Le trafic d'animaux sauvages est à l'origine de l'épidémie actuelle. Voici l'hypothèse défendue par Alexandre Hassanin, chercheur au Muséum national d'histoire naturelle, depuis des mois déjà. En révélant la présence ancienne de virus proches du SARS-CoV-2 au Cambodge et en Thaïlande, deux publications semblent lui donner raison. Il y a eu deux récentes découvertes importantes pour comprendre l'origine de l'épidémie de Covid-19. Une découverte d'un virus proche à 93-94 % du SARS-CoV-2, trouvé chez une chauve-souris piégée en 2010 au nord du Cambodge. Et aussi, récemment, une découverte d'un virus également proche à 93-94 % chez une chauve-souris piégée en juin 2020 et trouvée en Thaïlande. Ces deux virus proches trouvés en Asie du Sud-Est sont importants, car précédemment, tous les virus de cette lignée SARS-CoV-2 avaient été découverts exclusivement en Chine. Chez des chauves-souris, en particulier dans le sud de la Chine, au Yunnan, chez deux espèces de chauves-souris. Et puis, on avait aussi deux virus de pangolin qui avaient été trouvés dans le sud de la Chine, cette fois-ci chez des pangolins saisis par les douanes chinoises. Des pangolins d'origine inconnue mais des pangolins malais, donc forcément d'Asie du Sud-Est et pas de Chine. Pour moi, le fait que deux virus de pangolin ait été trouvés sur le territoire chinois et soient antérieurs à l'épidémie, ce sont des données très fortes. C'est la preuve que l'importation de virus de l'Asie du Sud-Est vers la Chine a été faite au moins deux fois par des pangolins, avant l'épidémie. Par le passé, finalement, peu de chercheurs s'intéressaient à ces virus en Asie du Sud-Est, et maintenant que beaucoup d'équipes scientifiques de virologues s'intéressent à ces virus, je pense qu'on va en découvrir une énorme diversité en Asie du Sud-Est. On sait que le réservoir de ces virus, ce sont les chauves-souris. Il n'y a pas de doute. Et pas n'importe quelles chauves-souris. Il faut savoir qu'il y a 1 300 espèces, ce n'est pas rien. Mais, ce qui nous intéresse, ce sont les chauves-souris du genre Rhinolophus, qui sont cavernicoles. On sait qu'il y a beaucoup d'espèces en Asie du Sud-Est, au moins une vingtaine, qui peuvent se côtoyer dans les grottes. Et quand elles se côtoient dans les grottes, elles peuvent échanger des virus. Et ces virus évoluent dans telle ou telle espèce de Rhinolophus. Après, comment ces virus originaires d'Asie du Sud-Est sont passés en Chine ? C'est toute la question qui nous interroge beaucoup. Dès le départ avait été proposée l'hypothèse du pangolin, et puis cette hypothèse a été abandonnée. Et là, finalement, les chercheurs thaïlandais ont découvert par ailleurs des anticorps qui sont capables de reconnaître le virus SARS-CoV-2 chez les pangolins. Qu'est-ce que ça veut dire ? Tout simplement que le pangolin qui a été testé, a déjà subi une attaque de ce virus. Il s'en est sorti, ce qui est assez exceptionnel, car les pangolins saisis en Chine étaient quasiment tous malades, et certains en sont morts. Donc les pangolins sont très sensibles à ces virus. Mais certains s'en sortent, c'est la sélection naturelle. Cela nous prouve que les pangolins saisis en Chine - on se posait la question s'ils avaient été contaminés sur le sol chinois ou est-ce que certains d'entre eux avaient pu être contaminés dans leur milieu naturel ? Là, grâce à ces données, on sait que les pangolins peuvent être contaminés par des virus qui évoluent chez les chauves-souris, donc des virus de chauves-souris, et que certains d'entre eux peuvent s'en sortir et s'adapter. Cela corrobore le scénario d'une épidémie qui aurait commencé suite au trafic des pangolins de l'Asie du Sud-Est vers la Chine. Ce trafic est énorme. On a estimé que près d'un million de pangolins ont subi ce trafic, ont été importés en Chine ces dix dernières années. Donc là, on a tous les éléments pour envisager que c'est le trafic des pangolins qui est potentiellement responsable de cette épidémie. Il y a d'autres hypothèses, évidemment. On peut envisager un cas de figure où un pangolin a pu contaminer un être humain, ou on peut envisager aussi un effet de petits carnivores. On a tous été frappés par les récentes contaminations des élevages de visons en Europe. Ce n'est pas rien, quasiment tous les élevages ont été contaminés par les hommes qui s'occupaient de ces visons. Et ensuite, on a observé une évolution très rapide des virus dans ces élevages de visons. Cela permet d'amplifier de façon considérable la diversité virale, et cela permet de favoriser le passage à un hôte un peu atypique, l'homme. Le passage d'un petit carnivore à l'homme. Donc l'effet des petits carnivores en Chine est possible. La Chine est l'un des principaux éleveurs de petits carnivores. Il y a le vison, évidemment, il y a le chien viverrin aussi, qui est beaucoup utilisé. Donc des millions d'animaux. Si un jour, un de ces animaux a pu croiser le chemin d'un pangolin infecté dans son milieu naturel ou par un de ces congénères en cage, le scénario devient assez clair, c'est-à-dire qu'on imagine une amplification de ces virus, une évolution des virus dans les élevages. Et là, toutes les conditions sont remplies pour envisager une contamination humaine. On l'a observé dans certains élevages au Danemark. La première contamination des visons a été faite par des êtres humains, mais ensuite, certains êtres humains ont été contaminés par des visons, eux-mêmes contaminés à l'origine par des hommes. Donc il y a un passage assez intrigant de la barrière des espèces, sans filtre. C'est-à-dire que les virus passent de l'homme aux visons, puis des visons à l'homme. Autant certains mammifères se révèlent sensibles au SARS-CoV-2, autant certaines populations humaines semblent peu affectées. C'est le cas justement dans plusieurs pays d'Asie du Sud-Est, comme la Thaïlande, le Laos, le Vietnam et le Cambodge. Pourquoi ? Les populations humaines se sont elles-mêmes adaptées à ces virus. Il y a des signes qui indiquent que les populations d'Asie du Sud-Est, que ce soit en Thaïlande, au Laos, au Vietnam ou au Cambodge, ont semble-t-il développé une immunité vis-à-vis de ces virus. On voit que pour le SARS-CoV-2, il y a peu de cas par rapport aux pays voisins, comme le Myanmar, la Malaisie ou le Bangladesh. Il y a peu de cas et très peu de morts voire pas de morts, comme au Laos, par exemple. Donc localement, les populations se sont adaptées. Les gens développent moins les symptômes de la maladie. Certains les développent quand même, à mon avis, plus les citadins que les gens des campagnes qui ont plus l'habitude d'interagir avec la faune. Ou du moins, ce qui reste de la faune sauvage. Avec la déforestation, le trafic d'animaux sauvages est encore facilité. Et la survie des pangolins est menacée en Asie, mais aussi jusqu'en Afrique, alors que ces huit espèces sont toutes protégées.