Comment lutter contre l'alcoolisme ?
Peut-on guérir de l'alcoolisme ? Comment améliorer la prise en charge ? Quid des nouveaux comportements observés chez les jeunes ? Avec Michel Reynaud, psychiatre et addictologue (hôpital Paul-Brousse, Villejuif), et Michel Craplet, psychiatre (Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie).
Réalisation : Sylvie Allonneau
Production : Universcience
Année de production : 2011
Durée : 30min01
Accessibilité : sous-titres français
Comment lutter contre l'alcoolisme ?
DÉBAT ET VICE-VERSA - ALCOOLISME (Habillage en gras) LE DÉBAT ET VICE-VERSA Un plateau, deux invités seuls devant les caméras. Ils sont là pour mener un débat exactement comme ils le veulent. Le débat et vice-versa Comment lutter contre l'alcoolisme ? Plateau de tournage. Mais pour commencer, petit aparté. Premier invité, qui êtes-vous ? Je m'appelle Michel Reynaud, je suis psychiatre, addictologue, chef de service du service l'albatros à l'hôpital Paul Brousse à Villejuif et professeur à Paris 11 et ça fait donc de nombreuses années que je m'occupe d'addictions, que donc j'aide les patients à sortir un peu de leur souffrance et surtout, avec beaucoup d'autres, à organiser un dispositif de soin et à changer les représentations sur ces maladies. Deuxième invité, même question, qui êtes-vous ? Alors je m'appelle Michel Craplet, je suis psychiatre à l'origine, je suis spécialisé en alcoologie. Je travaille, je dirais au niveau local dans l'unité d'alcoologie du centre hospitalier de Saint-Cloud, au niveau national comme médecin délégué de l'Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie et au niveau européen comme président d'une association qui s'appelle Eurocare et qui fait de la sensibilisation des institutions européennes à la prévention du risque alcool. Top chrono, vous avez maintenant trente minutes pour vous exprimer et vous écouter avec une lumière rouge qui s'allumera si on a besoin de vous interrompre. Comment lutter contre l'alcoolisme ? Je trouve que cette façon de poser le problème est déjà assez marquée parce qu'alcoolisme, ça représente quoi l'alcoolisme parce que l'alcoolique c'est pas nous et c'est donc une bonne façon de ne pas voir en quoi on est concerné et puis « lutter contre » ça a un côté fléau social qui n'est plus ce que nous cherchons à faire maintenant, c'est-à-dire on cherche à aider les gens à comprendre qu'ils ont des comportements et pas simplement à déléguer à l'État et à des associations la lutte contre l'alcoolisme. Oui, la lutte contre l'alcoolisme a démarré en fait à la fin du XIXe siècle, c'est un vocabulaire de l'époque et à l'époque « alcoolisme » c'était plutôt un mot qui faisait du bien par rapport à l'ivrognerie. Maintenant l'alcoolisme effectivement ça stigmatise et puis surtout l'alcoolisme ça circonscrit le problème alors que le problème c'est pas l'alcoolisme, le problème c'est le risque alcool, le problème c'est toute l'alcoolisation qui va entraîner des dommages quelquefois modérés, qui va entraîner à la fois des complications médicales et puis sociales et puis bon, l’absentéisme, des choses très – qui ne sont pas spectaculaires. « Alcoolisme » est un mot – est un gros mot alors qu'en fait... « Alcoolisme » c'est comme la toxicomanie c'est qu'on – je pense qu'on voit maintenant quand on parle d'alcoolisme ou de toxicomanie c'est une représentation ancienne avec des – enfin qui a des conséquences sur la façon de traiter les malades et de les positionner. Quand on parle d'addiction on est beaucoup plus sur le comportement que sur le produit et on peut s'intéresser au problème lorsqu'il débute. Tandis que vraiment quand on est alcoolique ou toxicomane on est en fin de parcours alors que l'essentiel des problèmes liés à l'alcool surviennent avant qu'on soit alcoolique. Le débat et vice-versa Des consommateurs de plus en plus jeunes ? Des consommateurs de plus en plus jeunes. La question de l'alcoolisme, là, ne se pose pas de cette manière-là. Les consommateurs qui ont des problèmes et c'est vrai que le nouveau problème social c'est la consommation massive des jeunes, c'est pas des alcooliques. Oui, c'est pas des alcooliques, ils sont loin d'être avec les complications médicales qu'on leur – quelquefois on avance pour leur faire peur et ça sert à rien de leur faire peur d'ailleurs, en fait on peut aussi aimer avoir peur donc effectivement ce sont pas des alcooliques, ce sont des gens qui se défoncent, ce sont des gens qui boivent beaucoup et qui boivent en mélangeant avec d'autres produits, des drogues ou avec effectivement des médicaments psychotropes donc il y a actuellement une modification des manières de boire en général, une modification des manières de consommer des substances psychoactives et donc il y a probablement un rajeunissement, probablement une initiation plus précoce mais comme d'autres comportements. Je pense qu'aussi les jeunes, bon, voyagent davantage, sont ouverts davantage sur le monde. Moi j'ai quand même vraiment l'impression que c'est le changement de ces dix dernières années, parce que des cuites il y en a eu de toutes les époques, mais maintenant la cuite systématique dans toutes les soirées, valorisée, que l'on envoie sur Facebook, que les jeunes femmes n'hésitent pas à montrer, c'est vraiment le changement culturel de ces dix dernières années et ce changement il arrive pas par hasard. Derrière, il y a toute une stratégie de l'industrie pour amener à consommer de cette manière-là. On l'a vu avec... L'invention de nouvelles boissons, de nouveaux modes de consommation, happy hours, etc. ça arrive pas par hasard, ça... Les open bar, les soutiens des – ce qu'on appelle les WI, là, les week-end d'intégration, les soutiens aux grandes écoles, vraiment c'est une stratégie d'initiation à la cuite comme élément normal de la culture qui est le changement fondamental. Les consommations des sujets adultes quotidiennes de vin ont considérablement diminuées. Ces changements arrivent du nord, effectivement. C'est plutôt des manières de consommation qu'on observait auparavant dans les pays nordiques donc effectivement ça compte beaucoup mais en même temps c'est vrai qu'il y a une sorte de résistance, quand même, nationale, on a l'impression quand même que c'est un peu différent dans ce qui se passe entre l'Espagne, la France et l'Italie, même si ce sont des pays – des pays frères ou des pays cousins, il y a quand même une grande résistance sur les manières de boire comme les manières d'ailleurs de manger qui sont, là, résistent un peu à cette mondialisation, cette globalisation. Mais en même temps c'est vrai, ça arrive dans tous les milieux, surtout dans tous les milieux parce qu'auparavant on avait parlé effectivement des jeunes défavorisés et puis on a découvert il y a cinq ans que dans les grandes écoles et parmi les gens les plus favorisés c'est le même comportement qui arrive. Le problème apparaît d'ailleurs parce qu'il y a eu un certain nombre de morts dans les grandes écoles où sont les fils d'hommes politiques, de journalistes, ou de – et c'est là qu'on s'est rendu compte qu'il y avait ce nouveau comportement que l'on croyait réservé aux canettes de bière de 50 pour les jeunes SDF. Non, c'est devenu – Mais là où je suis pas totalement d'accord c'est que même si on a une culture française du boire et du bien boire, cette puissance de l'industrie a fait apprendre à consommer de cette manière massive en s'appuyant sur les effets euphorisants de l'alcool et non pas sur les effets plaisir plus subtiles que peut donner le vin, me paraît déjà être très largement engagée. On a une évolution dans ces dix dernières années avec un doublement des ivresses aux urgences et des complications : des hépatites aiguës, des pancréatites aiguës, c'est devenu la première cause de mortalité, l'accidentalité routière chez les moins de 25 ans et c'est très directement lié à l'alcool et à cette manière de consommer. Le changement c'est qu'on se représente l'alcoolique comme le consommateur de vin ou de bière quotidien et lourd. Il y a maintenant une nouvelle manière de consommer qui a des dommages massifs qui est une consommation pour être beurré et alors ça commence par le plaisir que tout le monde connaît, de cette exaltation, de cette euphorie, de ce bien être de la consommation d'alcool mais très vite, ce qui est recherché, en tout cas chez certains, c'est la défonce. Oui, en tout cas chez certains et ça a toujours été le cas pour certains, depuis longtemps. Il faudrait peut-être aussi – vous avez parlé du mot plaisir – essayer de définir le mot plaisir parce qu'effectivement entre le plaisir que les producteurs de vin vont dire « le plaisir organoleptique », « le plaisir convivial » Organoleptique : Se dit de ce qui est capable de stimuler un récepteur sensoriel. Effectivement et puis le plaisir psychoactif, effectivement qui est l'abolition du déplaisir en quelque sorte. Il y a le plaisir du goût, le plaisir du boire ensemble et puis le plaisir effectivement après de la – psychoactif de la défonce, de l'oubli que ça entraîne donc il y a des mots comme ça, plaisir, qui sont des mots-valises qui passent d'un champ à l'autre, qui sont quelquefois mal utilisés. Mais de la même façon qu'on parle des industriels de l'alcool, drink industry disent les Anglais, mais chez nous dans les pays méditerranéens on a ces viticulteurs, on a aussi des gens un peu différents qui n'ont pas les mêmes – la même puissance économique mais qui ont une puissance politique importante. On voit d'ailleurs très bien comment les industriels de l'alcool manipulent souvent... Manipulent... Les viticulteurs. Les viticulteurs, les petits viticulteurs qui sont vraiment en grande difficulté en France parce qu'il y a des milliers de châteaux et des milliers de goûts différents donc une impossibilité à bien communiquer en dehors de son terroir d'origine, alors que l'alcool industriel est fantastiquement communicable. Oui et son rêve c'est de communiquer de la même façon dans le monde entier. Oui mais c'est à peu près fait. Quand on regarde, d'ailleurs, Ricard n'a pas acheté de vignobles en France, il les a achetés en Australie parce que c'est beaucoup plus facile de communiquer sur des vins standardisés. On a vu à propos de la loi Évin Loi Évin (10 janvier 1991) : Elle limite, entre autres, le droit à la publicité pour les boissons alcoolisées. Que les industriels de l'alcool ont essayé de mobiliser les viticulteurs pour leur dire « regardez, cette loi Évin, c'est terrible, il faut effectivement la combattre. » Et c'est vrai que les viticulteurs ont une force politique au parlement et ailleurs pour la combattre alors qu'en fait, finalement, la loi Évin elle est sans doute dirigée contre les industriels de l'alcool, contre des gens qui n'ont pas d'autres moyens de promouvoir leur produit. Alors que les viticulteurs ils ont les routes du vin, ils ont surtout la tradition française. Donc il y a là une manipulation aussi au niveau des – en utilisant des produits prestigieux de la viticulture française. Oui. Donc voilà, on va mettre en avant des crus exceptionnels, on va mettre en avant des châteaux exceptionnels pour promouvoir finalement la molécule d'éthanol. Le problème, c'est ça, c'est que dans le meilleur des vins il y a effectivement cette molécule d'éthanol qui va entraîner des dommages considérables et qui sont des dommages qui seront les mêmes qu'il s'agisse de vin ou qu'il s'agisse de distillé. Mais ce que l'on voit quand même depuis 40 ans c'est une diminution très régulière de la consommation de vin qui a dû diminuer des trois quarts et c'est bien le problème également des viticulteurs qui donc ont besoin de trouver de nouveaux marchés, en particulier les femmes et les jeunes, mais sur ces marchés-là, la puissance de communication de l'industrie alcoolière, c'est-à-dire des bières et des alcools forts, est infiniment plus puissante et la vodka est devenue le produit le plus rentable et celui qui est le plus visible dans les linéaires de supermarché et celui qui est le plus promu dans les soirées donc il y a – les viticulteurs servent de paravents à l'industrie alcoolière. Alors tout serait de la faute de l'industrie alcoolière dont les jeunes en particulier sont les otages tout désignés. Mais n'y a-t-il pas d'autres raisons à cette recrudescence ? Les industriels créent un contexte social et dans ce contexte social il y a des incitations à boire et plutôt à boire certains produits. Après, il y a toujours, il reste toujours un choix personnel, sachant que même – que nos choix ne sont plus que partiellement libres. Il y a à la fois des pressions sociales mais on n'est pas égaux, ni sur le plan génétique par rapport à l'alcool, ni sur le plan de l'histoire propre, c'est-à-dire des consommations familiales qui nous y incitent ou aussi des traumatismes qu'on a pu vivre qui font que l'on recherche plus le côté apaisant de l'alcool. Donc il y a pas une responsabilité unique, ça serait trop simple. Oui, on pourrait dire effectivement que les industriels font très bien leur métier de vendre, nous on fait très bien notre métier, on essaye de faire notre métier en essayant de faire de la prévention et du soin. Ce qu'on pourrait reprocher aux industriels le plus c'est d'essayer de faire croire qu'ils font de la prévention. On sait très bien que les méthodes de prévention utilisées par les industriels... Sont au contraire des méthodes d'incitation à la consommation. Oui, sont des méthodes efficaces, ils vont choisir effectivement des méthodes inefficaces. « Celui qui conduit c'est celui qui ne boit pas » ont-ils promu, ce qui a autorisé tous les autres à se beurrer en boîte et il y en a toujours en plus qui conduisent en ayant bu. Et on a des expériences scientifiques montrant que justement quand on a ces programmes « celui qui conduit c'est celui qui ne boit pas », les autres boivent davantage. On a mesuré ça. Oui, oui. Et ce que l'on sait c'est que le nombre de comas éthyliques aux urgences a triplé ces cinq dernières années, notamment chez les moins de 18 ans et que le nombre de complications du type pancréatite ou hépatite aiguës a triplé également donc ça laisse à penser que les consommations ont de l'ordre de triplé entre les sujets de 15 et 30 ans par rapport ça ce qu'elles étaient il y a une dizaine d'années. Et dans les services spécialisés, on voit aussi arriver des alcoolo-dépendants... Beaucoup plus précoces. De plus en plus jeunes. C'est plus le sujet d'une quarantaine d'années... À l'hôpital de Saint-Cloud, quand j'ai commencé il y a trente ans, effectivement c'était des gens de 45 ans et alors là, on anticipe un peu sur le point du traitement mais c'est vrai qu'avec ces gens-là on essayait de les aider à retrouver ce qu'ils avaient perdu alors qu'effectivement quand c'est un jeune de 25 ans, c'est beaucoup plus difficile, c'est qu'il faut souvent, quelque chose qu'il n'a jamais eu. Il n'a jamais eu de vie adulte normale, je dirais et donc c'est avec eux qu'il faut travailler. On voit arriver des gens dépendants de 20... Oui 25 ans maintenant, qui on commencé à 15 ans et qui ont dix années de consommation massive. Parce qu'il faut quand-même dix ans pour devenir alcoolo-dépendant et le problème c'est, bon... et encore, si on est vulnérable. Oui, oui. Voilà, c'est 5 à 10 ans si on est vulnérable. Si on est peu vulnérable il faut 25 ans. La blague de comptoir, « l'alcool tue lentement, on s'en moque on n'est pas pressé » c'est une vérité clinique et c'est bien ça le piège de l'alcool c'est qu'effectivement c'est très insidieux c'est une initiation souvent lente et après des dommages qui sont retardés et qui arrivent après, quelquefois, plusieurs dizaines d'années. Le débat et vice-versa Peut-on en guérir ? Alors peut-on en guérir ? Voilà une question bien classique. Oui mais avec ce mot « guérison » qui moi me gêne toujours parce que bon... C'est comme alcoolique. Ça revient dans toutes les discussions, tous les groupes de parole qu'on anime et souvent quand on me pose la question moi je dis « vous savez la guérison, en médecine, est-ce que ça existe si souvent que ça ? » et je donne des exemples de maladies somatiques bien claires, je veux dire de maladies métaboliques où il s'agit pas de guérison mais il s'agit de rétablissement. Il s'agit effectivement d'avoir une nouvelle hygiène de vie, il s'agit d'abord de connaître sa maladie. Bon, et alors après, qu'est-ce que ça veut dire « guérir » ? Est-ce que dans l'idée sous-jacente, est-ce que « peut-on guérir ? » ça veut dire « est-ce que je peux un jour reboire normalement ? » parce que ça peut vouloir dire ça. Donc il faudrait s'entendre effectivement sur... Et en plus, là ce que vous décrivez c'est le problème de la guérison chez l'alcoolo-dépendant installé. Ce dont on a parlé précédemment qui sont les consommations des jeunes, qui sont à la limite entre ce qu'on appelle entre spécialistes, l'abus, qui est une pathologie, déjà, et la dépendance qui est l'impossibilité concrète et permanente de s'abstenir de consommer. Il y a déjà dans l'abus un problème médical mais où le problème est de – plus encore que pour le dépendant – d'apprendre à contrôler ses consommations et pas forcément à arrêter. Donc parler de guérison c'est parler de maladie or l'alcool avant d'être une maladie est un trouble et un trouble du comportement long et sur lequel on peut agir, que l'on peut essayer de modifier et qui ne nécessite pas, comment dire, un label médical. On peut parler de maladie et de guérison si on prend la définition de Woody Allen, « la vie, effectivement est une maladie mortelle sexuellement transmissible. » Donc effectivement c'est guérir de la vie. Bon effectivement quand on débute dans la vie, quand on découvre la vie, est-ce qu'on va pouvoir en guérir ? Est-ce qu'on va pouvoir vivre avec cette, bon avec des difficultés existentielles, avec des difficultés sociales, des difficultés personnelles, avec toute une histoire ? Déjà tout à l'heure vous brossiez le tableau en disant qu'il y a des facteurs biologiques, des facteurs psychologiques, des facteurs sociaux. Dans les facteurs psychologiques il y a effectivement la vulnérabilité, et puis toute l'histoire qu'on porte, son histoire et puis l'histoire de ses parents, quelquefois l'histoire de ses grands-parents. Mais, alors une fois qu'on a fait cette espèce de tentative d'éclaircissement, je crois qu'il faut dire clairement qu'on peut guérir et que la plupart de nos patients et la plupart des gens en difficulté avec l'alcool s'améliorent et réussissent à vivre mieux avec l'aide, avec notre aide, avec celle des associations d'anciens buveurs et avec leur volonté et le soutien de l'encadre – enfin de leurs proches. Avant-hier, on a un groupe de parole, un patient me posait la question brutalement « mais combien de chances de réussite après un sevrage, après un séjour, après une cure comme on appelle ça ? » Il disait « combien de chances de réussite ? » Alors je lui ai répondu très clairement comme je fais très souvent « entre 0 et 100 %. » C'est-à-dire que si effectivement vous ne faîtes rien de ce qu'on vous propose, de ce qu'on vous conseille, vous avez 0 % de chance de réussir. Si vous pouvez utiliser, si on a été suffisamment clair pour vous expliquer les moyens et si vous pouvez les utiliser, vous approchez des 100 % et c'est pas une question de roulette, c'est pas effectivement combien de risque, c'est pas comme dans effectivement un traitement médical où ça dépend pas de vous. Ça dépend uniquement de vous donc le chiffre de réussite il va dépendre de vous et pas du tout de nous. Alors après on a des données statistiques mais elles sont compliquées parce qu'elles sont faites sur les alcoolo-dépendants les plus graves rentrés dans un dispositif de soin, donc on dit un 1/3 continuent, 1/3 s'améliorent et 1/3 guérissent. En réalité, si on prend des définitions beaucoup plus larges des gens qui souffrent avec l'alcool, il y en a beaucoup plus et lorsque les patients acceptent effectivement les soins, il y en a également beaucoup plus. Donc il existerait des méthodes, des traitements efficaces pour guérir mais lesquels ? Ben, les traitements, on a bien vu la complexité, ils sont à adapter en fonction de l'histoire de chaque patient et ce que chaque patient veut, a comme objectif. Ça peut être essayer d'aller vers une consommation contrôlée d'alcool, notamment pour les patients peu dépendants. Ça peut être aussi, et c'est très souvent avec des médicaments. Mais il est clair que ces effets intéressants doivent s'inscrire dans une prise en charge avec une véritable motivation au changement et un accompagnement. J'ai tendance à penser que – j'ai à peu près la certitude qu'il n'y a pas de médicament miracle. Non, du malaise de la vie, le médicament miracle c'était l'alcool. C'est bien évident. Donc il faut se sevrer de cette idée que c'est un médicament qui va pouvoir compenser le manque, compenser l'attente, jouer dans les mécanismes de séparation, qui va soulager la difficulté psychique donc il va falloir accepter que le – ben je dirais que le médicament c'est l'humain, c'est le contact, c'est la relation. C'est même tellement – l'attente du miracle est tellement importante que les associations d'anciens buveurs ont bien souvent des références spirituelles et Dieu ou son équivalent est souvent utilisé comme le protecteur de l'alcoolique et on voit également, il y a une émission de télé récente où on reparlait parce que j'ai hélas un peu d'ancienneté, on voit réapparaître l'iboga, Iboga (Afrique) l'ayahusaca, Ayahusaca (Amérique latine) Plantes psychotropes le fantasme d'une plante qui guérit ce miracle ailleurs et pour le moment ça a un petit côté magique qui est le contrepoids de cette espèce d'horreur qu'est la perte de contrôle et peut-être qu'on se dit « quelqu'un nous rendra le contrôle. » Alors ça peut être un miracle, ça peut être la puissance divine. Hélas, ça n'est pas si simple. Non, c'est pas si simple alors que le problème c'est que l'alcool c'est mauvais parce que c'est bon au départ, effectivement, que l'alcool apporte beaucoup aux personnes qui ont des difficultés. Moi je compare quelquefois, je sais pas ce que vous en pensez, l'alcool à une sorte de passe-partout dans le cerveau, c'est une petite molécule très simple qui va ouvrir des voies, qui va jouer donc de ce point de vue là, du point de vue de la dépression, qui va agir au niveau d'autres, d'autres produits psychoactifs. On sait effectivement que les lois entre alcool et tabac sont – ont des liens. Donc ces petits passe-partout qui permettent de soulager une certaine souffrance c'est l'alcool et c'est le produit que des gens sensibles, des gens ont choisi. On choisit effectivement de la consommation d'alcool parce qu'on supporte bien d'abord et ensuite parce que ça procure un effet que d'autres substances psychoactives ne procureraient pas. Ben, de façon volontairement simplifiée, quand on dit qu'on n'est pas tous égaux devant l'alcool, il y a des sujets qui boivent à la recherche de l'ivresse, à la recherche de sensations dans le besoin de vivre des choses fortes et ceux-là sont plus à risques et on a maintenant des éléments génétiques qui permettent de le dire. Et puis il y en a d'autres qui boivent parce que l'alcool apaise une tension, une souffrance et qui est en général liée à leur histoire et ceux-là sont également plus à risque, c'est-à-dire qu'on boit tous, mais chez certains ça fait plus. Et ça fait plus parce que ça leur procure des sensations plus importantes qu'ils vont chercher, ou parce qu'ils se sentent mieux, tout le monde à l'occasion d'un chagrin d'amour a expérimenté l'effet apaisant et calmant et guérissant de l'alcool. Eh ben quand on a une espèce de chagrin d'amour ancien de toute son histoire, quand on rencontre l'alcool on se rend compte qu'on est mieux. Je crois que peut-être on peut insister, c'est important, pour dire, je sors d'une formule que celui qui est en risque de développer une alcoolo-dépendance, en risque de devenir alcoolo-dépendant ou dépendant en général, c'est celui qui au départ supporte bien, tolère bien l'alcool. C'est celui qui supporte bien l'alcool qui est le plus en risque. Qui aura le plus envie d'y retourner. Ben oui. Envie d'y retourner parce qu'il supporte bien, envie d'y retourner parce qu'il a des emmerdes autour de lui, parce qu'effectivement, voilà, il a aussi des tentations, il a aussi beaucoup d'alcool autour de lui donc s'il le supporte bien il y va et il est pas du tout protégé au contraire de ce qu'on croit en général ; « Ah, ben moi je supporte bien donc je peux boire. » Non, « Si je supporte bien je devrais me méfier. » Oui, oui. Le débat vice-versa Comment améliorer la prise en charge ? Comment améliorer la prise en charge ? On l'a déjà pas mal évoqué en montrant d'abord qu'il faut repérer que tous les – enfin il y a pas un alcoolo-dépendant, il y a pas un alcoolique, il y a vraiment des tas de façons d'avoir des problèmes avec l'alcool et nous ne sommes pas tous égaux avec l'alcool, donc forcément il faut que dans les prises en charge tout ceci ait été évalué. On ne traitera pas de la même manière quelqu'un qui a des souffrances psychologiques et quelqu'un qui est chercheur de sensations, ni sur le plan psychothérapique, ni avec les médicaments. On va maintenant vers une spécialisation de la prescription des médicaments en fonction des profils des patients et vraisemblablement on aura, comme pour le cancer dans quelques années, des profils génétiques qui nous permettront de mieux cibler nos prescriptions médicamenteuses. Mais le médicament n'est qu'une petite partie de la prise en charge. Oui parce qu'on peut aussi critiquer quand même effectivement l'intitulé, la prise en charge. On prend pas les gens en charge sur le dos. On accompagne. On accompagne. Maintenant, mais plus généralement, parce qu'on parle pas seulement d'alcoolisme, plus généralement il y a effectivement, peut-être là une prise en charge sociale. Il y a effectivement probablement de la part des pouvoirs publics, de la part des associations, de la part des médecins, peut-être une meilleure cohérence à trouver. Donc, on manque probablement de cohérence. Bon, ben là on retombe dans le débat social sur effectivement, se plaindre, stigmatiser, hurler sur le binge drinking des jeunes. Binge drinking : Hyperalcoolisation Comme font certains responsables publics et puis autoriser, laisser faire les... Les publicités sur internet. Oui, par exemple. Ce qui est totalement contradictoire et qui participe à l'augmentation de la consommation des jeunes. C'est vrai que c'est ridicule de crier, de montrer du doigt d'ailleurs en plus les jeunes. On leur dit voilà, regardez toutes les conneries qu'ils font et en même temps d'autoriser la publicité pour l'alcool sur le site préférentiel des jeunes. Moi, il y a un truc que j'aimerais quand même vraiment qu'on aborde c'est l'organisation des soins et l'espèce d'aveuglement, on parlait de lutte contre l'alcoolisme au début de ce débat. La lutte contre l'alcoolisme ça représente la lutte contre les fléaux sociaux déléguée au social et ne concernant finalement que très peu les médecins. Jusqu'à il y a dix ans, en parlant de lutte contre l'alcoolisme, on avait appris aux médecins à soigner les complications de l'alcool mais absolument pas à s'occuper de ses conduites de consommation et c'est un changement mais un changement long qui est à la fois dans la société et dans le monde médical, qui est d'apprendre à s'intéresser à ses comportements et à leurs troubles. Oui, avec des patients, des malades, des personnes qui demandent du temps donc c'est vrai que là il y a une nécessité que les médecins généralistes par exemple, mais aussi les médecins du travail aient le temps et d'abord la formation et le temps pour s'intéresser à ces questions. Donc il y a les questions d'éducation, les questions d'information, les questions de formation des professionnels donc c'est tout ça qui est en jeu pour que – si on parle de prise en charge, d'accompagnement spécialisé, aussi pour informer les gens sur le – pour leur dire que vous pouvez aller consulter un spécialiste, vous pouvez aller dans un hôpital, on va pas vous retenir de force par exemple, c'est basé sur le volontariat donc si vous allez consulter on va pas vous sauter dessus et vous enfermer. Bon, ça c'est une première chose pour entrer dans un service de soin, dans un système thérapeutique. Peut-être, la deuxième information aussi à donner, c'est que tout n'est pas réglé par un sevrage, tout n'est pas réglé par une cure. C'est toujours la recherche du miracle. Oui, la cure, exactement, on pense à un traitement et on passe à un sevrage dans un service spécialisé. « Ah, ben puisque je suis allé dans ce service spécialisé, de chez vous ou de chez moi, donc j'ai plus besoin de rien faire d'autre. » Et le patient y croit mais l'entourage aussi y croit, sa famille y croit. Donc c'est ça aussi faire passer l'information qu'après ce séjour, on dit, en cure, et après éventuellement ce séjour en post-cure, il y a la post-cure qui va durer toute la vie et donc il y a effectivement la nécessité de faciliter des accompagnements, de faciliter aux gens d'aller dans des réunions, d'aller en psychothérapie, de leur donner la possibilité finalement de se rétablir de façon durable. Je voudrais revenir sur un point. On a, depuis une dizaine d'années, en parlant d'addiction et d'addictologie plutôt que de lutte contre l'alcoolisme et la toxicomanie, aidé à changer les représentations médicales et politiques et à construire un dispositif de soins hospitaliers, universitaires et donc, par voie de conséquence pour le médecin généraliste, de meilleure qualité. Dire qu'on peut maintenant aller à l'hôpital et demander à être pris en charge à l'hôpital pour son problème d'alcool en partenariat avec les structures médico-sociales pour accompagner puisque c'est sur un très long terme. Donc le changement de ces dix dernières années c'est que l'addictologie est devenue une discipline hospitalière et universitaire que les patients doivent pouvoir trouver à l'hôpital. Maintenant si on a un bémol, il y a pas le tiers de ce qui était prévu par le plan addiction qui a été fait et il y a encore – il y a que neuf, il y a dix facultés sur trente en France qui ont un enseignement pour des étudiants et il y a qu'un tiers des hôpitaux en gros qui, par rapport à ce qui serait – a été prévu et ce qui serait nécessaire, qui ont un service d'addictologie. Oui, le paradoxe c'est qu'on en parle davantage mais les moyens ne sont pas – n'ont pas été multipliés, au contraire, ont souvent été réduits, donc il y a une demande augmentée, heureusement, des patients et on peut pas offrir autant qu'on le souhaiterait, alors que la demande est plus importante en particulier auprès de certaines catégories de la population, par exemple les femmes. Ou les jeunes. Oui, non mais les femmes, on a beaucoup dit, effectivement, que les femmes boivent davantage. Non, c'est pas qu'elles boivent davantage, c'est en tout cas qu'elles demandent davantage des soins maintenant, qu'effectivement c'est plus facile pour elles, elles sont sorties effectivement d'une honte de ce problème qui était plus – qui pesait plus lourdement sur elles. Et donc, à ce moment-là, il y a une demande, il y a une demande d'aide qu'on ne peut pas satisfaire parce qu'on n'a pas les moyens alors qu'en même temps on en parle davantage et heureusement qu'on en parle davantage dans les médias mais en même temps il faudrait que derrière on puisse assurer ce service. Notre société ne s'est clairement pas donné les moyens et on en est très, très loin de pouvoir prendre en charge ses patients et ça c'est sûrement lié à la stigmatisation et à la culpabilité qui portait sur l'alcoolisme il y a un certain nombre d'années et donc « après tout ce qui leur arrive ils l'ont bien mérité. » Et on sait même qu'y compris dans ces services médicaux, les soins qui leur sont apportés sont – les explorations qui leur sont faites sont de moins bonne qualité que pour les patients qui n'ont pas ce problème alors qu'au contraire les alcoolo-tabagiques ont par exemple tous les facteurs de risque et mériteraient d'être explorés encore plus que les autres. Je dirais que nous avons les moyens intellectuels, les moyens théoriques. Je pense qu'en France depuis maintenant quand même assez longtemps on a une vision globale du problème. Oui, oui. Et que du point de vue théorique, dans le traitement en France, par exemple, par rapport à d'autres pays européens beaucoup plus sérieux, beaucoup plus réfléchis, alors que dans le domaine de la prévention c'est vrai qu'on est en retard par rapport à nos voisins, dans le domaine du traitement on a cette approche globale alors que les voisins auront une approche plus sectorielle. Certains ne vont parler que des groupes, d'autres ne vont parler que des médicaments. Nous savons que nous devons travailler dans une alliance thérapeutique avec le patient et c'est là aussi, il est important d'insister sur le fait qu'il faut bien sûr que le patient soit volontaire, soit motivé, demande. Donc dans cette alliance thérapeutique on peut travailler et tout ça on l'a théorisé mais on n'a pas les moyens pour effectivement faire vivre cette théorie et c'est ça qui est très dommage. C'est déjà fini, merci. À très bientôt au même endroit avec deux nouveaux invités pour débattre et s'écouter.
Réalisation : Sylvie Allonneau
Production : Universcience
Année de production : 2011
Durée : 30min01
Accessibilité : sous-titres français