Se baigner ou ne pas se baigner dans la Seine ? Telle est la question du moment, médiatisée par les Jeux olympiques de Paris et la volonté de renouer avec les plaisirs de la baignade. Conséquence : tout le monde a les yeux rivés sur le niveau de pollution du fleuve parisien qui subit la pression de quelque 10 millions de Franciliens. Jusqu'en 1970, ça a été une période noire pour la Seine. Et à partir des années 70, on a commencé à mettre en place les stations de traitement des eaux usées. Aujourd'hui, on cherche plutôt à les traiter mieux. Avant on épurait les matières organiques présentes dans l'eau. Aujourd'hui, on a des réglementations plus strictes et on a ajouté des lignes de traitement pour éliminer le phosphore, l'azote et d'autres polluants. La qualité de l'eau de la Seine n'a donc plus rien à voir avec celle des années 70 et la biodiversité ne s'est jamais aussi bien portée. Environ 35 espèces de poissons sont dénombrées aujourd'hui dans la Seine et la Marne, contre seulement trois en 1970. De son côté, le niveau bactérien a été réduit de 90 % au niveau des stations d'épuration. Seulement voilà, avec l'objectif baignade en ligne de mire, le niveau d'exigence a été revu à la hausse. Quand on ne se baigne pas, qu'il y ait des Escherichia coli ou des norovirus dans la Seine, ça n'embête pas les canards, ni les mouettes, ni les poissons. Donc en termes d'état de santé du fleuve, en soi, ce n'est pas très gênant. Là où ça commence à être gênant, c'est si on veut que des êtres humains se baignent dedans, si c'est un souhait, alors là on va être sensible à ces espèces-là, ces espèces de microbes. Du coup, on va être obligé de rabaisser encore beaucoup le niveau de traitement de l'eau pour enlever tous les effluents urbains contenant des excréments humains ou des microtraces d'excréments humains. Depuis le lancement du plan baignade en 2016, toute l'attention s'est donc focalisée sur les bactéries fécales et des travaux de grande ampleur ont été lancés pour réduire leur concentration. Système de désinfection dans les stations d'épuration en amont de Paris, raccordement des mauvais branchements, chasse aux rejets sauvages, ceux des péniches, par exemple. Mais comment suivre la qualité de la Seine et notamment ces fameux microbes que l'on cherche à éliminer à tout prix ? Dans des observatoires comme celui de Bougival par exemple, géré par le SIAAP, responsable des usines de traitement des eaux usées, on prend le pouls de la rivière en continu depuis 1990. Sur notre réseau de mesure, le paramètre le plus important, ça va être l'oxygène. C'est ce qui nous permet d'avoir le plus d'informations sur la qualité du milieu naturel. Tout simplement parce que dès qu'on va avoir un rejet qui est lié au système d'assainissement, ça va impacter directement l'oxygène, avec notamment l'apport de bactéries qui vont consommer cet oxygène dissous dans l'eau, pour se nourrir et pour se multiplier. Taux d'oxygénation, mais aussi de phosphate, de nitrate ou de turbidité sont mesurés ici et dans les autres stations installées le long de la Seine grâce à des sondes in situ. Ces paramètres nous permettent d'avoir une image globale, une photographie instantanée même, de la qualité de l'eau, puisque c'est des mesures pour la plupart qui sont toutes les quinze minutes et en temps réel. Donc on y a accès, nous, directement sur notre supervision au bureau. Des prélèvements hebdomadaires permettent aussi de connaître la concentration du milieu en bactéries indicatrices fécales, à savoir les bactéries Escherichia coli et les entérocoques intestinaux. Ce sont elles que l'on surveille pour la baignade. On a des bactéries qui sont des bactéries du tube digestif, normales, que vous avez dans votre tube digestif en permanence et qui normalement n'aiment pas être en dehors du tube digestif. C'est-à-dire qu’elles vont aimer être à 37 degrés et plein à manger, et elles vont se retrouver dans les eaux de surface. Ce n'est pas leur milieu normalement, donc on va s'en servir finalement comme sentinelles pour dire attention, il y a des eaux usées. Parce qu'il y a des eaux usées, vous avez aussi des risques d'avoir des pathogènes. Parce que les gens, s’ils ont la gastro ils tirent la chasse d'eau et donc ça part dans les eaux usées. Depuis 2006, des seuils ont été établis par la réglementation européenne. On considère que l'on peut se baigner en rivière si la concentration en Escherichia coli est inférieure à 900 “unités formant colonie” pour 100 ml, et celle des entérocoques inférieure à 330, pour la majorité des analyses. On a des plaques qui sont remplies avec un mélange d'un échantillon qui a été prélevé sur site dans le milieu naturel et qui a été mélangé avec un réactif. Et donc on va passer ces plaques sous une lampe UV et si nos puits sont fluorescents, ça veut dire qu'on a des puits positifs aux entérocoques intestinaux ou Escherichia coli, et après on comptera le nombre de puits. Cette méthode de référence est très fiable mais nécessite deux ou trois jours de culture. C'est pourquoi de nouveaux instruments sont à l'étude, comme cette sonde qui mesure la fluorescence de la matière organique en continu et pourrait aider à estimer la quantité de bactéries indicatrices fécales du milieu aquatique. Un plus pour anticiper l'arrivée de sources de pollution sur les sites de baignade. Les usines d'assainissement vont désinfecter leurs rejets pendant les périodes de baignade, les périodes estivales, et donc ces mesures peuvent nous donner des alertes précoces en cas de contaminations inattendues, qui d'ailleurs ne sont pas forcément liées au fonctionnement des usines, mais qui peuvent tout simplement venir de dynamiques naturelles ou d'événements liés au climat, à la météorologie. En effet, par temps sec et ensoleillé, les microbes intestinaux résiduels disparaissent en quelques jours dans cet environnement qui n'est pas le leur. Mais lorsqu'il pleut abondamment, les égouts parisiens peuvent déborder et un flot de microbes fécaux se voir rejetés dans la Seine. Des bassins de stockage, comme le tout nouveau bassin d'Austerlitz, ont d'ailleurs été construits pour stocker provisoirement ces eaux usées avant traitement. C'est un peu compliqué avec les rivières parce qu'il faut penser ça en dynamiques spatiale et temporelle. Donc il y a aussi tout un travail de modélisation qui est fait. C'est aussi très fortement encouragé par l'OMS pour gérer activement la baignade justement et essayer de prédire les concentrations en Escherichia coli. Donc c'est souvent basé par exemple sur le débit, sur la météo et éventuellement sur des données qui sont apportées par des sondes qui font de la mesure en continu. Déjà durant les périodes de débit faible, de beau temps, longtemps, au cours de l'été 2023, au mois de juillet, la qualité était bonne. Mais début août, on a eu quatre séquences de pluie à la suite et ça a tout foutu en l'air. Grâce aux travaux impulsés par les Jeux Olympiques l'eau de la Seine a incontestablement gagné en qualité microbienne depuis 2016. Un élan qui devrait permettre aux habitants de la région parisienne de réinvestir une vingtaine de sites de baignade le long de la Seine et de la Marne à partir de 2025.