Créer des bactéries capables de fonctionner avec des molécules inversées par rapport à celles de tous les êtres vivants connus : l’idée peut sembler digne d’un roman de science-fiction. Pourtant, elle occupe depuis plusieurs mois une place centrale dans les débats scientifiques internationaux. 

Des inquiétudes grandissantes 

En décembre 2024, une quarantaine de chercheurs ont signé dans Science un appel solennel : selon eux, si une telle « vie miroir » voyait le jour, elle pourrait échapper aux défenses immunitaires, déjouer les médicaments, ou bouleverser des écosystèmes entiers. Ils réclament un moratoire sur certaines recherches, le temps d’en mesurer les conséquences. Pour en apprendre plus sur ce sujet, n’hésitez pas à consulter notre reportage publié en juillet dernier. 

Depuis, les conférences se multiplient. Un premier rendez-vous s’est tenu en juin 2025 à Paris, suivi d’une autre rencontre à Manchester à la mi-septembre. Les chercheurs ont commencé à y débattre de la marche à suivre. Faut-il interdire certaines expériences avant même que la technologie n’existe réellement ? 

Une science encore loin du but 

Car, dans les faits, la « bactérie miroir » reste très hypothétique. Si des équipes sont parvenues à fabriquer quelques fragments d’ADN ou d’ARN en version inversée, recréer l’ensemble des composants d’une cellule reste hors de portée. La tâche serait colossale : il faudrait produire des centaines de molécules différentes, puis les assembler avec une précision extrême pour obtenir un organisme fonctionnel. 

En attendant, les applications envisagées concernent surtout la médecine. Selon Ting Zhu, ces molécules « miroir », inversées, pourraient être plus stables et mieux tolérées par l’organisme, ouvrant la voie à des traitements potentiellement plus efficaces. Il imagine également des enzymes miroir capables de dégrader le plastique ou de stocker durablement des données biologiques. 

La voix dissonante de Ting Zhu 

Dans ce débat, certains scientifiques mettent en garde contre la tentation de freiner trop vite la recherche. C’est le cas de Ting Zhu, spécialiste de biologie synthétique, qui s’est exprimé il y a quelques jours dans le magazine Nature. Selon lui, confondre la création d’organismes entiers et l’étude de molécules miroir revient à exagérer les risques. « Nous sommes encore très loin de fabriquer une bactérie miroir », souligne-t-il. 

Pour Zhu, imposer des interdits dès aujourd’hui risquerait surtout de bloquer des pistes prometteuses pour la santé, l’environnement ou même la compréhension des origines de la vie. Plutôt qu’un moratoire strict, il appelle à un débat ouvert et à une régulation éclairée, basée sur des faits scientifiques plutôt que sur des peurs hypothétiques. 

Entre prudence et curiosité 

Encadrer la recherche sur la « vie miroir » représente un véritable défi. Comment définir des règles au niveau des laboratoires tout en coordonnant des normes internationales ? Des comités d’éthique renforcés, des protocoles stricts et un dialogue ouvert entre scientifiques, décideurs et citoyens pourraient permettre de limiter les risques tout en laissant la science progresser de manière responsable.