AU TABLEAU !
Jean-Marc Bardintzeff
Peut-on prévoir une éruption ? C’est une question majeure, parce qu’on sait qu’il y a à peu près 500 millions de personnes sur Terre qui sont plus ou moins exposées au risque volcanologique et cette question, ou plutôt cette réponse, c’est l’enjeu majeur de la volcanologie moderne. Donc si on est là, nous les volcanologues, c’est essentiellement pour aider à protéger les populations menacées.
Alors comment ça marche, maintenant ? Bien comprendre comment marche un volcan. Donc je vais dessiner un volcan schématiquement avec son cratère. Voilà. J’ai un volcan et j’ai du magma qui monte donc on a... le magma vient d’assez profond. Il peut avoir un petit réservoir, après il se met encore à monter et puis là on est à un stade où le magma est tellement peu profond que l’éruption peut arriver dans les 24, 48 heures donc on est à un stade quasiment de non-retour.
Alors, qu’est-ce qu’il se passe ? Il faut comprendre que ce magma en montant, il secoue un petit peu l’ensemble du volcan donc il y a un petit peu des ondes sismiques très faibles, très légères mais qui ébranlent un peu le volcan et qui vont être enregistrées par sismographe. Donc on installe sur le volcan des appareils. Voilà. Ils sont dans une caisse, ce sont des appareils très sensibles que l’on appelle des sismographes qui enregistrent tous les mouvements, toutes les vibrations du sol. Ces séismes, ils ne sont pas dangereux pour l’homme, ils sont imperceptibles, à peine perceptibles par l’homme mais le mécanisme, les sismographes, l’enregistre très bien.
Alors voilà un premier capteur qui enregistre une anomalie. Parallèlement, le magma en montant, il élargit un peut le volcan puisqu’il s’insinue dans la structure du volcan. Donc ce volcan, il va un peu grossir, très légèrement bien sûr mais si on a des appareils très précis qui mesurent une distance entre deux points, un point X et un point Y, si le volcan grossit un petit peu, donc j’exagère bien sûr, et bien le point Y va devenir un point Y’. Si je peux mesurer précisément la distance X-Y et X-Y’ et je vois qu’elle augmente, c’est inquiétant. Si j’ai des séismes, une augmentation : première alerte.
Et puis les géophysiciens doivent également mesurer avec d’autres capteurs les variations d’autres champs : un champ électrique, un champ magnétique, un champ gravimétrique... car la montée du magma modifie toutes les propriétés du volcan : le courant est différent, l’électricité, le magnétisme... Puis également, on peut mettre dans le volcan un thermomètre qui mesure la température du sol. Si la température augmente, c’est inquiétant. Ça rappelle un petit peu le médecin. On dit souvent qu’un volcanologue, c’est le médecin de la Terre qui mesure un petit peu les paramètres d’un patient : sa température, son pouls, etc., sa tension. Donc voilà d’autres paramètres qui vont jouer.
Et puis il y a peut-être des gaz qui sortent du volcan. Donc soit par le sommet du volcan, il peut y avoir des gaz qui sortent ou parfois latéralement par une fumerolle. En mesurant également la température des gaz et la composition des gaz, s’il y a des variations brusques, c’est anormal, c’est inquiétant.
Supposez qu’il y ait une source qui jaillisse au pied du volcan. Bien sûr, l’eau de la source percole dans le volcan. Si on voit des variations du débit de la source, de la température de la source, de la composition de la source, voire même de l’acidité de l’eau, ce qu’on appelle le pH, c’est inquiétant. Donc si on a un nombre de paramètres qui varient d’un seul coup ou assez rapidement, sismiques, magnétiques, gravimétriques, de distance, de chimie de gaz, de chimie d’eau, c’est inquiétant. On prévient les autorités qui peuvent éventuellement déclarer une évacuation.
Alors l’idéal, bien sûr, c’est d’avoir aussi, face au volcan dangereux, un observatoire. Alors un observatoire, il y en a à peu près au pied de chacun des volcans les plus dangereux, les cent volcans les plus actifs du monde, les plus dangereux. Il y a un observatoire, donc c’est une maison qui abrite des volcanologues ou des scientifiques avec des antennes, enfin, bien équipée. En général, cet observatoire, il est face au volcan, ni trop près pour ne pas être détruit, ni trop loin pour y voir quelque chose. L’idéal, c’est qu’il soit sur une éminence, sur une petite colline en face. Par exemple sur la Pelée, on parle de « morne » aux Antilles. C’est une morne qui est en face de la Pelée où il y a un observatoire. Et cet observatoire, bien sûr, il a une vue directe - on va lui mettre un petit œil - une vue directe sur le volcan, puis également, il peut capter par radio tous les signaux. En plus, il y a dans le ciel des satellites qui tournent et qui enregistrent des données, qui font également des images du volcan, soit des images photo toutes bêtes, soit des images en fausse couleur pour voir davantage certains domaines comme l’infrarouge ou au contraire des images radar. Et tout ça, ça fait des paramètres qui bougent.
Et il ne faut pas oublier le volcanologue. Le volcanologue, c’est un géologue qui arpente le volcan, donc il a son casque, et puis ce géologue, il se pose la question : ce volcan, qu’a-t-il fait dans le passé ? Parce qu’on l’observe pendant 10 ans, 20 ans, c’est très court. Un volcan ça vit, mettons, 100 000 ans. De même qu’un médecin qui peut observer un patient pendant une demi-heure, il lui demande : quels sont vos antécédents ? Avez-vous déjà eu telle ou telle maladie ? Eh bien le volcan, qu’a-t-il fait dans le passé qu’il pourrait refaire dans l’avenir ? Le volcanologue prélève avec son marteau, qui est son instrument de travail, des échantillons de roches, de cendres, il essaye de les faire dater et à partir de là, il peut retracer le curriculum vitae d’un volcan et imaginer ce qu’il va faire ou ne pas faire. Si dans le passé, le volcan était plutôt explosif, c’est un argument, ou pas.
Donc au total maintenant, on sait assez bien faire, on va dire que les éruptions sont en général bien prévues, bien prédites et il y a eu de bons résultats récemment au Pinatubo aux Philippines, à la Soufrière de Montserrat. Donc on va dire que la prévision des éruptions est quelque chose qui est maintenant en très gros progrès et qui est quand même assez satisfaisant.