1 En 1924, la société Gaiffe-Gallot et Pilon frappe un grand coup. Elle propose pour la première fois un appareil de radioscopie "tout-en-un". 25 ans à peine après la découverte des rayons X la radioscopie devient accessible à tous. Le cœur de l'appareil, c'est l'ampoule de verre qui produit les rayons X. A l'intérieur, un vide quasi-parfait et deux électrodes de métal. Quand ces électrodes sont reliées à une haute tension, un courant électrique circule entre les deux et crée les rayons X, ces rayons invisibles, très pénétrants qui traversent le bois, le métal, la chair. Gros bloc d'une dizaine de kilos, le transformateur se branche sur le secteur. Il élève la tension jusqu'à 50 000 volts. Devant l'ampoule à rayons X, des plaques coulissantes. On ouvre, on ferme : c'est un diaphragme. On règle ainsi les dimensions du faisceau de rayons X pour qu'il soit exactement de la taille de l'écran sur lequel se forme l'image. Le tableau de commande électrique. Il sert sert à faire varier la qualité des rayons X. En manipulant les boutons, on les rend plus ou moins intenses, plus ou moins pénétrants. L'objectif, c'est d'obtenir une image radioscopique bien nette, bien contrastée. En un mot : parlante. Sur l'écran, on pourra alors voir, en ombre chinoise, l'intérieur du corps. En mettant à la place une plaque photographique, on obtiendra une image durable des organes internes. La grande nouveauté de l'appareil, c'est sa simplicité d'utilisation. Parce qu'avant, la radiographie, c'était des meubles énormes, des fils qui couraient partout, une ampoule à rayons X posée sur une table, un écran sur un chevalet. Parfois une énorme machine électrostatique. Et une lorgnette peu pratique pour un usage occasionnel. " Une étrange odeur régnait ici. Une sorte d'ozone éventée emplissait l'atmosphère. " Thomas Mann, la Montagne magique, 1924. " Entre les fenêtres tendues de noir la cabine divisait le laboratoire en deux parties inégales. On distinguait des appareils de physique, des verres concaves, des tableaux de commande, des instruments de mesure dressés verticalement mais aussi une boîte semblable à un appareil photographique sur un chassis à roulettes, des plaques de verre qui étaient encastrées et rangées dans un mur - on ne sait pas si on était dans l'atelier d'un photographe, dans une chambre noire, dans l'atelier d'un inventeur ou dans une officine technique de sorcellerie. " Avec l'appareil de Gaiffe-Gallot et Pilon tout est plus simple. D'une seule main le radiologue monte ou descend l'ampoule, règle le diaphragme, fait varier l'intensité des rayons X. Pas besoin d'un assistant, pas de risque d'électrocution. L'appareil est compact, pratique. N'importe qui peut, en l'achetant, ouvrir son cabinet de radiologie. Première Guerre mondiale, les rayons X sont mobilisés. La célèbre physicienne Marie Curie a l'idée d'envoyer sur le front des voitures radiographiques. A l'intérieur tout le matériel nécessaire pour faire des radios. Les rayons X servent à localiser les éclats d'obus dans le corps des blessés et déjà à dépister la tuberculose. 20 ans : c'est souvent l'âge des poilus, c'est aussi l'âge des rayons X. En 1896 Wilhelm Röntgen un physicien allemand découvre par hasard les rayons X en faisant des expériences avec un tube à vide et de la haute tension. Il réalise alors la première radiographie de l'histoire, celle de la main de sa femme. La nouvelle fait le tour du monde : des rayons mystérieux permettent de voir l'intérieur du corps humain. Georges Gaiffe fabricant de matériel électrique y voit l'opportunité d'un nouveau marché, il se lance dans la production d'ampoules à rayons X. Quand la guerre arrive, la société devenue Gaiffe-Gallot fournit le matériel qui équipe les ambulances radiologiques. Après la guerre la société s'associe avec les établissements Pilon spécialiste des ampoules à rayons X. Le catalogue s'étoffe, il couvre bientôt tous les besoins en matériel médical de haute technologie. La petite société de matériel électrique est devenue une entreprise de renommée internationale. Les rayons X n'intéressent pas seulement les industriels. Des spectacles de foire proposent des attractions étonnantes où l'on dîne avec un squelette. On se dit que l'on va démasquer les voleuses qui cachent des bouteilles sur leur jupe. Ou encore inspecter le contenu des bagages à la douane. Le nouveau procédé de radiocinématographie s'ajoutera utilement aux méthodes déjà éprouvées dans le diagnostic des maladies par les rayons X. Voici une déglutition d'une bouillie barytée opaque. Le squelette d'un pied dans sa chaussure L'image d'un poumon pathologique. Les rayons X sont un véritable jeu. Pour le plaisir de belles images, on s'expose sans modération, on s'irradie copieusement. Bientôt, pourtant, on prend conscience des dangers des radiations. Premiers atteints : les radiologistes. Leurs mains sont brûlées, une petite plaie peut parfois dégénérer en cancer, entraînant la mort. L'idée qu'il faut se protéger des rayons devient lentement une évidence. Dans les années 1930, les cabinets de radiologie se peuplent de boucliers de plomb qui protègent les manipulateurs. Domptés, les rayons X vont alors pouvoir servir la médecine en toute sécurité.