La lumière de l’Univers nous révèle des structures extraordinaires mais c'est dans l'obscurité que se cache la clé de sa nature profonde. Matière noire et énergie sombre formeraient la majeure partie de l'Univers, jusqu'à 95% selon les astrophysiciens ne laissant que 5% à la matière visible. Pour percer ce mystère, l'Agence spatiale européenne se prépare à lancer le satellite Euclid. Sa mission : cartographier 35 millions de galaxies avec une précision jamais atteinte pour mettre en évidence les effets de la matière noire et de l'énergie sombre Direction la ville de Cannes, au bord de la Méditerranée. C'est ici chez Thales Alenia Space que sont réalisés les derniers tests sur le satellite avant de l'envoyer aux États-Unis pour son lancement à l'été 2023.
- Depuis que le satellite est arrivé à Cannes, il a subi un ensemble d'essais puisqu'il était entièrement assemblé : des essais de vibrations représentatifs de ce qu'il va subir en haut de la fusée Falcon 9 en juillet. Il a été aussi mis dans une très grande cuve à vide juste à côté pour tester l'intégralité du satellite dans le vide et au froid et vérifier la tenue des composants et la tenue des performances. Après il reste encore quelques activités sur le mois de mars, mais le départ pour début avril n'a jamais été aussi proche et on sait que les essais sont terminés, qu'on est en bonne voie pour lancer en juillet.
Un lancement qui a failli être lourdement retardé lorsque le partenariat entre l'ESA et la Russie a brutalement cessé en 2022 suite à l'invasion de l'Ukraine. En effet, Euclid était prévu pour être lancé depuis la Guyane à bord d'une fusée russe Soyouz. Cloué au sol, l'ESA a dû trouver une solution de secours et s'est tournée vers l'opérateur privé Space X. Sans lui c'est plus de 2 ans de retard qu'il aurait fallu compter. Un délai beaucoup trop long pour les parties prenantes.
- La date de lancement est critique, non seulement pour le prix mais aussi parce qu'il y a une sorte de compétition scientifique entre les satellites et les télescopes à terre. Dans l'espace on peut voir beaucoup mieux, sans l'atmosphère, mais à terre on a la possibilité de faire des systèmes beaucoup plus grands et la compétition est ouverte.
Aujourd'hui il existe bien des cartographies de l'Univers faites depuis le sol mais aucune n'offre la précision nécessaire aux mesures que s'apprête à faire le satellite Euclid. Pour les chercheurs, c'est l'aboutissement d'une quinzaine d'années d'attente.
- Cet objet qu'on voit là, derrière nous, est né d'une idée dans la tête d'un chercheur qui, il y a une quinzaine d'années, a commencé à se dire : "bah tiens si on pouvait cartographier l'Univers sur des grandes échelles voir un peu les déformations de l'espace engendrées par la matière, en particulier la matière qui ne fait pas de lumière qu'on appelle la matière noire, alors on en saurait plus sur toute une partie complètement obscure de l'Univers." C'est un profond mystère : on appelle ça le mystère des composantes sombres de l'Univers et pour le résoudre, il faut cartographier les distorsions de l'espace-temps engendrées par ces composantes.
La matière noire est en réalité invisible. Elle ne peut ni absorber ni réfléchir les photons de lumière. Le seul moyen de la mettre en évidence est à travers son action gravitationnelle et notamment autour des galaxies. Lorsque la lumière voyage dans l'Univers, elle suit la déformation de l'espace-temps produite par des astres massifs : c'est ce que l'on appelle une lentille gravitationnelle. Et c'est cet effet qu'Euclid va mesurer en photographiant des millions de galaxies. Au foyer du télescope se trouve le détecteur de l'instrument VIS. C'est l'un des plus grands jamais envoyés dans l'espace. Il est composé de 36 capteurs de 16 mégapixels chacun, sensibles à la lumière visible.
- Il y a 2 instruments à bord de ce satellite. Il y a le VIS qui va permettre de mesurer la forme des galaxies et donc leur déformation. La déformation des galaxies en arrière-plan, va nous renseigner sur la distribution de matière noire entre ces galaxies et nous. Donc ça c'est le premier instrument. Et puis, il y a un deuxième instrument qui est le NISP : c'est un spectro-photo-imageur. Il fait à la fois de la photométrie dans l'infrarouge qui complémente le VIS, et puis de la spectroscopie qui va permettre de mesurer le décalage vers le rouge des galaxies, ce qui va nous donner l'information de la profondeur de la galaxie. Et donc on a la position tridimensionnelle de la galaxie, et en fait de toute la galaxie, de 35 millions de galaxies.
Avec ces positions, les astrophysiciens vont pouvoir mesurer les distances entre les galaxies à la recherche de ce qu'ils appellent une échelle caractéristique ou règle standard. Les galaxies ne sont pas distribuées de manière homogène dans l'Univers, mais elles se regroupent en amas reliés entre eux. Cette information est précieuse pour comprendre la matière noire mais aussi l'énergie sombre responsable de l'expansion de l'Univers.
- Les différentes distances entre toutes ces galaxies les unes par rapport aux autres en fait, on retrouve une échelle caractéristique qui va nous renseigner sur l'expansion, sur le taux d'expansion de l'Univers. En fait, on va utiliser cette information pour en extraire la dynamique de l'Univers, est-ce que la relativité générale est valable ou pas à l'échelle cosmologique.
Pour réussir ces mesures, Euclid doit photographier une très grande quantité de galaxies. C'est pourquoi sa mission aura une durée totale de six ans durant lesquelles il va parcourir méthodiquement le ciel. En quelques semaines seulement, il aura enregistré plus de galaxies que le télescope Hubble en 30 ans, grâce à une surface de vue 300 fois supérieure.
- Euclid, c'est un grande angle. Dans les caméras qu'on utilise normalement, on peut voir que quand il y a un grand angle, tous les objets qui sont au bord du grand angle sont déformés, et ça sera complètement impossible pour Euclid, parce que Euclid doit vraiment observer et mesurer vraiment bien les formes des galaxies. La conception optique est vraiment faite exprès fin pour avoir un grande angle parfait partout. Ces miroirs et son banc optique sont fabriqués dans une céramique qui s'adapte au changement de température, appelée carbure de silicium. Elle offre une conductivité thermique homogène sur toute la structure et notamment entre le miroir primaire et le miroir secondaire.
- Si on n'est pas homogène thermiquement, on va tordre la structure et on perd la qualité optique. Tout est aligné à température ambiante. Les opérateurs n'aiment pas travailler à moins de 100 degrés donc on aligne ça à température ambiante. La distance entre le miroir primaire et le miroir secondaire doit être alignée avec une précision de l'ordre du micron. Tout ça va se réduire donc c'est comme une homothétie et donc on garde la qualité optique. Donc là-haut, on aura la même qualité optique qu'au sol.
Aujourd'hui Euclid est enfin prêt pour son départ vers les États-Unis, en vue d'un lancement au mois de juillet 2023. Sur son côté, il porte avec lui les empreintes digitales de 250 personnes impliquées dans le projet. A l'initiative de l'artiste anglaise Lisa Pettibone, une galaxie se dessine sous les doigts des chercheurs ingénieurs et techniciens qui ont participé au télescope. Grâce à cet instrument, la communauté scientifique a un allié de taille pour déchiffrer les mystères sombres de l'Univers. Mais la mission est longue et il faudra attendre 2029 pour que l'ensemble des observations soit complété et qu'on puisse enfin en savoir plus sur la matière noire et l'énergie sombre.