l'eau est rare, on ne sait pas encore très bien sonder l'eau.
C'est-à-dire savoir si une nappe phréatique est présente à 50 m ou 100 m de profondeur parce que, justement, cette opération demande d'avoir un nombre de capteurs qui, parfois, n'est pas suffisant parce que déployer 1 000 capteurs sur une zone d'un kilomètre carré, au fin fond du Sahara ou dans des zones désertiques, c'est compliqué.
Au niveau technique, au niveau de la communication de l'information, au niveau de la maintenance et du traitement de l'information derrière.
Il y avait un scientifique qui disait : "On connaît finalement mieux...
La planète Terre est un grand mystère et reste peut-être encore notre plus grand mystère.
Parfois, on fait des choses sur la Lune ou sur Mars qu'on est incapable de faire sur Terre."
Je ne sais pas si vu à travers le prisme des ondes c'est vrai, probablement pas.
Je pense qu'on connaît quand même pas mal notre planète Terre au niveau des ondes.
Mais il y a encore beaucoup de choses à découvrir, pour le problème de l'eau, par exemple, sur la planète Terre.
"SF"
Je suis un expérimentateur.
Je suis un physicien qui travaille à l'intérieur d'un laboratoire de géophysique, qui a vraiment un background de physicien, mais je fais des expériences, c'est ce qui m'intéresse.
Les expériences sont souvent assez difficiles à concilier avec la science-fiction.
Pour faire une expérience, il faut arriver à la faire.
Donc, il faut utiliser les matériaux du moment, les techniques du moment, etc.
Je ne pense pas que mon travail scientifique ait été marqué par la science-fiction.
En revanche, j'ai toujours regardé avec un œil amusé la façon dont on pouvait utiliser les ondes dans les récits de science-fiction.
Vous n'êtes pas le premier à imaginer qu'on puisse faire du retournement temporel avec des ondes électromagnétiques.
Il y a eu des films et mêmes des livres...
Un film de série B américain qui n'était pas terrible, mais qui, là aussi, envisageait d'utiliser des satellites à la surface de la Terre pour focaliser des lasers à un endroit donné et détruire éventuellement telle ou telle zone.
Je sais qu'on a aussi envisagé, dans un film ou deux, l'idée d'aller au centre de la Terre pour générer des ondes qui annuleraient, d'une certaine façon, le champ géodynamo ou la dynamo terrestre.
Cette idée d'utiliser les ondes pour provoquer quelque chose de grandiose à l'échelle de notre globe terrestre, elle est amusante, elle est intéressante.
Elle n'est pas encore réalisable, mais pourquoi pas ?
2101, sciences et fiction
Conception et réalisation : Patrick Chiuzzi
Avec la voix de Johanna Rousset
Avec la participation de Philippe Roux, physicien
Images bande dessinée 2101 : Guillaume Chaudieu
Développeur : Thomas Goguelin
Image et son : Patrick Chiuzzi et Robin Chiuzzi
Enregistrement voix : Studio Ghümes
Musique : Ludovic Sagnier
Montage : Yann Brigant
Images additionnelles : Expérience retournement temporal, Nicolas Perez, Julio Cezar Adamowski, ESO, Mars in 4k – NASA/M.Kornmesser/Music : Johan B. Monel (www.johanmonell.com), Shutterstock
Chromatiques
Producteur : Patrick Chiuzzi
Assistante réalisateur : Cécile Taillandier
Assistante de production : Élodie Henry
Universcience
Rédaction en chef : Isabelle Bousquet
Production : Isabelle Péricard
Responsable des programmes : Alain Labouze
Avec la participation d’Amcsti
Remerciements : Eloïse Bertrand, Alice Chiuzzi, Agate Chiuzzi, Delphine Boju, Romain Mascagni, Mathieu Gayon
Avec le soutien d’Investissements d’Avenir et la participation du Centre National de la Cinématographie et de l’image animée
© C Productions Chromatiques / Universcience / Centre de recherche astrophysique de Lyon / 2016
Réalisation : Patrick Chiuzzi
Production : Universcience, Centre de recherche astrophysique de Lyon, C Productions Chromatiques
Année de production : 2016
Durée : 11min03
Accessibilité : sous-titres français