Doit-on en finir avec le gaz de schiste ?
Alors que le gaz de schiste américain arrive en Europe..., retour sur un débat toujours d'actualité. Le physicien Michel Combarnous et l'hydrologue Séverin Pistre débattent des enjeux énergétiques, économiques et environnementaux liés à cette ressource controversée. Pour en savoir plus, lire aussi Gaz de schiste : la fracturation sinon rien ? et La transition énergétique
Réalisation : Sylvie Allonneau
Production : Universcience
Année de production : 2012
Durée : 35min22
Accessibilité : sous-titres français
Doit-on en finir avec le gaz de schiste ?
Un plateau, deux invités seuls devant les caméras. Ils sont là pour mener un débat exactement comme ils le veulent. Le débat et vice-versa Doit-on en finir avec le gaz de schiste ? Premier invité qui êtes-vous ? Je m'appelle Séverin Pistre, je suis professeur d'hydrogéologie à l'université Montpellier 2. J'effectue ma recherche dans un laboratoire qui s'appelle HydroSciences Montpellier. Je me suis spécialisé depuis ma thèse, en fait, sur ce qu'on appelle les nappes karstiques, donc c'est des roches particulières. Et donc j'étudie les relations entre la géologie et l'écoulement dans ces roches un peu particulières. Même question : pouvez-vous vous présenter ? Mon nom est Michel Combarnous, je suis prof émérite à l'université de Bordeaux, j'ai beaucoup travaillé sur le domaine des énergies. Énergies fossiles d'une part, pétrole en particulier, et énergies renouvelables, ceci dès 1970. Je suis correspondant de l'académie des sciences et membre de l'académie des technologies et après ma retraite prise à Bordeaux, je viens de passer cinq ans dans le sud tunisien à l'université de Gabès. Vous avez maintenant 30 minutes rien que pour vous avec comme point de repère une lumière rouge qui s'allumera si on a besoin de vous interrompre. Première partie du débat. Est-ce qu'il faut en finir avec le gaz de schiste ? Non, je pense pas. Je pense qu'il faut que chacun exprime ses idées, je crois qu'il faut que le débat se poursuive jusqu'au bout. Dans un premier temps on a bien vu que l'affaire des gaz de schiste, on peut l'appeler comme ça, est arrivée d'un coup sans que vraiment les gens soient préparés, ce qui a créé quelques mouvements. On l'a vu notamment avec le permis d'exploration du gaz de schiste du Larzac qui était vraiment centré sur le Larzac, dit « permis de Nant », qui a réveillé les foules, on peut dire. Permis de Nant : Un des trois permis d'exploration octroyé dans le sud de la France en mars 2010 par le ministère de l'Écologie Avec des manifestations importantes, qui ont réuni rapidement des centaines de personnes dans des lieux qui étaient à priori assez éloignés des métropoles ou des grandes villes. Et donc je pense que les gens se sont retrouvés en connaissance, du jour au lendemain, de ce permis sans avoir été informés au préalable par des élus ou par la presse qui aurait pu les amener – d'un coup ils se sont retrouvés avec un permis qui les concernait. Je crois que ça a amené des manifestations très importantes et à partir de là, tout un mouvement qui a gagné tout le sud de la France et après, au-delà. Quoi qu'il en soit, je crois que les enjeux sont intéressants. C'est peut-être un tournant entre l'énergie, l'environnement. C'est peut-être le moment justement d'aller plus loin, de dépasser cette simple question sur les gaz de schiste, même si elle est pas simple en elle-même. Il y a un problème dans, comme disait de Gaulle, dans « ce cher et vieux pays », c'est que dès qu'on a quelque chose qui apparaît un peu nouveau, qui est perçu comme tel, on a toujours des réactions violentes. On va pas se mettre à parler des OGM mais on pourrait s'amuser à cela. Mais effectivement, c'est cette dimension nouvelle de la politique énergétique qui s'est fortement développée dans certains pays déjà, on l'évoquera peut-être tout à l'heure, a suscité très vite des réactions qui ont fait qu'on a pu se poser la question que nous sommes en train de regarder. Je crois que de toute façon, l'homme n'échappe pas à la volonté d'utiliser tous les moyens possibles pour faire de l'énergie. L'énergie nucléaire en est un bon exemple et donc de toute façon on n'a pas fini de parler des gaz de schiste. Quelles ressources potentielles ? Alors les ressources, pour l'instant, sont assez mal connues, on pourrait dire à priori, puisque c'était l'objet de l'exploration. D'aller sur les sites qui avaient été identifiés, l'idée était d'aller explorer pour aller voir quel était le potentiel de chaque gisement. Pour l'instant, ce potentiel a été estimé par des compagnies américaines qui avec leurs techniques propres ont évalué entre 1 millier de milliards de mètres cube à 5 milliers de milliards de mètres cube. Donc là on va de 1 à 5, déjà voilà. Ça pose un autre problème d'ailleurs, ça montre la méconnaissance que l'on a du sous-sol français, puisque finalement on voit bien que c'est des compagnies américaines qui sont amenées à jauger de ce potentiel. Quoi qu'il en soit, ce potentiel il est centré sur des – c'est la géologie qui l'a imposé, sur trois bassins sédimentaires, le bassin dit du sud-est entre Montpellier et Marseille, on peut dire, en remontant jusqu'à Valence, globalement. Pourquoi ? Parce qu'on sait que dans ces bassins-là, les sédiments ont atteint à un moment ou un autre de leur vie géologique, une profondeur suffisante pour que la matière organique puisse évoluer en hydrocarbure, soit de l'huile, soit des gaz de schiste. Quoi qu'il en soit, il semblerait qu'à l'échelle de l'Europe de l'ouest la France possède des réserves assez importantes estimées (encore une fois les chiffres peuvent varier) à 40 % de ce potentiel, autour de 40 %. Il est difficile de donner... Le pays qu'on mentionne c'est la Pologne, non ? La Pologne aussi arrive en bonne position. La Norvège aurait aussi, de manière moindre aurait des capacités. Ce qu'il faut qu'on voie aussi c'est que quand même, là nous on a attaqué le problème par le côté français. Si j'étais en Tunisie je dirais par le coin du tapis. Mais finalement, les potentiels d'un certain nombre de territoires ici sont importants et on a bien vu que les États-Unis sont quand même partis très fort dans l'exploitation des gaz de schiste. Donc ça, incontestablement, les gaz de schiste c'est une partie d'hydrocarbure qui sera utilisée. Dans quelle condition ? Il faut regarder ça très soigneusement mais ça c'est un potentiel qui est très, très fort. Mais c'est pas la solution au problème du pétrole ou autre. Ça retardera ce fameux peak oil Peak Oil ou pic pétrolier : Moment où la production mondiale de pétrole plafonne avant de commencer à décliner donc cette période où on commencera à se dire, peut-être, le pétrole, on a tapé tellement dans la caisse qu'il y en a plus beaucoup. Mais ça changera rien aux données dans le siècle qui viendra ou le siècle et demi qui viendra. On aura toujours le même problème, quoi. Énergétique, j'entends. Si on prend l'exemple des États-Unis, puisque l'explosion de l'exploitation des gaz de schiste date à peu près de 2005-2006, c'est là que la courbe est vraiment exponentielle à partir de là. On voit que finalement le gaz produit par – en interne aux États-Unis, grignote sur la consommation globale de gaz, et notamment, les États-Unis espèrent d'ici 2025-2030 ne plus avoir à exporter de gaz. Et vers 2050 que la moitié de la consommation des États-Unis soit produite, en provenance des gaz de schiste. Pour ce qui est de la France, en fonction des estimations, on estime que le stock français du sous-sol pourrait représenter de 40 à 70 ou 80 années de consommation intérieure de gaz. D'où un décalage, c'est ça de 30 ans. Voilà. Oui, l'exploration a je pense deux aspects fondamentaux. Il y en a un qui est d'aller faire des forages, faire des carottages, ces forages pour analyser proprement ces roches qui sont quand même à des profondeurs qu'on n'a pas l'habitude d'atteindre par les forages, notamment les forages d'eau classiques, on s'arrête à quelques centaines de mètres. On va pas à des milliers de mètres comme c'est le cas actuellement, puisque les cibles actuelles, je pense par exemple au sud de la France se situent autour de 2000 ou 3000, dans ces profondeurs-là. Mais il y a aussi un travail en parallèle, un travail de géologie pour comprendre quel à été l'histoire retracée depuis le dépôt de ces sédiments, de ces couches sédimentaires, retracer l'histoire de ces couches pour savoir si au cours des âges géologiques ces couches ont pu, à un moment ou à un autre de leur vie atteindre des profondeurs suffisantes pour produire... Les températures suffisantes en fait. Voilà. Puisque bon, on sait que un gradient géothermique qui fait que la température s'accroît à peu près d'une trentaine de degrés tous les kilomètres ; il y a une pression aussi qui fait que le poids des roches qui sont au dessus à chaque fois exercent ce qu'on appelle la pression lithostatique. Pression lithostatique Donc il faut que ces roches qui potentiellement peuvent contenir du gaz de schiste aient à un moment ou un autre atteint ces profondeurs-là. Au fond, le gaz de schiste c'est jamais que du méthane. C'est-à-dire que finalement c'est le fameux grisou qu'on a dans les mines de charbon. Alors évidemment il faut pas exagérer. Il peut y avoir à côté de ça, et on en parle beaucoup, souvent, d'autres composés plus élaborés, des molécules plus lourdes, on parle du benzène qui est pas très parfait à inhaler, des tas de choses de ce genre, ou d'autres produits. Mais en gros on est quand même dans quelque chose qui ressemble tout à fait au gaz naturel produit par divers gisements. Et dans chacun de ces gisements les compositions de gaz sont pas d'ailleurs toujours très homogènes donc c'est globalement du méthane, mais après, évidemment, il y a des variabilités qui peuvent être à prendre en compte. La différence avec les gisements dits conventionnels, c'est que dans les gisements conventionnels le gaz peut partir de la roche dans laquelle il se forme, échapper pour aller se stocker à un endroit favorable du point de vue géologique, c'est-à-dire partir de la roche mère pour aller dans une roche réservoir où il peut être exploité via, je dirais, un forage vertical. Par contre, dans le cas des gaz de schiste, la roche mère elle-même est trop peu perméable pour laisser s'échapper ce gaz et il reste entre guillemets, coincé dans les pores de la roche. À partir de là le mode d'exploitation doit être entre guillemets plus élaboré. Oui, alors ça c'est une image que j'aime bien prendre cette image, quand je discute avec des gens, pas forcément dans la rue mais dans les trains ou ailleurs sur les roches pétrolières, on peut garder l'image qu'un morceau de sucre ça donne quelque chose qui ressemble à une bonne roche sympathique pour avoir du pétrole ou du gaz, ou du gaz et de l'eau. Donc quoi qu'on dise, les grains sont quand même un peu grossiers. C'est pas un sac de billes mais c'est quand même déjà – on imagine bien que ça puisse circuler là-dedans. Le cas des gaz de schiste, comme dans tous les terrains à très basse perméabilité, ça ressemble plus à une bordure de trottoir qu'à un morceau de sucre. C'est-à-dire qu'on se dit mais il y a peut-être de la porosité à des petits espaces là-dedans, pour la perméabilité, l'aptitude à l'écoulement ça doit pas être évident du tout et comment ça se passe ? Et c'est là qu'on a vu apparaître, vous avez bien fait de le mentionner, deux éléments très importants. Pour aller atteindre, ou donner envie à ce gaz de sortir, pour le faire sortir il y a deux choses : il y a le forage, et le forage horizontal va pouvoir permettre, dans des grandes veines, pendant de longues distances, de faire des trous. Et puis ensuite il y a la fracturation hydraulique, sujet fortement débattu dont on reparlera sûrement, et qui finalement permet de fendre cette espèce de bordure de trottoir pour faire des petites ouvertures. Alors le gaz va cheminer vers ces petites ouvertures qui sont une sorte de drain naturel, et puis va aller vers le puits pour arriver là. Donc autrement dit, les deux clés, forage horizontal et fracturation hydraulique c'est les deux clés de l'exploitation de toute structure très peu perméable. Il y a aussi ce fameux débat : oui mais alors qu'est-ce qu'on injecte quand on fait de la fracturation hydraulique ? On injecte plein de choses abominables, des solides, des fluides, etc. Alors il faut bien voir que la fracturation hydraulique comme son nom l'indique consiste à injecter avec l'eau qui va faire ces fissures, injecter des produits qui lorsque la pression va baisser, va éviter que ses lèvres ne se referment et que de nouveau la roche devienne presque imperméable, quoi. Qu'elle garde une perméabilité. Voilà, qu'elle garde une perméabilité significative. Voilà. Il y a une chose qu'il faut qu'on voie bien aussi c'est que ces gaz de schiste risquent de se retrouver, ou les ressources en gaz de schiste sont pas nécessairement corrélées, sont même pas du tout corrélées avec les gisements classiques de gaz ou de pétrole. Ce qui donne, en terme de géopolitique une autre dimension. On a bien vu les États-Unis qui ont été – moi j'ai connu quand j'étais tout petit les États-Unis exportateurs de pétrole. Dans les années 60-63-64. Puis après, on a vu qu'ils en avaient plus assez. Et maintenant ils se disent, c'est ce que vous évoquiez tout à l'heure, à partir du moment où ils vont exploiter le gaz de schiste, ils ont un peu plus de gaz, ils consommeront un peu moins de pétrole. Enfin on change un peu les données. Et le fait que les territoires ou les gaz de schiste peut se trouver – alors on redécouvre, l'Algérie redécouvre ce potentiel aussi. La Chine, on parle mais la Chine c'est tellement immense qu'il doit bien y avoir à peu près tout ce qu'on veut là-dedans. Finalement on bouge un petit peu la géopolitique. Ça fera pas remonter le coût technique de production du pétrole au Moyen-Orient de beaucoup, mais ça reste le problème fondamental de l'approvisionnement mondial, puisqu'un coût ridicule, qui permet aux gens de faire beaucoup, beaucoup d'argent, pour en faire après, je ne sais pas quoi. Ou plutôt je sais ou nous savons, ou nous pensons. Mais ça change un peu toute la géopolitique. Ce qui est intéressant aussi c'est qu'au-delà de la géostratégie qui effectivement est importante parce que c'est un élément fort qui intervient dans le débat. Si on venait à découvrir et exploiter les gaz dans le sous-sol français et si les réserves sont aussi importantes qu'estimé, peut-être de loin pour l'instant, on serait – la France ne serait plus dépendante de pays comme l'Ukraine, l'Algérie, l'Iran actuellement. Donc ça changerait beaucoup de choses. Du point de vue du consommateur, c'est peut-être intéressant. On s'aperçoit que le prix du mètre cube de gaz en Europe, aux États-Unis fluctuait mais finalement les deux courbes étaient assez proches jusqu'aux années 2005-2006, et à partir du moment où les États-Unis ont produit en interne du gaz, le prix a décroché. Le prix européen a continué à grimper, plus ou moins, il y a eu des petites baisses mais globalement a grimpé. Au niveau des États-Unis il ne s'est pas effondré mais en tout cas... Il a décroché. Il a décroché. C'est clair. Plutôt vers le bas. Donc il y a cette notion-là à considérer aussi. Quels coûts ? On évoquait tout à l'heure les fondamentaux de l'exploitation du gaz de schiste, avec le forage horizontal, la fracturation hydraulique. Effectivement, cette eau, dont on a dit qu'elle était nécessaire pour la fracturation hydraulique, qui va entraîner peut-être des éléments solides qui vont empêcher les lèvres, ouvertes par fracture hydraulique de se refermer, elle a un certain nombre d'additifs. Et on les met pour des tas de raisons qu'on pourrait essayer d'évoquer, et c'est là quelque chose qui peut toujours un peu inquiéter les gens. Parce qu'on dit, après tout, on met des produits, ces produits sont dans cette eau, cette eau, bon d'accord, peut-être elle va ressortir, mais on va la mettre où ? On va la mettre dans la rivière ? Comment ça va se passer ? Et ça je crois que là il y a un contrôle très, très strict à faire. C'est probablement la puissance publique qui peut le faire dans un pays aussi jacobin que le nôtre, ça pourrait être des associations dans d'autres environnements. Mais c'est vraiment regarder de près ces types de produits. C'est vrai que la méconnaissance des produits engendre forcément une peur et une crainte qui est légitime. Tout à fait. Donc effectivement, ces produits doivent être rendus à la connaissance de tous. Dans ces produits, effectivement souvent on caricature beaucoup. Parce que certes, il y a certains produits qui pourraient apparaître comme nocifs même si les recettes sont encore mal connues puisque chaque industriel a un peu sa propre recette. Mais il y a une partie de ces produits qui sont tout simplement des produits destinés à modifier la viscosité pour que les fractures se propagent plus loin, il y a des anticorosifs, il y a des antibactériens pour pas qu'il y ait des films bactériens qui se développent... Oui, c'est important ça. Et qui retiendraient, enfin qui modifieraient, qui abaisseraient finalement la perméabilité et qui rendrait l'extraction du gaz plus délicate. Donc le fait de rendre publiques ces listes de produits déjà permettrait d'éliminer un certain nombre de craintes par rapport à ces produits. Néanmoins il est vrai qu'il reste malgré tout dans ces recettes des produits qualifiés de toxiques. Alors est-ce que dans quelques temps les industriels seront en mesure de proposer de nouvelles formules en évitant ces produit-là ? En rayant des listes les produits les plus nocifs ? On peut penser que dans un avenir assez proche, compte tenu des enjeux qui se posent, des risques environnementaux qui vont bien au-delà de ça, dont on va parler. Mais on peut imaginer des recettes plus vertes, on pourrait dire. Ça c'est un premier point. Mais je crois quand même il qu'il y a d'autres types de produits à prendre en compte dans cette fracturation hydraulique, ce processus général, c'est les produits, non pas qu'on injecte, mais qui sont déjà dans le milieu. Parce que ces couches qui potentiellement constituent des réservent de gaz de schiste, ce sont des roches à forte composante d'argile et de matières organiques. C'est la matière organique qui est liée... Et ces composés de manière générale ont la propriété de retenir des métaux lourds, des radionucléides de manière naturelle. Ce qui veut dire que quand on va exploiter le gaz de schiste en ayant préalablement amélioré on peut dire la perméabilité du milieu, on va repomper, remonter à la surface des produits... Qu'il faudra examiner de prêt. Qu'il va falloir, voilà, parce qu'on va remonter des produits comme je disais des radionucléides, le radium, on va remonter des métaux lourds, de l'arsenic, des choses comme ça, qui sont naturellement prisonniers de ces roches-là et qui vont se retrouver dans la colonne de forage et qui vont se retrouver en surface. Une étude américaine vient de sortir. Alors les études effectivement commencent à sortir de manière exponentielle aux États-Unis, évidemment, parce qu'il fallait quand même qu'il y ait un retour d'expérience, qu'il y ait quelques années qui se passent avant de voir certains impacts. Il s'avère que dans 25 % des cas, les eaux « extractées » si j'ose dire de ces puits, une fois qu'on a séparé la partie fluide et la partie gazeuse, on peut à peu près retraiter ce fluide. Et puis il va rester une partie solide qu'il faudra mettre en décharge... Quelque part. Quelque part. Ça c'est un problème aussi à évoquer. Dans 25 % des cas les eaux qui sont sorties des forages sont très difficiles à traiter et dans les 50 % restants quasi impossible à traiter. Donc ça pose quand même ce problème-là. Il y a une inquiétude qu'on voit aussi souvent naître dès qu'on parle d'eau, parce que le pompage de l'eau, chacun n'est pas forcément très au fait des structures géologiques etc. Je crois qu'on a tous un peu tendance à confondre les différentes nappes dans lesquelles on peut exploiter de l'eau, etc. prendre de l'eau. Surtout qu'il y a des nappes parfois très, très profondes dans lesquelles on exploite de l'eau douce en France comme ailleurs. Il peut y avoir des échanges, il y a toujours des échanges entre différentes nappes mais il y a une certaine, relative imperméabilité entre ce qui sépare un petit peu les différentes couches qui sont concernées. Et donc le problème qu'on évoque est un problème réel. La remontée de produits pas très souhaitables et pas très sympathiques c'est incontestable, mais ça n'est pas lié à un risque de pollution des nappes aquifères dans lesquelles on fait d'autres choses. Nappe aquifère : Strate perméable de roche, sable ou gravier porteuse d'eau douce, formant un réservoir d'eau souterraine C'est une pollution qui vient plutôt d'en haut, sans parler des nitrates. Mais on en revient à notre affaire. C'est deux choses séparées, quoi. Je crois, me semble-t-il. Effectivement, les nappes que l'on pompe classiquement pour l'alimentation en eau potable notamment, parce que c'est quand même un sujet extrêmement important, sont nettement plus superficielles, on va dire. Les forages d'eau habituels descendent à quelques centaines de mètres et pas à des milliers de mètres, voilà comme évoqué. Par contre les problèmes qu'il a pu y avoir aux États-Unis, par exemple, c'est des problèmes de fuite sur des tubages de forage. Alors on peut penser que les industriels pourraient améliorer, qu'il y ait des cahiers des charges plus contraignants pour améliorer l'imperméabilité de ces tubages. Alors je suis pas du tout spécialiste de cette affaire-là mais on peut aussi là se poser la question du vieillissement. C'est-à-dire qu'il faut savoir qu'un forage d'exploitation de gaz de schiste va être très rentable les premières années et puis il y a une décroissance, au fur et à mesure, on épuise le gisement. Mais globalement on va exploiter entre 5 à 10 ans le gisement. Et puis on va abandonner à un moment ou un autre ce forage. Qu'est-ce qu'il va devenir ? Alors là aussi. Ça c'est pas différent de l'exploitation d'un gisement de gaz. Non. En région parisienne par exemple, il y a des aquifères dans lesquelles on stocke le gaz parce que ça permet de le ressortir quand on en a plus besoin etc. Bon ben chaque fois il faut être excessivement rigoureux, très vigilent sur l'étanchéité des puits pour que finalement il y ait pas du gaz qui se faufile le long du tubage qu'on a mis. Pour arriver jusqu'à la surface. De même qu'on essaie toujours de regarder l'extérieur comment ça se passe, avec des capteurs... C'est là que va intervenir quelque chose de fondamental. C'est-à-dire l'expertise géologique. Voilà. C'est-à-dire en fonction du type de géologie, du type de bassin, on aura un risque plus ou moins important de contamination des nappes, soit parce que, alors on peut penser dans le sud de la France il se trouve qu'il y a des roches tout à fait particulières qui sont des roches calcaires. Et ces roches calcaires subissent un phénomène comme vous le savez qui est la karstification. Donc c'est l'eau, au fur et à mesure des âges géologiques qui a permis une dissolution de ces roches, à des endroits bien précis. Et du coup, c'est roches ressemblent un peu à des gruyères. Et un forage qui traverse ces roches-là présente toujours le risque d'une certaine instabilité. C'est plus délicat à contrôler dans sa réalisation que dans des roches sédimentaires, entre guillemets, plus classiques. Alors il y a ce problème-là. C'est-à-dire des forages à réaliser dans ces roches-là. Et là j'avoue que je connais pas les dernières techniques industrielles. Parce que je pense que le challenge technologique est extrêmement fort pour faire des forages étanches dans ce type de roches. La deuxième contrainte c'est que ce bassin du sud-est est compris entre deux grandes chaînes de montagnes, les Pyrénées et les Alpes. Et la formation de ces chaînes de montagnes a produit un jeu de failles très important, qui sont parfois de profondeurs extrêmement grandes, et de profondeurs comparables aux milliers de mètres dont on a parlé pour les gisements de gaz. Vous parlez de jeux de failles importants dans le bassin du sud-est. Mais qu'en est-il dès lors du risque sismique ? Ne va-t-il pas être accentué lors des forages ? Il y a une étude en cours parce qu'effectivement, pendant longtemps, on a considéré qu'il y avait absolument aucun risque. On remarque, une sismicité existe. Oui, elle existe. Les industriels se servent de cette micro-sismicité pour contrôler les étapes de fracturation. Exact. À partir de géophones à la surface, ça permet de savoir exactement la zone qui a été fracturée et de contrôler la longueur, pour savoir si finalement ce procédé de fracturation hydraulique est efficace ou pas. C'est le but recherché. Mais longtemps, ça a été considéré comme de la micro sismicité imperceptible à la surface par – dans la vie courante. Et puis il y a eu un événement au Pays de Galles, je crois, qui a posé problème. Et donc je crois qu'il y a une étude qui est en cours pour essayer de déterminer, effectivement, si c'est bien la fracturation hydraulique et son procédé en profondeur qui est responsable … de la suite. Voilà. Il y a aussi aux États-Unis dans je sais plus quel bassin qui a été exploité, une université qui est fissurée maintenant alors qu'elle l'était pas, et dans une zone réputée non sismique, qui se retrouve fissurée alors qu'en-dessous, à proximité, il y a des forages horizontaux avec de la fracturation. Donc là aussi il y a une étude en cours pour savoir si vraiment on peut établir un lien ou pas entre cette fracturation et les dégâts en surface. Alors par contre, on parlait du coût. Si à chaque – sur l'expérience, le retour d'expérience des États-Unis on arrive à identifier un certain nombre de problèmes possibles pour l'environnement, ça voudrait dire qu'on pourrait éventuellement les corriger en renforçant le cahier des charges. Et finalement ça aurait un coût. Et donc au final, ce coût se répercuterait sur le coût du mètre cube de gaz produit. Donc à la fin (je suis pas économiste du tout) mais on peut penser que ce prix du mètre cube de gaz risque d'atteindre des prix finalement pas si intéressants que ça. Une exploitation définitivement condamnée ? Je n'imagine pas que finalement, ce potentiel de gaz de schiste, s'il existe, ne soit pas exploité par l'homme. Ça serait vraiment – j'imagine pas du tout. On en est à faire de la surpêche de thon rouge en Méditerranée, je vois pas pourquoi on laisserait ce trésor, entre guillemets, dans une coin. Moi je vois ça avec une espèce de double curseur. Je vois d'un côté une analyse géologique qui va d'un côté dire quel est le potentiel réel. Exact. Parce que ça on en a besoin, de savoir exactement est-ce qu'il y a ce potentiel ? Est-ce que c'est la peine de s’entre-tuer pour quelque chose qui n'existerait pas ? Si c'est quelques milliers de mètres cube, j'exagère, évidemment ça vaut pas le – c'est terminé. Si c'est plusieurs milliers, de millions, de milliards de mètres cube, c'est pas la même affaire. Et puis dans cette analyse géologique, voir aussi quel est le risque. Parce que peut-être, vu les progrès, on va s'apercevoir que dans certaines zones le risque est finalement relativement faible, dans d'autres zones, peut-être il est fort. Parce qu'il y a peut-être des failles profondes qui vont recouper les gisements, qui sont autant de drains potentiels... Entre couches. Entre couches, faire des courts-circuits, ça peut poser certains problèmes. Et donc il y a un curseur à mettre entre le risque et puis l'intérêt économique ou énergétique. Après, je dirais, chaque pays, chaque société va, en fonction du niveau de risque et de son potentiel énergétique, prendre une décision dans un sens ou dans l'autre. Ça peut être aussi à l'échelle des territoires. Mais malgré tout, je crois que ça pose un intérêt extrêmement intéressant, on l'a évoqué tout à l'heure au début du débat, c'est cette approche que l'on a d'un côté de l'environnement et de notre besoin énergétique. Quel risque on est prêt à prendre, finalement, chaque société est prête à prendre pour continuer à consommer autant, voire plus d'énergie au détriment de l'environnement ? Ou est-ce qu'au contraire la bascule s'inverse et on part dans une autre voie de réduction d'énergie ? Finalement, l'environnement peut-être une clé pour faire des économies d'énergie, des économies d'eau, des économies de matières et de gérer les déchets correctement. Alors c'est un peu acrobatique mais je crois que c'est comme ça qu'on passe. Parce que sinon on va opposer deux choses et on n'en sortira pas. C'est-à-dire qu'on dira, on a besoin d'énergie pour nos développements et puis bon, l'environnement on verra quand on aura fini. Mais il faudrait pas le voir trop tard quand même. C'est un point qu'il faut intégrer très vite. L'intérêt qu'aurait l'exploration (je parle pas d'exploitation). L'exploration. L'exploration, ce serait, j'en parlais au début, de mieux connaître le sous-sol. Mais comme vous le savez aussi, c'est que la puissance publique, même au travers de programmes de recherche est rarement en capacité financière d'explorer ce sous-sol. Il faut savoir qu'un forage de grande profondeur peut coûter plusieurs millions d'euros. Donc on épuise rapidement le programme de recherche, vous le savez comme moi. Un puits équipé profond, le coût du kilomètre c'est le même coût que le kilomètre d'autoroute, pratiquement, alors... Sauf que ça se voit moins, 3 km comme ça, c'est moins intéressant que 3 km comme ça. Les industriels notamment du pétrole ont ce genre de moyens pour aller faire des forages profonds ou faire des campagnes sismiques fort coûteuses. En général, dans le domaine public on a rarement ces moyens-là pour connaître le sous-sol. Des forages profonds financés à des buts purement de recherche académique, je dirais, sont extrêmement peu nombreux en France, on les compte sur les doigts d'une main quasiment. Donc voilà, ça pose aussi ce problème-là. C'est vrai que quand on voit le risque de, entre guillemets, de se renvoyer la balle sans rien faire, entre puissance publique et puissance industrielle, ou à l'inverse de trop en faire, les industriels faisant tout, la puissance publique étant dessaisie de l'autorité régalienne qui correspond au rôle de l'état ; je crois que sur ce sujet-là, mais comme tous les grands projets c'est la même chose (le viaduc de Millot, ou toute une série d'autres choses, ça ne peut naître que d'une concertation très étroite avec – c'est là un peu le rôle des scientifiques, me semble-t-il, c'est d'aider à la formalisation des exigences que pourrait souhaiter mettre en place le législateur, l'état en quelque sorte, et puis après l'opérateur qui sera nécessairement un industriel. Faire un puits à 3 ou 4000 mètres, ça peut être qu'un industriel qui va le faire. Et il va le faire parce qu'il envisage de récupérer éventuellement du gaz de schiste s'il y en a et si c'est intéressant. Et c'est son travail, après tout, c'est pas gênant. Moi je crois que le – je pense pas effectivement que l'exploitation des gaz de schiste soit définitivement condamnée. Comme on l'a dit tout à l'heure, je crois qu'elle a été – la question a été mal engagée. Voilà. Parce que les permis sont, comme on l'a dit tout à l'heure, apparu d'un coup. Même les élus locaux n'étaient pas au courant. Donc effectivement tout le monde s'est senti vraiment délaissé par rapport à une concertation qui aurait dû exister en amont. Ceci étant, si dans certains sites la décision était d'y aller, il faudrait qu'un cahier des charges extrêmement fort pour éviter les problèmes avec des suivis extrêmement rigoureux, des suivis environnementaux. Je pense à la qualité de l'air, je pense à la qualité des sols, la qualité des nappes, assuré par un organisme indépendant, forcément, pour pas qu'il y ait de conflits à un moment ou un autre. Là se pose une autre question moi qui me préoccupe – une autre question qui me préoccupe, c'est le suivi notamment de la qualité souterraine (alors je reviens sur quelque chose que je connais). Que vous connaissez bien. Voilà. C'est que on risque quand même d'avoir des temps de réaction longs. Parce que si on – j'emploie ce terme à dessein mais si on pollue le milieu souterrain à 2000 mètres de profondeur, si cette pollution doit remonter le long d'une faille jusqu'à une ressource de surface, peut-être que ça prendra quelques années. Donc ce suivi devra se faire de manière prolongée et avec l'idée que le jour où on verra – on pourrait voir, prenons le conditionnel, une pollution sur un lieu de captage, qui pourrait provenir de la chaîne d'exploitation, il risque d'être trop tard. C'est là un peu l'espèce d'inertie qui est un peu difficile à – qui me préoccupe dans cette réflexion. Mais qu'on retrouve pratiquement partout. La remédiation du sol quand on a arrêté les stations services c'est un problème pas si simple que ça, pas forcément si bien traité que ça, et je ne critique personne, alors qu'il s'agit de quelques mètres, avec la pollution potentielle de nappes vraiment superficielles. Mais il faudrait éviter, on connaît ça, ce qu'on appelle l'après mine, dans les années 60 il y a eu des exploitations minières. On a des cas en France, et puis bon la France n'est plus un pays minier mais à une époque il y avait des exploitations et dans certains cas on a des problèmes environnementaux actuels très importants liés à ces exploitations qui ont laissé sur site ce qu'on appelle souvent des stériles miniers, les sociétés qui ont exploité ont disparu dans la nature et finalement, la puissance publique se retrouve à gérer ces problèmes-là sans forcément en avoir les moyens. Il y a un transfert, là de problèmes qui me paraît devoir être évité et qu'on doit avoir en tête dans le cas des gaz des schiste parce qu'on risque de se retrouver dans le même style de problème un jour ou l'autre. C'est déjà fini. Bravo et merci. On se retrouve bientôt pour un nouveau débat. Deux invités dans ce même plateau rien que pour eux.
Réalisation : Sylvie Allonneau
Production : Universcience
Année de production : 2012
Durée : 35min22
Accessibilité : sous-titres français