Un cheval qui tourne en rond dans son box. Un autre qui fait des mouvements de bouche un peu rigolos. Ces vidéos sont partout sur les réseaux sociaux et témoignent pourtant du mal-être de ces animaux. Une souffrance qui peut aussi toucher les chevaux de compétition qui vivent dans des conditions très particulières, mais restent peu étudiés. Mais alors, comment savoir s'ils sont heureux ?
- Dans le monde du cheval, tout le monde veut faire bien avec son cheval, veut le mettre dans le meilleur état de bien-être possible, mais on n'a pas toujours les connaissances pour que cela aboutisse. Au centre de recherche INRAE de Nouzilly près de Tours, des scientifiques s'intéressent de près au bien-être et au comportement des chevaux. Ils s'appuient pour cela sur le troupeau du centre qui compte une centaine de juments élevées sur place.
- Le bien-être du cheval, c'est de correspondre à ses besoins et c'est qu'il soit dans un bien-être aussi bien physique que mental. Les programmes de recherche qu'on mène, c'est d'étudier les chevaux au plus près afin d'identifier les émotions qu'ils ressentent, porte d'entrée à leur univers mental. Une fois qu'on arrive à décrypter ces émotions, on les met dans les meilleures situations pour améliorer leur bien-être animal. On s'attache à décrypter les expressions faciales du cheval parce que, tout comme nous, ils manifestent ces émotions au travers de plein de mimiques. Alors qu'on vit avec eux depuis plus de 4 000 ans, on a du mal à détecter ces mimiques et à savoir à quelles émotions elles correspondent. Il y en a qui sont sans doute similaires aux émotions humaines, par exemple la peur. Ça clairement, ils l'ont. Nous l'avons aussi. Peut-être qu'ils ont des émotions que nous, nous ne connaissons pas. Et puis inversement. Donc c'est vraiment tout l'intérêt de ces recherches. La peur. Vous pouvez le mettre, ils ont illustré la peur. L'équipe INRAE a mené une étude en ligne sur plus de 800 participants pour étudier la reconnaissance des émotions à partir de photos de chevaux. Léa et son équipe ont démontré la difficulté à reconnaître leurs émotions même pour des cavaliers expérimentés.
- Au-delà des expressions faciales, on travaille aussi sur les comportements et les comportements qui signent des états de mal-être. Et parmi ces comportements, on a tous les comportements, les tics, qu'on appelle en science les stéréotypies. Et donc c'est des chevaux qui se mettent à faire des séquences qui peuvent paraître amusantes. On voit sur les réseaux des gens hilares, qui mettent des smileys quand les chevaux comme ça basculent la tête d'un côté ou de l'autre, à tirer la langue. Parce que comme ça, ça paraît amusant. Et en réalité, c'est pas du tout amusant, ça traduit des états de mal-être profonds. Les scientifiques s'accordent aujourd'hui sur trois facteurs essentiels pour garantir le bien-être du cheval. Appelés aussi les 3 F. Il s'agit de "Forage", l'accès au fourrage. "Friends", les contacts sociaux avec des congénères ou encore "Freedom", la liberté de mouvement. Ces trois facteurs s'appliquent-ils aussi aux chevaux de compétition ?
- Un cheval de compétition, c'est un cheval qu'on utilise pour la compétition de haut niveau. Donc à un niveau national ou international. C'est des chevaux qui vont être utilisés pour le saut d'obstacles, le dressage, le complet ou le para-dressage. Ce sont des chevaux qui vont avoir vraiment des conditions de vie très particulières, parce qu'ils vont être utilisés pour ces compétitions-là. Donc ils ont un physique qui est très surveillé, une nutrition très surveillée, une santé très surveillée. Ils vont même voyager à l'international, prendre l'avion. Le cheval de sport de haut niveau, il est beaucoup moins étudié que le cheval de club ou même que les chevaux ici à l'INRAE, car ils sont dans des structures privées. Romane s'est rendue dans 13 écuries afin d'analyser le mode de vie de 56 chevaux de compétition. L'objectif : déterminer si les 3 facteurs de bien-être de ces chevaux sont bien respectés.
- Ça va, beauté, alors ? Donc là, j'évalue les différents critères sur le terrain, à l'écurie notamment, et je suis en train de faire des analyses de comportement pour voir justement si on peut repérer les stéréotypies. À partir des comportements observés, un score de bien-être a ainsi été calculé pour chaque cheval. Résultat, l'étude a, par exemple, montré que les chevaux qui passent au moins la moitié de la journée à l'extérieur ont un score 10 fois supérieur à ceux qui n'y ont pas accès. - Ces trois facteurs de bien-être ont une grande variabilité au sein des différentes écuries que j'ai pu visiter. Ce qui est vraiment très intéressant, c'est de voir que les chevaux dont les conditions de vie ne respectaient pas les 3 F, montraient beaucoup plus de stéréotypies que les autres. Donc respecter ces trois facteurs de bien-être, c'est essentiel, mais c'est aussi possible, et ce n'est pas incompatible avec la performance du cheval de sport de haut niveau. Il va comment, ton poulain ? Évaluer ces trois facteurs et ces comportements anormaux fournit des informations sur le bien-être du cheval de compétition au box. Mais le cheval peut exprimer du mal-être lorsqu'il est monté. C'est pourquoi l'équipe de recherche a conçu un outil pour analyser le confort du cheval à l'exercice, et ce de manière automatique. On a développé au sein de l'INRAE une intelligence artificielle qui permet de catégoriser le cheval monté selon qu'il soit en confort ou en inconfort. En état de confort, on a les oreilles en avant, des yeux ouverts sans blanc, une bouche fermée, la tête qui n'est pas en arrière de cette verticale-là et la queue en état neutre. Pour un cheval en inconfort, on va avoir des oreilles tournées vers l'arrière, une tension au niveau de l'œil et ici la bouche ouverte. Ce qu'on a fait, c'est qu'on a labellisé à la main ces parties du corps. Donc tout ce qui est en confort ou en inconfort sur plus de mille images. Une fois que l'IA a ces jeux de données, elle va pouvoir apprendre et catégoriser automatiquement ces images. L'intelligence artificielle a classé correctement le confort ou l'inconfort des chevaux dans 87 % des cas. Ce résultat fait naître la perspective d'une application mobile qui serait capable d'apprécier l'état d'esprit des chevaux pendant les concours équestres. Dans ces compétitions, les cavaliers peuvent ressentir du stress, car ils sont mis à rude épreuve, tout comme leur monture. Ces émotions sont perçues par les chevaux et peuvent même influencer leur état d'esprit.
- Nous, on a besoin d'IA pour décrypter les émotions des chevaux, alors qu'eux, ils le font sans technologie. Ils peuvent percevoir nos émotions en observant nos expressions faciales ou en écoutant le ton de notre voix. Par exemple, ils différencieront une expression de joie d'une expression de tristesse. On a découvert aussi qu'ils peuvent sentir nos émotions dans nos odeurs. Après s'être intéressées à la vue et à l'ouïe, les chercheuses ont voulu savoir si les chevaux percevaient nos émotions par le biais de nos odeurs corporelles. Pour cela, elles ont fait regarder à un groupe de volontaires, soit un film d'horreur soit un film joyeux. Les odeurs de transpiration ont été récoltées grâce à des compresses sous leurs aisselles tout au long du film. Ces échantillons ont ensuite été présentés aux chevaux pour observer leurs réactions à ces odeurs.
- Là, maintenant qu'elle a eu l'odeur de peur, on va prendre sa salive. Allez ! Je te laisse tenir le tube. On va récupérer un petit peu de salive pour doser le niveau de cortisol salivaire qui est donc notre hormone de stress. On va voir si cette hormone augmente ou pas. Les scientifiques ont également effectué des tests comportementaux et mesuré la fréquence cardiaque des animaux. On voit la fréquence cardiaque du cheval sur le téléphone, grâce à la ceinture. On a une fréquence d'à peu près 100 battements par minute, c'est un peu stressé, peut-être à cause de l'odeur de peur qu'on lui a fait sentir. Et on a remarqué qu'effectivement, quand ils sentent une odeur humaine de peur, les chevaux sont eux-mêmes plus stressés, ils sont dans un état plus apeuré que quand ils sentent une odeur de joie ou une odeur neutre. C'est ce qu'on appelle la contagion émotionnelle. C'est le fait qu'une émotion puisse passer d'un individu à l'autre, ici de l'humain au cheval, par les odeurs. C'est quelque chose qui paraissait évident pour certains, on pouvait l'entendre dans les centres équestres ou même à propos d'autres animaux, mais en fait, on ne le savait pas vraiment et maintenant avec ces expériences, c'est prouvé de manière objective. En pratique, savoir que les émotions du cavalier influencent celles de son cheval lui permet de mieux comprendre les réactions de sa monture et d'adapter ses pratiques. Si un cavalier ne parvient pas à réaliser un exercice avec son binôme, il faut parfois attendre d'être dans de meilleures dispositions. Le but de ces projets, c'est vraiment d'apporter des outils concrets qui permettent à tout à chacun de voir si un cheval est dans un état de bien-être et potentiellement heureux ou au contraire, s'il y a des choses à améliorer. Ce sont vraiment des outils qu'on met à disposition. Malgré leurs conditions de vie très particulières, les chevaux de sport doivent être traités selon les mêmes facteurs de bien-être que les autres chevaux. Selon une étude de Romane Phelipon, ces conditions de vie sont compatibles avec la performance de haut niveau. Les recherches scientifiques dans le domaine permettent justement de préserver les chevaux et d'adapter au mieux le monde de l'équitation au respect du bien-être animal. C'est en tout cas le cheval de bataille des équipes du centre de recherche de Nouzilly.