Désormais cerné par les eaux, un temple bouddhiste autrefois situé au cœur d’un village est devenu un symbole de l’érosion côtière, particulièrement sévère dans le golfe de Thaïlande. Ses moines refusent de partir et les fidèles placent leurs espoirs dans la replantation de mangrove.

Quand leurs terres ont commencé à être avalées par la mer il y a une trentaine d’années, les habitants de Samut Chin, petit village de pêcheurs à une heure de Bangkok, ont déménagé leur maison de bois à plusieurs centaines de mètres de là. « Si on déplaçait aussi le temple, les gens ne sauraient pas qu’il y en avait un ici », relève le moine Somnuek Atipanyo, montrant l’endroit, englouti, où se trouvait l’école du village. Il doit aujourd’hui emprunter une passerelle au-dessus des eaux quand il veut quitter sa pagode et rejoindre la terre ferme.

Image légendée
La mangrove et des marais dans la région de Samut Chin en Thaïlande, le 9 mars 2019 © AFP Jonathan Klein

Selon une étude publiée dans la revue Nature en 2018, l’érosion côtière s’est traduite entre 1984 et 2015 par la disparition de 28 000 km2 de terres à travers le monde, soit l’équivalent de la surface d’Haïti. Les forêts de mangrove, écosystèmes de marais maritimes, sont particulièrement menacées, fragilisées par l’urbanisation côtière et la pollution. Or l’Asie du Sud-Est est l’une des régions du monde qui en compte le plus.

Des bambous et du ciment

Sur les plus de 8 000 km2 de cet écosystème qui ont disparu depuis 1996, « les zones dégradées les plus importantes se trouvent en Asie du Sud-Est, qui représente 40 % des pertes mondiales et 60 % des dégradations », souligne le rapport Mangrove Restoration potential, co-dirigé par l’université de Cambridge. Dans le golfe de Thaïlande, des kilomètres carrés ont ainsi été arrachés par les habitants pour installer des fermes de crevettes ou des marais salants. Avec pour conséquence une érosion côtière qui n’est plus freinée par les racines, profondément ancrées dans la vase, de ces forêts de palétuviers.

Image légendée
Le temple bouddhiste de Samut Chin, désormais cerné par les eaux, le 9 mars 2019 en Thaïlande © AFP Jonathan Klein

De nombreuses zones du littoral sont si dégradées que « même si l’on replantait plein de mangrove, cela n’y changerait rien », déplore Thanawat Jarupongsakul, enseignant en géologie à l’université Chulalongkorn de Bangkok. Il a pourtant aidé les habitants de Samut Chin à en refaire pousser il y a près de dix ans. Ils ont aussi planté des rangées de bambous pour réduire l’impact des vagues et permettre aux jeunes plants de mangrove de se déployer. L’expert, consultant pour le gouvernement thaïlandais, a également fait installer dans la mer des pylônes en ciment destinés à protéger le temple des vagues. « Mais pendant la mousson, les vagues sont très fortes », relève le moine Somnuek Atipanyo. Si aujourd’hui l’érosion côtière est freinée autour du village, elle reste galopante quelques kilomètres plus loin, là où il n’y a pas de pagode en péril pour sensibiliser l’opinion.

700 km de littoral menacés

Plus de 700 kilomètres, soit un quart de l’ensemble du littoral thaïlandais, sont menacés d’érosion, selon les derniers chiffres du ministère de l’environnement. Et sur quarante kilomètres, le recul est supérieur à cinq mètres par an.

Image légendée
Dans la région de Samut Chin en Thaïlande, le 9 mars 2019 © AFP Jonathan Klein

Le professeur Thanawat vient de mettre en place un système pour consolider la plage touristique de Pattaya, un peu plus loin sur le golfe. Grâce à des pains, composés de plusieurs matériaux laissant s’infiltrer les eaux de pluie, enfouis dans le sable, la station balnéaire a pu regagner plusieurs mètres de plage. Mais plutôt que du saupoudrage dans les zones les plus visibles, l’expert prône des mesures de fond, comme la limitation de la construction d’hôtels en bord de côte, un vœu pour l’heure pieux au royaume du tourisme de masse. 

Des mesures commencent toutefois à émerger, à l'instar du Programme de restauration de la mangrove de Bangkok, lancé en 2016 avec de grandes entreprises de Thaïlande appelées à mettre la main au porte-monnaie. Parmi elles, la société B.Grimm, dont les actifs vont de l’immobilier aux centrales à charbon. Une centaine de ses employés se sont retrouvés, de l’eau jusqu’au cou, à planter des plants dans la région. « Nous avons l’intention de revenir deux fois par an » pour vérifier que la mangrove pousse bien, explique Pongsak Ruangpatikorn, représentant de B.Grimm.

Aujourd’hui, à travers le monde, les projets de replantation se multiplient. Mais le succès reste mitigé quand ils ne s’accompagnent pas d’une sérieuse étude de terrain, souligne le rapport Mangrove Restoration potential.