Vous êtes-vous déjà demandé d'où venaient les pierres de Notre-Dame ? C'est la question que se sont posée les architectes au lendemain de l'incendie de la cathédrale. En plus du travail de restauration à venir, c'est un vaste chantier scientifique qui a été mis en place. Un groupe de chercheurs autour du thème de la pierre et des mortiers a eu la lourde tâche de retrouver des pierres qui sont le plus proche possible de celles d'origine. - Avant l'incendie, la cathédrale était un monument très documenté, notamment au cours des travaux qui ont eu lieu au XIXe siècle par Viollet-le-Duc. Toutes les parties qui ont été concernées par les travaux liés à l'incendie, c'était essentiellement des pierres de Viollet-le-Duc. De Viollet-le-Duc, on avait toutes les archives. On avait tous les documents des entreprises de l'époque, qui étaient des plans magnifiques avec toutes les pierres dessinées et leur nature en fonction des couleurs. On connaissait toutes les natures des pierres de Viollet-le-Duc. Pour les pierres du monument avant Viollet-le-Duc, on sait qu'elles venaient de Paris, extraites dans la ville de Paris, au Moyen-Âge. On prenait toujours les pierres au plus près. Viollet-le-Duc n'a pas pu le faire parce que la ville de Paris s'était développée entre le XIIIe et le XIXe siècle. Il est donc allé chercher des pierres dans des carrières un peu plus éloignées, mais qui restent dans les mêmes couches géologiques, essentiellement dans le nord du Bassin parisien. Au Moyen-Âge, la cathédrale a été bâtie avec la pierre parisienne et de la proche banlieue. D'abord exploitée le long des cours d'eau, il a fallu chercher la pierre en souterrain à partir du XIIIe siècle. L'Inspection Générale des Carrières de la Ville de Paris nous a exceptionnellement accompagnés dans la carrière dite du "Port-Mahon", qui est située sous le 14e arrondissement. C'est dans ce type de carrière qu'étaient extraits les blocs de calcaire utilisés pour Notre-Dame. On retrouve ici le fameux banc-franc parisien, appelé aussi banc à cérithes. Le principe était de creuser le sous-sol en laissant d'énormes piliers taillés dans la masse pour éviter que le ciel de carrière ne s'effondre. Il faut imaginer qu'à l'époque, les carriers coupaient des blocs de pierre à l'aide d'un pic. Les blocs étaient tirés par les chevaux, puis remontés à la surface à l'aide d'une cage d'écureuil, mis en mouvement par la force des hommes. Au XIXe siècle, les lances ont remplacé les pics des carriers, et la création des treuils à manège actionnés par des chevaux ont permis d'améliorer la productivité. À Éméville, il est possible de visiter le Puits à Daubin, un treuil parmi les plus puissants de France, qui a été reconstitué par l'association "Roches et Carrières". La couche géologique dont on parle recouvre une grande partie centrale du Bassin parisien. Il s'agit d'une couche de sédiments d'origine marine que l'on appelle "calcaire lutétien". Cette couche calcaire s'est formée entre -48 à -40 millions d'années. Pour caractériser les pierres de Notre-Dame, les architectes ont fait appel au Laboratoire de recherche des monuments historiques. C'est Lise Leroux, géologue, qui a caractérisé les différentes pierres qui ont été touchées par l'incendie. - Un monument est quelque chose de très complexe et qui a une histoire. Sur Notre-Dame de Paris, il y a eu plusieurs successions, plusieurs phases de construction plusieurs restaurations qui ne sont pas toujours connues, et d'autres qui sont mieux connues comme celle du XIXe siècle. Pour reconnaître ces pierres, on se sert à la fois de la documentation, et des observations que peut faire un géologue. Ces observations se font à différentes échelles. On va regarder sur le monument, l'aspect général, la présence de macrofossiles par exemple, des fossiles qui sont visibles à l'œil nu, comme des gastéropodes. Et puis, ensuite on fait des échantillons et sur ces échantillons, on va pouvoir d'une part regarder la nature de la pierre plus en détail, à un autre grossissement, regarder les microfossiles planctoniques. Et sur ces échantillons, on va pouvoir aussi faire des caractérisations physiques et mécaniques et de transfert de fluides. Par exemple, dans ce tiroir, nous avons des échantillons qui proviennent d'édifices parisiens tels que l'Arsenal, le mur de Philippe Auguste, et puis, de temps en temps, des échantillons qui proviennent de la cathédrale Notre-Dame. Ce sont ces échantillons que l'on va caractériser... Dont on va identifier la provenance, qui vont nous permettre de proposer des pierres de substitution. La provenance va nous permettre de nous référer à de la documentation qui contient des indications sur les caractéristiques mécaniques et porales des pierres qui sont utilisées sur la cathédrale. Sur cet échantillon qui a été prélevé sur le chevet de Notre-Dame et dans lequel on voyait à l'échelle macroscopique des fossiles de gastéropodes de type cérithe, quand on regarde à la loupe, on peut y distinguer des microfossiles qui sont en fait de la faune planctonique de l'âge lutétien. Et ici, on voit par exemple des petits foraminifères de type "miliole" qu'on va retrouver en région parisienne et dans les carrières souterraines de Paris en particulier. C'est à partir de cette base de travail que l'on va pouvoir définir quels sont les besoins en termes de pierres de restauration, et qui vont nous permettre d'aller chercher dans les carrières actuellement en exploitation les pierres qui sont les plus adaptées. David Dessandier, géologue, nous accueille dans la lithothèque du BRGM. Ici sont conservées des milliers de carottes issues du sous-sol français. C'est comme une cartographie souterraine de la France. Après la caractérisation des pierres, c'est au BRGM que revient la mission de trouver la carrière qui aura le banc de pierre idéal pour la restauration de Notre-Dame. - Là, on avait un panel de carrières qu'on savait actives, donc fournissant encore aujourd'hui des pierres de construction, présentant des faciès correspondant au même niveau géologique que la pierre de la cathédrale, à l'origine. Donc on avait déjà quelques cibles, grosso modo une dizaine de carrières qui étaient localisées dans l'Oise et l'Aisne et susceptibles d'être en capacité de fournir qualité et quantité nécessaires. Les pierres mises en œuvre sont toujours validées par les architectes en chef des monuments historiques. Les géologues vont chercher dans une collection d'échantillons de référence, qui est un inventaire des carrières exploitées à la fin du XIXe siècle. Une fois la carrière identifiée, le carrier enverra des échantillons au BRGM qui pourra à nouveau les comparer avec la pierre de Notre-Dame. - Ça, c'est Paris. Sous-sol parisien mis en œuvre sur la cathédrale. Ça, c'est une carrière qui était exploitée jusqu'au début des années 2000 pour la construction neuve et la restauration. Les deux sont des calcaires du lutétien supérieur. Et vous voyez, ils sont espacés peut-être de 120, 130 kilomètres en termes de provenance. Et vous retrouvez les petits cérithes, les fossiles. Vous voyez que c'est à-peu-près la même dureté de pierre, seulement celle-là est un peu plus jaune, mais après... En matière de finitions, les tailleurs de pierre patinent pour qu'on ne puisse plus voir la différence entre ce qui est de mise en œuvre récente et ce qui est d'origine. Ils peuvent gommer ces petites différences. Pour fournir le chantier de Notre-Dame avec une pierre de calcaire lutétien ferme à dur, une seule carrière a été retenue. C'est la carrière de la Croix Huyart, dans l'Oise. Cette carrière présente des hauteurs de bancs importants qui ont permis de sortir plus de 1 300 mètres cube de pierres. À l'aide d'une haveuse, une sorte de tronçonneuse pour la pierre, le carrier fait des coupes perpendiculaires aux fissures naturelles présentes dans la roche. Puis, en plaçant des coussins éclateurs gonflés à l'air comprimé dans le trait de scie, il détache le bloc de front de taille au niveau de la fissure. Le bloc ainsi extrait peut faire 20 tonnes. Il sera découpé en deux et nettoyé à l'usine afin d'avoir un bloc avec le moins de déchets possible. Contrairement à ce qu'il se fait d'habitude, c'est l'établissement public Notre-Dame qui a acheté l'ensemble du volume nécessaire pour assurer l'approvisionnement et avoir une véritable traçabilité sur l'origine des pierres de la cathédrale. - Quand on fait des investigations scientifiques, on va chercher toutes les caractéristiques des pierres, que ce soit celles du XIXe siècle ou du Moyen-Âge. Ça nous permet, dans les pierres qu'on va remettre, d'être au plus proche des caractéristiques. Pour nous, l'important, c'est qu'à la fin, les pierres correspondent scientifiquement aux pierres adjacentes, et aux pierres qui étaient en œuvre. Et il faut aussi que le monument soit joli. Lors de votre prochaine visite, lorsque vous lèverez les yeux au ciel pour contempler ces statues et ces voûtes restaurées, peut-être aurez-vous une petite pensée en vous rappelant du chemin que la pierre a fait pour passer du tréfonds à la lumière.