Et si on vous disait que la banane, l'un des fruits préférés des Français, était en voie d’extinction ?
Jean : Si on n’a pas de solution de remplacement, cette production peut être amenée à disparaître.
La banane, l’un des géants de l’industrie agroalimentaire, pourrait disparaître de nos étals. Cela semble impossible et pourtant, depuis plusieurs années, l’industrie bananière et les scientifiques alertent sur une menace biologique grave pesant sur notre fruit préféré.
Au Cirad de Montpellier, Emmanuel Wicker est chercheur pour la filière Banane. Il nous permet d’entrer dans les chambres contrôlées du laboratoire, afin de nous présenter la menace.
Emmanuel : Donc le coupable en fait, c’est ce champignon. Qui s’appelle fusarium oxysporum cubense. Il fait trembler la production de bananiers dans le monde entier, il est agent d’une maladie qu’on appelle la fusariose ou aussi maladie de Panama, parce qu’elle a été décrite à Panama au XIXe siècle, et plus récemment, il y a un sous-groupe, la race 4 tropicale qui a été trouvée sur les bananiers et c’est ce qui en fait une menace particulièrement grave pour toute la production de bananiers dans le monde.
Comment un champignon si petit peut-il mettre à mal une industrie si puissante ? Pour nous montrer, Emmanuel coupe un bananier sain !
Emmanuel : Ce que l’on voit, c’est donc le système racinaire, qui est branché au pseudo-bulbe. Et donc ce que le champignon fait, c’est qu’il colonise les racines pour ensuite arriver au pseudo-bulbe, il se multiplie dans le pseudo-bulbe, et il infecte ensuite les vaisseaux. Il perturbe les flux d’eau, les flux de nutriments. La plante n’arrive plus à être alimentée en eau et alimentée en nutriments.
Après 2 à 6 mois, le bananier meurt !
Nématode ou encore maladie de moto… La fusariose, n’est pas le premier fléau à toucher les bananiers.
Emmanuel : Mais ces maladies-là, elles sont très préjudiciables, mais elles ont une répartition essentiellement régionale. Afrique de l'Est ou Amérique latine. La fusariose, elle, elle est vraiment présente dans toutes les principales zones de production.
Autre particularité de la fusariose. Elle est incurable.
Emmanuel : Donc aujourd’hui, on n'a absolument pas de traitement contre fusarium oxysporum. Le champignon, il suit les racines, donc il peut aller jusqu’à 1m, 1m50. Le traitement d’un sol dans toute sa profondeur, c’est quand même quelque chose de très compliqué et aussi parce que les molécules que l’on a à disposition sont aussi très toxiques pour l’environnement, pour les animaux et pour l’homme. Donc ce sont des molécules qui ont été abandonnées depuis les années 70 et c’est heureux.
Emmanuel : Une fois qu’elle est présente dans une parcelle, c’est quasiment impossible de s’en débarrasser et donc pour l'instant eh bien on est assez démunis pour lutter efficacement contre la fusariose sur le bananier Cavendish.
Saviez-vous que si vous achetez vos bananes au supermarché, vous n’avez sûrement mangé que cette variété de bananes toute votre vie.
La Cavendish ! Pour la rencontrer, nous nous envolons vers la Martinique. Daniel Martin Vallet, directeur du musée de la banane, nous la présente.
Daniel : Et donc voilà notre fameuse banane, la Cavendish. C’est cette banane qui est produite partout dans le monde à environ 12 millions de tonnes. Ce qui est très important et quel que soit l’endroit où vous vivez sur la planète, si vous ne connaissez qu’une seule banane, c’est cette banane-là, la Cavendish.
Pourtant, des bananes, il en existe des centaines. Des roses, des rondes, des petites, des grosses et des tordues. Mais, l’industrie bananière a décidé qu’elle n’utiliserait que la Cavendish pour rejoindre nos magasins. Et pour cause.
Daniel : Notre Cavendish, c’est la banane idéale. C’est une banane qui coche toutes les cases. Le bananier n’est pas très grand, donc pour la récolte, c’est facile. C’est un régime qui peut peser jusqu’à 20 à 25 kilos. Donc c’est très intéressant en termes de productivité avec des fruits qui se ressemblent, qui sont identiques. Les courbures sont pareilles. Donc quand il va falloir les ranger plus tard dans les cartons, ça va se faire de manière presque naturelle hein ! Et puis le goût. C’est une banane qui est très bonne, c’est une très très bonne banane. Et c’est pour ça qu'elle est appréciée.
La Cavendish est donc une banane parfaitement taillée pour la production à grande échelle ! À un détail près.
Daniel : À l’époque ce qu’il faut savoir, c’est que les bananes que l’on consommait, que les hommes consommaient il y a 2 à 3000 ans de ça, étaient comme ça, remplies de graines. Et c’est simplement pour des raisons qu’on ignore que certaines variétés ont commencé à muter, à se débarrasser des graines et à se remplir de pulpe.
Stériles, les plants de bananes se reproduisent par clonage.
Daniel : Pour se reproduire, le bananier émet au niveau de son bulbe totalement un pied totalement identique au pied mère et c’est le mode de reproduction des bananiers dans le monde.
Autre technique de reproduction, le vitroplant. Dans cette usine à Montpellier, on fabrique des bananiers in-vitro. En laboratoire. Une fois le pied mère sélectionné, ils prélèvent le cœur, le découpent en petits morceaux qu’ils font se reproduire. Puis ils découpent à nouveau ces plants pour les faire se reproduire… Avec un seul bananier, on peut faire pousser plusieurs milliers de nouveaux plants. Avec exactement le même patrimoine génétique que le pied mère.
Daniel : Finalement, ça appauvrit le matériel génétique de la plante. Et qui la rend parfois très sensible à certaines maladies, et notamment pour la Cavendish, qui est dupliquée à des millions et des millions d'exemplaires tous les ans.
Pas de traitement et une propagation pratiquement impossible à endiguer. À moyen ou long terme, la banane que nous adorons tant va disparaître. Alors les scientifiques et les industriels du monde entier sont déjà à la recherche de sa remplaçante. La banane de demain !
Jean : Le premier qui va trouver une telle variété de banane résistante, ça va lui conférer un avantage commercial évident. Et donc, il va en vendre de grande quantité à travers le monde.
La première idée a été d’inspecter les collections de bananes pour trouver une remplaçante parmi les centaines d’espèces disponibles. Une entreprise pour l’instant vouée à l’échec.
Jean : Il y a une chaîne de commercialisation qui a été très adaptée à cette variété et parmi les autres variétés qui existent, on en a trouvé aucune qui pouvaient pour l’instant rentrer dans cette chaîne de commercialisation. Il n’y en a aucune qui remplit le cahier des charges.
Une banane aussi parfaite que la Cavendish n’existe pas encore. Alors une autre solution est de créer une nouvelle banane.
Jean : Pour créer une telle variété, au Cirad, on a choisi une voie classique d’amélioration, qui consiste à croiser des variétés de bananes. Pour ensuite sélectionner dans les centaines de descendantes une nouvelle variété qui va avoir des caractéristiques de résistance aux maladies.
Depuis 10 ans, le Cirad cherche cette banane sans succès, mais cette année, après des centaines de croisements, 5 de leurs bananes résistent. Voici peut-être notre banane de demain.
Jean : Après 10 ans de travail, voilà une des variétés parmi les 5 qu'on a réussi à créer sur notre plateforme de création. Qui est résistante à la fusariose, mais qui est aussi résistante à la cercosporiose.
Jean : Cette variété se nomme Cirad 965. Elle est issue d’un croisement entre ces deux géniteurs. Le goût est même meilleur pour certains que la Cavendish. Donc on a beaucoup d’espoir pour ces variétés.
Jean : Maintenant, on n'est pas, pour l’instant, tout à fait sûr qu’elles vont pouvoir s’adapter à la chaîne de commercialisation actuelle. Et c’est quelque chose qu’on est en train de tester avec des producteurs et des distributeurs actuellement.
Grâce au travail de ces chercheurs du monde entier, la banane va peut-être bénéficier d’un sursis. Mais coincée dans une économie de monoculture à grande échelle, l’industrie bananière fonctionne avec une épée de Damoclès au-dessus d’elle. C’est un combat que le Cirad mène depuis plusieurs années.
Jean : Il serait intéressant de réintroduire une diversité dans la production de bananes, parce que ça nous aidera à mieux limiter les maladies et à éviter de nouvelles émergences telles que l’on a vues ces dernières années.
La diversité serait donc la solution, alors si vous voyez sur vos étals des bananes différentes, plus petites, roses, ou encore avec quelques brunissures, donnez leur leur chance.