Haro sur les loups ?
Face au retour des loups en France, Laurent Garde, écologue au Centre d’études et de réalisations pastorales Alpes Méditerranée et Antoine Doré, sociologue au Cemagref, échangent sur les éventuelles solutions pour une meilleure cohabitation de l’homme avec le loup.
Réalisation : Sylvie Allonneau
Production : Universcience
Année de production : 2012
Durée : 33min10
Accessibilité : sous-titres français
Haro sur les loups ?
Un plateau, deux invités, seuls devant les caméras, pour une conversation qu'ils mèneront comme ils l'entendent. Le débat et vice-versa Haro sur les loups ? On commence par vous : qui êtes-vous ? Je m'appelle Antoine Doré, je suis sociologue post-doctorant à l'Irstea, c'est donc l'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture. Dans le cadre de mes travaux de recherche je m'intéresse à la manière dont les enjeux écologiques transforment nos manières de faire société. En 2011, j'ai soutenu une thèse de sociologie à Science Po. Cette thèse portait sur ce que j'ai appelé la carrière politique des loups, puisqu'il me semble qu'on peut parler effectivement de carrière politique pour les loups. Même question : qui êtes-vous ? Je suis Laurent Garde, je suis chercheur au CERPAM, Centre d'études et de réalisations pastorales Alpes Méditerranée. C'est la structure qui s'occupe de l'élevage pastoral dans cette région et je travaille sur le sujet du loup qui est venu faire irruption dans l'espace des éleveurs et des bergers depuis dix à quinze ans. Vous avez maintenant 30 minutes rien que pour vous avec comme point de repère une lumière rouge qui s'allumera si on a besoin de vous interrompre. Première partie du débat. Alors haro sur les loups, c'est un titre polémique donc qui me semble assez bien convenir à ces débats autour de cette espèce conflictuelle. J'ai l'impression en tout cas que ça permet de souligner ce qui me semble vraiment important sur un sujet comme celui-là, c'est bien de considérer qu'on a affaire à un sujet éminemment politique. Et qui ne peut pas se traiter seulement par des réponses strictement techniques ou scientifiques. Et voilà, insister sur le caractère polémique de ce sujet me paraît extrêmement important. Il y a une chose qui me frappe, c'est ce terme « haro ». C'est un terme ancien. Un terme qu'on pourrait qualifier de moyenâgeux, de l'époque où les veneurs, les grands veneurs faisaient la chasse à courre sur le grand gibier. Et effectivement c'est assez frappant. Parce que pour les éleveurs, ils ont un peu le sentiment que le loup les renvoie au Moyen-âge. Un animal qu'ils avaient réussi à faire disparaître avec l'accord de la société depuis un siècle, un siècle et demi. C'est très, très frappant et je trouve que le titre a cette qualité de mettre aussi effectivement cette dimension de représentation qui est très forte entre différents acteurs, des représentations qui sont très opposées et qui expliquent la très grande difficulté à gérer le sujet. Moi j'aimerais reformuler l'interrogation sur la forme suivante : est-ce qu'on peut éventuellement arriver sur ce sujet à ne pas être dans l'opposition binaire, pour le loup, contre le loup ? Mais poser la question, est-ce qu'on peut s'autoriser à crier haro sur quelques loups ? Éventuellement pour aider à avancer. L'inévitable retour des loups L'inévitable retour des loups, c'est la première des polémiques sur le sujet, c'est la plus violente, sur le retour des loups est-il naturel ? Le retour des loups a-t-il fait l'objet de lâchers clandestins ? Aujourd'hui, heureusement, vingt ans ont passé, cette polémique a atteint sa date de péremption. Le loup a une capacité de recoloniser largement des grands espaces, il a gagné depuis les Abruzzes, la chaîne des Apennins, les Alpes. Alors il est vrai que sa capacité à fixer une meute dans les Alpes Maritimes a été bien plus efficace et rapide que ce que pensaient les biologistes à l'époque. Pour autant, aujourd'hui ce n'est plus la question. Oui, enfin cette polémique qui est ancienne, vous l'avez dit, finalement a toujours une actualité disons en tout cas qui est sous-jacente. C'est-à-dire que c'est assez intéressant, on a affaire ici à une controverse qui n'a pas été tranchée mais qui finalement n'est plus opérante dans le débat public. Et donc ça c'est assez intéressant, c'est une clôture d'une controverse, mais chacun s'est retranché avec son idée mais elle n'a plus de sens dans le débat public actuellement et voilà. Tout à fait. Parce qu'il faut voir l'usage politique de cette polémique en fait. Parce qu'un loup qui aurait été réintroduit n'aurait pas été une espèce à protéger. Donc il y a bien cet usage politique qui aujourd'hui n'est plus opérant. Il est vrai aussi que le fait que le loup n'ait pas pu revenir naturellement est une conviction profondément ancrée malgré tout. Oui. Et ça, d'une certaine façon, pour moi, je traduirais autrement et ça renvoie aux propos sur le Moyen-Âge. D'une certaine façon le loup est impensable pour un éleveur, aujourd'hui. Mais je crois aussi que c'est lié au fait que pendant longtemps, le loup a été, il est encore beaucoup dans les médias, les grands médias, comme la figure de l'espèce emblématique de la nature sauvage et vierge. Il a encore cette image. Et finalement, justement, ceux qui pensent encore que le retour naturel des loups est inconcevable, ils vont mettre en avant des arguments du genre, mais comment le loup a-t-il traversé le Rhône ? Comment a-t-il même traversé la vallée du Rhône avec ses autoroutes, ses fleuves, etc. Et donc c'est vrai qu'on a affaire à une espèce qui est très surprenante par ses capacités à coloniser, à passer au-dessus d'obstacles, à passer même des grandes agglomérations. Et donc du coup, j'ai l'impression que cette polémique aussi sur la réintroduction, en tout cas s'appuie sur des arguments qui sont aussi liés à l'image qui a été construite par les naturalistes et par les écologues d'un loup symbole de nature sauvage. Le paradoxe c'est aussi que ce loup qui a une grande capacité de colonisation naturelle, dans les années 80, jusqu'au tout début des années 90, il faisait l'objet d'études sur des lâchers de loups, il faisait l'objet, en Italie, d'élevage de loups sauvages dans des enclos, en vue d'éventuels lâchers au cas où l'espèce dégénérerait sur le plan génétique. Donc le très grand paradoxe de ce sujet, c'est qu'on avait tout l'appareillage, comment dire, idéologique et technique du lâcher du loup qui était prêt, et pour autant, on a aucun élément concret sur des lâchers de loups et on est obligés de reconnaître, je suis écologue moi-même, que le loup avait cette capacité à recoloniser. Donc on est effectivement sur un paradoxe qui explique aussi la méfiance des acteurs qui voyaient ce désir puissant d'avoir des loups à tout prix et qui ont pu se demander un petit peu légitimement, jusqu'où ce désir a pu conduire certains. Alors aujourd'hui on est à, je crois que c'est, ils estiment la population à 250 individus. Alors bon, à travers les empreintes génétiques, à travers toutes les techniques finalement issues de la police scientifique, en retrouvant les signatures génétiques à travers les poils et les crottes que laissent les animaux, ils arrivent à aboutir à ce nombre qui est un nombre très, pas approximatif mais en tout cas avec une marge d'incertitude très forte. Alors certains me disent mais regardez, effectivement le loup est sans doute revenu naturellement, mais il ne faut pas se leurrer, la dynamique des populations est finalement soutenue par quelques lâchers qui permettent de maintenir une dynamique de population forte. Puisque certains estiment qu'arriver en vingt ans à 250 individus ça leur paraît être un taux de croissance de la population fort. Et donc on entend par-ci par-là certains acteurs qui reprennent un peu cette thèse de la réintroduction, différemment, en soutenant le fait que la population actuellement serait aidée dans sa croissance à la fois géographique, puisqu'aussi on a une très forte colonisation géographique, avec désormais des loups en Lozère, il y a une nouvelle zone de présence désormais aussi dans les Hautes-Vosges. Et donc voilà, cette polémique, finalement prend un autre tournant actuellement. Les loups encouragés à se répandre, à proliférer, aidés même par des lâchers clandestins. Oui mais par qui ? Donc voilà, ce taux de croissance de la population, cette colonisation géographique de l'espèce serait finalement aidée par, alors bon, là on ne sait pas exactement par quels acteurs mais dans le discours des acteurs ce serait soit des naturalistes qui feraient ça en douce ; j'ai pas entendu actuellement parler d'une connivence avec le ministère de l'écologie, mais c'est vrai qu'à la base le ministère de l'écologie était aussi accusé d'avoir éventuellement soutenu des associations pour faire ce travail de réintroduction clandestine. Il avait une telle maladresse dans la communication le ministère de l'écologie, dès le début, que effectivement il paye un petit peu ses erreurs. Mais pour revenir à des données un petit peu effectivement, un petit peu concrètes : 250 loups, c'est l'équivalent d'une vingtaine de zones de présence permanente. C'est du jargon. Disons pour faire extrêmement simple une vingtaine de meutes sur le territoire. On doit avoir entre 15 et 20 meutes qui sont reproductrices. Aujourd'hui une meute ça fait 4 à 6 petits par an. On a donc quand même, même s'il y a la mortalité une grande capacité d'expansion des loups sur les territoires. Des territoires aujourd'hui qui sont souvent des territoires de moyennes montagnes et des territoires en phase d'embroussaillement et donc effectivement les loups ont porte ouverte pour occuper des espaces de plus en plus grands. Et la difficulté que cela pose, c'est que ce sont exactement les mêmes espaces où l'élevage pastoral se déploie. Ce qui est aussi passionnant, pour quelqu'un qui observe ça de loin, qui n'est pas confronté directement dans sa pratique à l'arrivée de cet animal, mais c'est assez passionnant à observer, de voir que cette forme de renouvellement, finalement, ça ne se passe jamais de la même manière. Les loups arrivent donc en Lozère, les conflits prennent une forme très différentes. D'une part parce qu'ils ne concernent pas le même type d'élevage, le même type de pratique, du coup les contraintes ne s'expriment pas de la même manière. Également parce que les acteurs concernés par le retour des loups ce n'est pas seulement des éleveurs, c'est également des chasseurs. Et les loups eux-mêmes se comportent parfois différemment sur le plan géographique par exemple, ou même à l'échelle territoriale, d'une meute à l'autre. Mais moi j'aimerais juste souligner à partir de ça le fait c'est là où on voit que les loups, quand ils arrivent sur un territoire, ils vont ensuite susciter la formation de groupes qu'on peut appeler des publics, des publics qui vont s'aligner en disant moi, je me sens affecté par la présence des loups et donc j'ai envie de les défendre. Donc on va avoir un public de lycophiles, d'amateurs de loups, et puis d'autres qui vont au contraire se positionner contre les loups. Et les loups finalement parfois ont une carrière politique à succès, parfois leur carrière politique, actuellement d'ailleurs j'ai l'impression que le soutien que recueillent ces animaux est en train de s'éroder. En tout cas c'est un sentiment que j'ai. Oui, alors moi, il y a une chose qui me frappe énormément, c'est la difficulté de penser simultanément les deux composantes au dossier du loup. Effectivement on a des gens qui sont passionnés de loups et c'est légitime, bien évidemment, et qui de ce fait-là croient qu'obligatoirement la cohabitation avec l'élevage est facile, ne dépend que de la bonne volonté des éleveurs. Et on a des éleveurs qui sont confrontés à l'extrême difficulté du loup, il faut bien le dire, qui du coup, vont tendre à dénier la réalité du facteur de biodiversité que le loup représente aussi, en revendiquant, de leur part, la production de ce que j'appellerais une biodiversité rurale, façonnée par l'homme, et non pas d'une biodiversité sauvage. Alors cette grande difficulté elle est très simple à résumer. Est-ce qu'on peut poser le loup simultanément en terme d'enjeu de biodiversité, sans dénégation, sans remettre en cause cette réalité-là, et d'autre part comme calamité agricole ? Et je choisis le terme à dessein parce que c'est bien de ça dont il s'agit pour l'élevage. Et la difficulté c'est de gérer la contradiction. Moi ce qui m'intéresse c'est le caractère éminemment ambivalent. D'un côté on a le loup menaçant dont il faut se protéger, et d'un autre côté on a les loups menacés à protéger. Donc finalement comment articuler deux figures ambivalentes ? En parlant de figure, c'est une manière aussi de ne pas dire que le loup menacé se réduit pas justement à une richesse en terme de biodiversité. Dire ça c'est déjà l'inscrire dans un système de valeur. Comme le loup menaçant, ça se réduit pas à une calamité agricole. Dire ça c'est déjà... alors que le loup menaçant c'est aussi une calamité peut-être pour le gibier, certains diront ça, le loup menaçant c'est aussi bénéfice pour certains acteurs du tourisme peut-être. Alors dire les choses comme ça, ça permet ensuite de brosser une diversité d'intérêts possibles qui s'articule autour de ces deux figures. Et c'est ça pour moi, faire de la politique avec les loups. C'est parvenir à articuler des intérêts hétérogènes autour de ces deux grandes figures. Avoir deux figures ça permet de simplifier les choses quand même. Mais j'ai l'impression que c'est un peu ça. Le méchant loup dans la bergerie ? Le méchant loup dans la bergerie, ce qui m'intéresse, moi c'est de prendre au sérieux l'animal dans cette histoire. Et notamment sa capacité à s'adapter aux dispositifs de mise à distance. C'est-à-dire qu'on a commencé avec des petits regroupements nocturnes. Et puis là on en est à des expérimentations, avec des bipers sur les brebis pour alerter le berger, etc. Ils fonctionnent, ils ont une efficacité, il faut vraiment insister là-dessus, mais par contre, ils ne sont jamais complètement efficaces à 100 %. Ils supposent une énergie folle de la part notamment des gens qui mettent en œuvre ces mesures et puis souvent ils fonctionnent mais de manière temporaire. C'est-à-dire les loups ont cette capacité, c'est ce qui fait leur caractère aussi peut-être fascinant même pour les gens qui veulent le protéger, c'est cette capacité au bout de 2 semaines, par exemple un dispositif d'effarouchement, au bout de 2 semaines les loups ont compris que finalement ils peuvent le contourner pour finalement atteindre quand même le troupeau. Oui, je pense que ce que les gens ont du mal à comprendre c'est qu'effectivement, le loup finit par atteindre un caractère obsessionnel pour les éleveurs et les bergers qui sont en permanence sur les territoires de meutes de loups. Il faut mettre des chiens de protection, bien évidemment, mais les loups sont capables de déjouer la vigilance des chiens de protection. Ils ont des stratégies de meute qui font qu'un loup vient d'un côté pour détourner l'attention des chiens et que les congénères viennent de l'autre côté. Sans parler de brebis, il faut regrouper les troupeaux la nuit dans des parcs électrifiés, mais ce faisant on dégrade la qualité de ce qu'on appelle le système pastoral. On est obligé de faire marcher les bêtes plus longtemps, elles peuvent moins manger, moins tranquillement. Donc on est sur des très fortes dégradations des pratiques d'élevage à cause de l'ensemble des contraintes de la protection des troupeaux. Cette capacité du loup à chercher la faille est quelque chose effectivement d'insupportable aux éleveurs. En plus, de plus en plus souvent ils font face à l'hostilité de groupes sociaux qui sont passionnés de loups et qui les mettent en accusation. Et ce processus de la mise en accusation des éleveurs à cause du loup, sur le thème, les éleveurs seraient des mauvais éleveurs puisqu'ils ne savent pas protéger les troupeaux, c'est l'une des dimensions les plus douloureuses de ce dossier. Ce qui m'a beaucoup frappé, c'est la manière dont publiquement, des gens qui ne sont pas du métier se sont saisi finalement des règles de bonne conduite d'un troupeau. Et ça on observe ça, je sais pas s'il y a d'autres métiers dans lesquels on observe ce genre de chose, c'est-à-dire comme quoi les règles de bonne... de définition d'une bonne conduite du métier, finalement, serait définies publiquement, par d'autres personnes qui n'ont rien à voir avec le métier, etc. et je pense que c'est aussi quelque chose qui a dû les, qui en tout cas a beaucoup affecté les acteurs de l'élevage. Tout à fait. Le côté un petit peu dramatique de la situation, c'est qu'il faut en arriver à faire des pratiques rigides, toujours les mêmes le jour, toujours les mêmes la nuit pour arriver à protéger les troupeaux. Or, ces pratiques de protection vont à l'encontre des bonnes pratiques de pâturage qui elles reposent sur une très grande souplesse de réalisation, parce qu'on est sur des climats méditerranéens ou montagnards qui sont des climats difficiles, sur des territoires qui sont des territoires difficiles, sur une ressource dont on ne maîtrise pas la pousse ou le dessèchement etc. Voilà, donc là on est au cœur, je crois, de cette difficulté-là. C'est pour ça aussi que je pense qu'il faut à un moment savoir dissocier la question des bonnes pratiques avec la question du fait de subir la présence des loups. Même si du coup vous, vous la connectez en montrant qu'en présence du loup des éleveurs qui avaient des bonnes pratiques se retrouvent à avoir des pratiques qui sont peut-être plus destructrices justement sur le plan de la biodiversité parce qu'elle suppose des regroupements, par exemple, et donc des zones d'érosion, des ou des zones avec plus de nitrates, des choses comme ça. Mais ce qui est très frappant aussi dans ce dossier, et ce qui est insupportable, c'est que le loup paraît donner un droit de jugement absolu à tout le monde et n'importe qui sur les pratiques d'une profession dont ils ne maîtrisent pas la connaissance. La profession d'éleveur et la profession de berger, avec sa richesse, avec ses limites, avec bien évidemment les problèmes à résoudre, et nous travaillions avant l'arrivée du loup à les résoudre. c'est une profession qui vivait sa vie de façon autonome, avec ses difficultés. Aujourd'hui, le loup la met sous des projecteurs et le loup donne droit de jugement, qui est quelque chose d'assez ahurissant. Ce qui est aussi passionnant, c'est sur la question des chiens errants. Alors pour justifier le fait qu'effectivement ça n'est pas – enfin en tout cas c'est intéressant je pense quand même d'en parler puisqu'en fait on se rend compte que dans les zones de colonisation du loup actuelles, justement des choses qui sont réglées ailleurs – dans Alpes-Maritimes on sait maintenant – enfin en tout cas quasiment, tout le monde sait et est d'accord pour dire que non c'est pas les chiens errants qui sont responsables des dégâts. C'est quand des loups arrivent sur un territoire, tout d'un coup les dégâts explosent quantitativement. Mais on se rend compte quand même que là dans les nouvelles zones, alors les Cévennes, les Vosges etc, les Pyrénées orientales désormais, on se rend compte que ce vieil argument des chiens errants finalement ressort. Et donc c'est peut-être important d'en toucher deux mots, juste pour dire que moi ce qui me semble important derrière ce sujet-là, c'est qu'on a affaire je pense à un problème qui est de l'ordre de la question de la responsabilité. C'est-à-dire que pour un éleveur, finalement, être attaqué par un chien errant ou être attaqué par un loup, ça n'est pas du tout la même chose parce que quand il est face à un loup, il est face à un animal intouchable théoriquement, il doit le regarder faire, quelque part, sans pouvoir intervenir directement sur l'animal. En mettant en place des mesures de protection, mais psychologiquement c'est pas la même chose que d'agir en cas d'attaque directement sur l'animal. Et enfin il se retrouve – finalement qui doit répondre du dégât des loups ? Eh bien finalement c'est l'état. Mais finalement juridiquement ça n'est pas tout à fait l'état puisque l'état n'est pas responsable des espèces dites sauvages. Et donc je pense qu'il ne faut vraiment pas s'étonner du fait que les chiens errants ne font pas vraiment parler d'eux, malgré le fait que dans certaines zones ça peut être des calamités aussi, vous avez utilisé le terme tout à l'heure. Mais on ne parle pas d'eux publiquement pour ces raisons-là je crois. Oui, les chiens errants. Moi je suis un chercheur, responsable de programme de recherche et développement donc je m'inscris sur le champ technique. Par rapport à ça. Donc le chien errant au sens de chien sans maître, non, il n'y en a pas en France, ou de façon exceptionnelle. Et quant aux chiffres, leurs dégâts, ça a été fait par un certain nombre de structures en France, ils sont regroupés en réseaux, qui ont mené des enquêtes dans une dizaine de départements. On s'aperçoit que les dégâts sont peu fréquents. En moyenne une attaque tous les 5 ans sur un troupeau donné. On s'aperçoit que les niveaux de prédation sont faibles, en moyenne 0,25 % de l'effectif au pâturage. Des chiffres qui rejoignent d'ailleurs totalement la littérature américaine et anglaise sur le sujet. On s'aperçoit que le chien est quasiment toujours vu à l'attaque dans 85 à 90 % des cas parce qu'il ne se cache pas, il n'est pas furtif et donc il est facile de s'en défendre. Voilà on a toute une série d'éléments qui font que quand le loup arrive, tout est totalement différent. Déjà sur le terrain, déjà concrètement le loup est un animal beaucoup plus furtif, beaucoup plus malin, beaucoup plus efficace dans son acte de prédation et qui monte à des dégâts beaucoup plus élevés et contre lequel il faut mettre en place des dispositifs de protection et un temps de travail spécifique pour la protection des troupeaux qu'il n'était pas du tout besoin de mobiliser auparavant. Comment mieux cohabiter ensemble ? Comment mieux cohabiter ensemble ? Pour répondre à une telle question, achevons d'abord le constat des acquis et des difficultés depuis vingt ans que l'on est sur le terrain. Je vais prendre la dernière année pour laquelle on a des chiffres complets, l'année 2011. On a 4921 pertes dues aux loups connues sur carcasses et indemnisées, auxquelles s'ajoutent 20 % donc un petit millier d'animaux supplémentaires qui sont indemnisés au titre des animaux disparus. Ça c'est une décision du ministère de l'agriculture qui fait suite à un certain nombre d'études qui avaient montré qu'on avait effectivement 40 % de pertes d'animaux qu'on ne retrouvait pas, donc ils ont coupé la poire en deux. Voilà donc sur 2012 on est encore en amplification donc on sera à 6000 pertes, peut-être 14000-15000 attaques, je ne sais pas. Ça c'est la réalité brute de terrain qui est difficile. C'est quand même des niveaux importants. Ce n'est pas un sujet marginal. On est sur un coût financier pour l'état 1 million et demi d'euros pour les indemnisations, 7 millions et demi d'euros pour la protection des troupeaux, 40 agents de l'état affectés à plein temps au dossier, c'est l'équivalent de 2 millions d'euros par an. Donc on est sur 15 millions d'euros de coûts pour la société. Certes on peut dire, 250 loups valent un tel prix, là on est dans un débat de société. On est aussi sur un contexte budgétaire tendu. Je vais rajouter une chose sur ce constat pour mieux introduire cette dernière question comment cohabiter, peut-on mieux cohabiter. Donc ce dernier point, c'est qu'on sait faire un alpage maintenant. Ça, je suis le premier à le reconnaître, sur l'alpage de haute montagne on sait protéger un troupeau dans des conditions tenables. Il y a des pertes mais supportables. Voilà pour faire très simple. Mais dans les alpages méditerranéens c'est beaucoup plus difficile, les niveaux de perte sont beaucoup plus élevés, les territoires sont beaucoup plus vulnérables, les durées de pâturage sont beaucoup plus longues, le climat plus chaud oblige à faire pâturer les bêtes la nuit. Donc on a une série d'interrogations. J'en rajouterais une dernière parce que je veux pas être trop long, c'est que désormais, le loup touche de plus en plus des territoires d'exploitation. Le territoire d'exploitation ça veut dire quoi ? Ça veut dire un éleveur local, il a 400 brebis, il fait plusieurs lots d'animaux simultanément. Or, il faudrait qu'il protège simultanément tous les lots d'animaux avec des chiens, avec de la présence humaine, avec des filets, avec des parcs sécurisés et cela toute l'année pour les régions qui ont le climat le plus doux, au lieu des 4 mois d'alpage. Donc on est sur une somme de difficultés techniques qui s'amplifient, parce que le schéma alpage généralisé au niveau national c'est plus de 100 millions d'euros par an. Et tout ça dans un contexte budgétaire, on sait à quel point il est tendu. Alors premièrement, j'aurais tendance à penser que ça n'est pas – en tout cas c'est une manière parmi tant d'autres d'achever le constat, à travers les chiffres, par rapport aux dommages, etc. Là on parle de 15, moi j'avais même 20 millions d'euros annuels quasiment, autour des loups quand on compte un peu le prix des services de l'état, etc. Disons que cet argument par les chiffres me paraît presque aussi arbitraire, en tout cas dans une certaine mesure, que certains arguments dont on a entendu – qui ont été publiés dans les grands quotidiens nationaux, ça devait être au milieu des années 90, où je me souviens, je crois que c'était le président du conseil scientifique du parc naturel du Mercantour qui disait, n'oubliez pas que vous professionnels vous vivez de subventions publiques à l'échelle de, je sais plus, je crois que c'était 70 %, et donc, finalement, partir sur cet argument des chiffres c'est finalement légitimer sur le plan démocratique le fait qu'effectivement pourquoi ça ne serait pas le contribuable qui définirait – qui donnerait ses exigences en terme de bonne pratique d'élevage, de ce qui lui semble important sur le plan de l'élevage. Finalement à jouer à ce jeu, voilà à quoi on peut aboutir. Je crois qu'on peut dire la chose suivante : c'est une chance pour le loup d'être arrivé sur une profession qui est une profession qui n'est pas rentable, parce qu'elle est extensive, parce qu'elle est sur un espace difficile, et qui est soutenue par l'état à la hauteur que vous expliquiez à l'instant. Et c'est une chance pour le loup. Pourquoi ? Parce que de ce fait c'est une profession faible au niveau économique, c'est une profession faible au niveau politique et syndical, c'est une profession qui n'a pas eu son mot à dire d'une certaine façon on l'a soutenue encore plus pour faire passer le loup, c'est clair, mais il n'y avait pas le poids social suffisant pour s'en faire exempter. Et moi je suis profondément convaincu que si le loup impactait une activité d'élevage dynamique, productive, avec un poids syndical et politique réel, malgré toutes les conventions européennes, l'état aurait trouvé les moyens d'exempter cette profession-là du loup. Donc c'est extrêmement intéressant ce que vous dites, parce qu'on est bien sur des rapports de force à l'échelle de la société, entre grands secteurs de la société qui façonnent les choix qui sont en train de se forger. Donc effectivement la question que vous posez est tout à fait légitime. Est-ce qu'un élevage qui est aujourd'hui soutenu à 50-70 %, avec les loups on va peut-être arriver à 90 %. Donc est-ce que c'est un degré de nature ou est-ce que c'est une question de degré ou une question de nature ? Ce sont des vraies questions. Mais peut-être bien, juste pour finir, excusez-moi. Peut-être bien que c'est l'arrivée du loup dans un bassin ovin dynamique et productif, puisque c'est le bassin Roquefort, la Lozère on en est aux marges, qui est en train de faire basculer les termes du débat. Justement. Vous soulignez le fait que les loups arrivant en zone Roquefort, les choses vont basculer. Et donc là on va avoir des options tout d'un coup qui étaient complètement exclues, par exemple l'option de prévoir des zones d'exclusion pour les loups qui étaient complètement exclues dans les Alpes méditerranéennes et dans les Alpes du nord, qui tout d'un coup se retrouvent remises sur le tapis, parce que tout d'un coup les loup vont s'attaquer à des brebis qui sont pas au même prix par tête de pipe quand il faut indemniser une brebis AOC Roquefort, c'est quand même pas la même chose, j'ai pas les chiffres en tête. Mais alors du coup quand on va voir les éleveurs, moi je connais un peu mieux les Alpes du nord que les Alpes méditerranéennes, mais eux qu'est-ce qu'ils disent ? On n'a pas envie d'être la dernière réserve d'Indiens. C'est-à-dire que nous d'une part on a des systèmes d'élevage plus difficiles, vous l'avez dit, pour les Alpes méditerranéennes, beaucoup plus contraignants à conduire finalement presque que des brebis Roquefort. Donc déjà on subit plus de contraintes, donc on a des systèmes plus vulnérables sur le plan économique, etc. Et sous prétexte de ça, ce serait en plus à ces éleveurs-là de subir entre guillemets une contrainte de plus ? Alors que ceux qui sont dans des dispositions économiques et techniques plus favorables, eux on leur permettrait justement de ne pas avoir à subir cette contrainte. Vous posez très bien le vrai débat de société qui est derrière et dont la réponse ne sera pas forcément équitable. Ce qui est important c'est d'essayer de s'intéresser à ce à quoi tiennent vraiment les acteurs dans cette histoire. C'est-à-dire le jour où les naturalistes essaieront de comprendre une bonne fois pour toute pourquoi les éleveurs tiennent tant à leur système pastoral, tiennent tant au fait qu'il ne faille pas enfermer les brebis dans des parcs de nuit, etc. Et le jour où les éleveurs et les bergers comprendront pourquoi certains naturalistes tiennent tant au loup, alors là je pense qu'on aura en tout cas fait un grand pas. Et là on n'est pas dans le débat à se lancer des grands chiffres en disant... Oui enfin si vous permettez, on ne peut pas non plus disqualifier le débat économique. Je le disqualifie pas. Alors j'en suis rassuré. Ce que je trouve important c'est de fournir les éléments de compréhension. Après les choix seront faits. On est sur un chiffrage qui est une réalité, sur le coût du loup avec une grande différence par rapport à ce qu'on disait avant, c'est que les aides apportées à l'élevage extensif, dont vous avez souligné l'ampleur, ce sont des aides entre guillemets positives. C'est-à-dire qu'on est sur le soutien à un type de pratique agricole respectée de l'environnement. Après on peut débattre dans le détail etc. Mais quand même globalement c'est quand même bien l'élevage extensif, l'élevage déployé sur l'espace autonome sur le plan alimentaire. Ce sont des sommes de valeur positive par rapport à la société d'aujourd'hui. Et cela ne fait pas débat. Sur le fait qu'aujourd'hui la relocalisation du produit, le lien au terroir, l'autonomie alimentaire, ce sont des valeurs supérieures à la viande qui vient des antipodes avec le bilan carbone que ça représente, ou avec le bilan hors sol d'un élevage porcin, etc. Non, cela ne fait pas débat. D'autres points font débat. Mais je crois qu'aujourd'hui la même société qui veut des loups pour des raisons écologiques tout à fait respectables, les mêmes valeurs écologiques demandent effectivement un certain nombre de processus agricoles qui sont pas ceux de l'intensification. On peut porter des débats sur des détails mais sur les fondements, on est sur des paradoxes écologiques qui font qu'effectivement le loup risque de repousser l'élevage hors des territoires naturels et favoriser l'élevage hors sol. Bien évidemment je caricature en le disant comme ça, mais je veux toucher du doigt le paradoxe écologique du loup qu'on a du mal a faire émerger. Et je voudrais poser la question, dans les phases suivantes, est-ce qu'on peut se permettre de continuer à protéger intégralement le loup ou est-ce qu'on est arrivé au moment où il va falloir réguler la population des loups ? Tout en préservant l'espèce, comme le font tous les pays de la planète à l'exception de l'Italie. Donc ça, le vrai débat d'aujourd'hui il est là. Ce qui scandalise les défenseurs du loup c'est le fait de tuer un individu, déjà. Et est-ce qu'on va parvenir à arriver à une autre façon de poser le débat. C'est comment réguler le loup pour gérer au mieux la coexistence des activités ? Voilà, je crois que c'est la meilleure façon de le dire. C'est déjà fini. Bravo et merci. On se retrouve bientôt pour un nouveau débat. Deux invités dans ce même plateau rien que pour eux.
Réalisation : Sylvie Allonneau
Production : Universcience
Année de production : 2012
Durée : 33min10
Accessibilité : sous-titres français