A Antony, dans la région parisienne, un laboratoire travaille sur un sujet pas très ragoûtant, l'eau sale... Berk ! "Donc vous êtes ici au sein de l'unité Prose, qui est une unité d'Inrae, l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement Prose, ce sont tous les procédés qui permettent à la fois de dépolluer, mais aussi de valoriser nos déchets et nos effluents. Des procédés tels que les stations d'épuration, les unités de méthanisation de déchets, ou des procédés du futur. Et c'est en particulier le cas des procédés bio-électrochimiques sur lesquels on travaille beaucoup. On travaille sur l'eau sale. On travaille aussi sur les déchets sales. Maintenant, on essaie d'en faire de véritables bio-ressources pour alimenter ce qu'on appelle la bio-économie. Donc 45 millions de tonnes environ en France, tous les ans de déchets organiques qu'il faut essayer de mieux valoriser. Pour ça, en fait, on utilise les propriétés des communautés microbiennes de l'environnement et ce sont des micro-organismes qui sont les êtres vivants les plus abondants sur Terre et sont en même temps les moteurs biogéochimiques de la biosphère. De tout temps, ils ont participé aux réactions de recyclage et de transformation de la matière. Et ce qu'on fait en biotechnologie environnementale, c'est qu'on va invoquer ces propriétés et leur procurer toutes les conditions qui leur permettent de s'exprimer, d'exprimer leur fonction de dégradation et d'aller vers les conversions qu'on souhaite favoriser." "Je vais faire des mesures de pression dans mes différentes bouteilles qui ont des conditions à chaque fois différentes de substrats et d'inoculum pour mesurer la production de gaz par les différents micro-organismes, en particulier le méthane qui m'intéresse ici. Moi, j'utilise un inoculum qui évolue dans le Glouton." "Il s'appelle Glouton. Il porte bien son nom. Il mange tout ce qu'on lui donne." "C'est un réacteur qu'on entretient en laboratoire, qu'on alimente en continu, avec un mélange de déchets organiques et de déchets alimentaires, de toutes sortes de substrats, qui nous sert à inoculer toutes nos expériences. Jusqu'aux années 2000, on était plutôt dans une logique de traitement. Donc les fonctions qu'on souhaitait favoriser, c'étaient les fonctions de dépollution. Depuis le milieu des années 2000, on est désormais plutôt dans une logique de valorisation, de bio-conversion. Et donc, on a besoin d'essayer de mobiliser des fonctions un peu plus complexes qui existent dans la nature, mais qu'on connaissait un peu moins et qu'on essaye de stimuler et d'utiliser et d'exploiter. Et pour cela, on utilise des procédés un peu particuliers qui sont des procédés bio-électrochimiques. Le métabolisme microbien comme le métabolisme du vivant en général, est basé sur des réactions d'oxydoréduction qui impliquent le transfert d'électrons. Par exemple, nous, on respire, lorsqu'on mange du sucre, le sucre fournit des électrons et les électrons cheminent le long d'une cascade métabolique jusqu'à l'oxygène qu'on respire qui est l'accepteur final d'électrons. Et au cours des années 2000, on s'est aperçu que les micro-organismes, dans l'immense diversité métabolique qu'ils ont, étaient aussi capables d'échanger des électrons avec des surfaces. Et ils peuvent notamment utiliser des électrons issus d'un substrat pour les donner, non pas à l'oxygène, mais à des minéraux. Et donc a émergé l'idée finalement d'utiliser ces propriétés pour interfacer ces micro-organismes à des électrodes et donc à des circuits électriques. Et ça, ça a ouvert un nouveau champ d'applications technologiques qui sont les procédés bio-électrochimiques." "Au début du projet, on a commencé par développer la technologie BIORARE à cette échelle-là. Ce sont des électrolyseurs microbiens. Le principe, c'est qu'on utilise un biodéchet dans le compartiment anodique ici, où il y a des micro-organismes qui vont consommer la matière organique, en extraire les électrons, et via l'électrode, les faire circuler dans un circuit électrique qui est à l'extérieur, ça c'est les fils qui partent vers le générateur. Dans ce circuit électrique, avec le générateur, on va donner un peu d'énergie à ces électrons et les renvoyer dans le compartiment de l'autre côté qui est le compartiment cathodique où là, il y a d'autres micro-organismes qui sont capables d'utiliser ces électrons au niveau de l'électrode comme sources d'énergie et avec du CO2 qu'on ajoute, ces micro-organismes sont capables de produire des molécules d'intérêt. Des molécules qu'on appelle plateformes pour la chimie verte ou pour les biocarburants." "Donc les anodes et les réactions d'oxydation sont utiles et nécessaires pour oxyder la matière organique, autrement dit la dépolluer, et le flux d'électrons qui arrivent à la cathode est exploité par des micro-organismes qui vont utiliser l'électron comme source d'énergie et vont catalyser toutes sortes de réactions. Et ça, ça a ouvert toutes sortes de possibilités parce qu'il y a maintenant pas mal de moyens de produire de l'électricité renouvelable et on peut donc utiliser cette électricité renouvelable avec des micro-organismes pour leur faire faire toutes sortes de réactions intéressantes et notamment la fixation du CO2 et la production de molécules organiques, qui contiennent du carbone et de l'hydrogène, à partir de ce CO2 que ces micro-organismes ont fixé. Avec cette idée qu'on pouvait combiner le traitement des déchets, récupérer une partie de l'énergie et du carbone en vue d'alimenter la bio-économie." C'est un cercle vertueux, "Mais les applications sur lesquelles on travaille surtout, c'est à la production de produits de nettoyage. C'est un peu le paradoxe amusant. On part de déchets et d'eau sale pour produire finalement quelque chose qui va nous servir à nettoyer des surfaces, à désinfecter. La molécule qu'on produit très simplement, c'est de l'acide acétique. C'est le composant principal du vinaigre blanc qui est un produit de nettoyage que vous utilisez peut-être chez vous, mais qui a de multiples usages." "La technologie, d'abord, s'est développée à cette échelle avant de pouvoir monter à des échelles plus importantes. Et donc, l'idée, c'est de pouvoir faire tout ça, à moindre coût énergétique et avec du carbone renouvelable. Donc, la consommation énergétique de ce pilote est relativement faible. Pour une quinzaine de litres, il va consommer un watt plus, et ça permet donc de produire ces molécules pour la chimie verte à partir de carbone renouvelable plutôt qu'à partir de carbone fossile, comme on le fait en fait pour l'instant. Donc, il y a une vraie perspective là-dessus pour la bioraffinerie environnementale. La technologie Biorare est vraiment vue comme une brique technologique qui a vocation à être insérée typiquement dans une unité de traitement de biodéchets par méthanisation." Mais ce n'est pas tout ! "Dans les procédés de traitement des eaux, on va traiter la pollution de façon majoritairement biologique. Pour cette biologie, on a besoin d'apporter de l'oxygène et donc cet oxygène, on va l'apporter avec des surpresseurs et des agitateurs au sein des bassins de traitement des eaux, ce qui va provoquer une importante consommation énergétique et donc un coût fort de ces procédés en lien avec cette consommation énergétique. Et donc, dans le cadre du projet Biotuba que je coordonne, on cherche à développer un procédé dans lequel on va utiliser la bio-électrochimie pour limiter cette consommation énergétique. Pour l'instant, on travaille plutôt à des échelles de laboratoire. L'objectif dans le cadre du projet, c'est de partir jusqu'à une échelle semi-industrielle pour ensuite pouvoir développer des outils de modélisation qui nous permettent de faire une extrapolation sur des procédés à beaucoup plus grande taille. Donc, après, ça impliquera des modifications de bassins, des installations de procédés spécifiques, voire la création de nouveaux bassins pour accueillir ce type de procédés. Mais l'idée, c'est d'avoir ces procédés directement sur les installations industrielles." Les plus hautes technologies sont utilisées pour exploiter ces eaux troubles. Ici, nous avons ce qu'on appelle un microscope confocal, donc ça fait partie de l'arsenal d'outils que nous avons pour les analyses en biologie moléculaire. Ça nous permet d'analyser des échantillons complexes qui font intervenir des communautés de bactéries. Chaque point est une bactérie et donc, vous voyez, qu'on est vraiment sur des échantillons extrêmement complexes. Il faut savoir que 1 litre de boues contient 10 puissance 12 bactéries. Donc c'est aussi dense que les bactéries qui peuvent se trouver dans notre intestin." "Les micro-organismes sont les premiers êtres vivants qui ont colonisé la Terre il y a plus de 3,5 milliards d'années. Ils sont passés à travers toutes sortes d'environnements biogéochimiques, en particulier des environnements, aux premiers instants de leur développement où il n'y avait pas du tout d'oxygène. Ils ont colonisé toutes sortes de milieux et ils exploitent finalement toutes les ressources disponibles dans chacun des biotopes des milieux de vie qui sont présents à la surface de la Terre d'aujourd'hui et de la Terre du passé également. Et donc, on a une espèce d'émerveillement devant l'extraordinaire diversité des micro-organismes et l'extraordinaire diversité métabolique. Toutes les solutions qu'ils ont développées pour exploiter les sources d'énergie et de matières présentes dans leur milieu de vie, dans leur biotope. Alors, évidemment, on avait l'habitude de les voir sous l'angle des micro-organismes pathogènes. Mais une grande majorité des micro-organismes sont en fait nos alliés. Les environnements naturels depuis la révolution industrielle finalement, n'ont plus la capacité d'atténuation naturelle qu'il pouvait y avoir lorsque les populations humaines étaient moins denses. Donc, on a besoin de connaître ces acteurs des cycles biogéochimiques terrestres, d'exploiter la diversité métabolique du vivant dans ces procédés de biotechnologie environnementale."