La psychopathologie du trouble de stress post-traumatique vient d'une rencontre extrêmement malheureuse entre une personne et une situation. Il y a d'abord une période de stress aigu, puis le trouble de stress post-traumatique va s'organiser par la suite. De façon arbitraire, on considère que c'est après un mois. Après un mois, on voit émerger un certain nombre de symptômes. Le symptôme, on pourrait dire cardinal, ce sont les intrusions de mémoire. C'est-à-dire des pensées, mais surtout des éléments sensoriels et émotionnels extrêmement envahissants qui reviennent à la conscience de la personne qui a été victime d'un trauma, de façon intempestive. Ce n'est pas un souvenir, c'est même pas une mémoire, ce sont des éléments disparates. Ce sont par exemple des sons, ce sont des images, ce sont des odeurs, des impressions sensorielles comme ça, très fortes, qui s'imposent à la confiance de la personne. Le souvenir est contextualisé, il est construit, il va se reconstruire. Là, au contraire, ce sont des images lancinantes qui reviennent de la même façon et qui ont une grande particularité, c'est de revenir au présent. C'est-à-dire qu'un souvenir, on peut penser à ce qu'on a fait il y a une semaine, dans telle ou telle circonstance, retrouver des amis dans notre tête ou la famille... On peut retrouver des situations. Et y compris avec l'émotion de cette situation. Mais on sait que c'est le passé. On le sait. Alors que les intrusions... elles sont bien différentes, et comme je le disais, elles sont constituées de petits éléments. Ce n'est pas toute une scène qui est reconstruite, et elles sont là à nouveau. Elles s'imposent à la personne, et c'est pour ça que je trouve que le terme "blessé psychique" est tout à fait pertinent parce que c'est vraiment ça. C'est un peu le couteau dans la plaie en permanence, ces intrusions. Remember, c'est l'étude biomédicale orientée vers la compréhension du trouble de stress post-traumatique et les mécanismes de résilience. Il y a à peu près 80 personnes au début qui sont des "sujets contrôles", qui étaient à distance des attentats, et puis 120 personnes qui étaient au plus près des attentats. C'est-à-dire qu'elles se trouvaient dans la salle de concert du Bataclan, sur les terrasses ou aux abords du stade de France. Ces personnes-là, au nombre de 120, elles viennent à Caen pour des examens à la fois psychopathologiques, neuro-psychologiques et en imagerie cérébrale. Ces participants qui venaient dans notre labo, on n'allait pas les confronter à des images venant de ces attentats. On n'allait pas les confronter à des images traumatiques. Donc il fallait trouver un subterfuge en quelque sorte. Le protocole qui nous a convaincus, c'est le think/no-think. Le think/no-think, le premier grand principe, c'était de faire surapprendre ces couples de concepts. Le mot, par exemple "bateau", associé à l'image "maison". Et on propose comme ça plus de 70 duos. On fait apprendre, surapprendre, ces duos de concepts, si bien qu'au bout d'un moment, quand la personne lit le mot, l'image s'impose à elle. Ça devient en quelque sorte une intrusion expérimentale. Alors pour revenir sur les groupes, nous avons à la fois des "sujets contrôles", des sujet qui n'ont pas vécu les attentats, mais également des personnes qui ont été exposées aux attentats et qui n'ont pas développé le trouble de stress post-traumatique. Et chez elles, on va montrer le mécanisme physiologique qui est même renforcé chez elles. Et qui permet ce contrôle des intrusions. Ce que montre cette première étude, publiée en 2020 dans "Science", ça décrit un mécanisme qui conduit au contrôle des intrusions. Et ça montre que ce mécaniste de contrôle est extrêmement important, et il va être important dans le devenir des personnes. Ce résultat, il va être souligné et peut-être même exacerbé dans une deuxième étude. Une deuxième étude qui permet de suivre cette même cohorte, donc deux ans après. Et deux ans après, ce que l'on voit, c'est que certaines personnes ont conservé un trouble de stress post-traumatique, mais d'autres ont évolué. Ces personnes-là, on les appelle "rémittentes". C'est-à-dire qu'elles n'ont plus de psychopathologie. Ça ne veut pas dire qu'elles vont parfaitement bien, mais en tout cas, elles n'ont plus tous ces symptômes. Et donc on va refaire ces travaux en IRM avec une technique un petit peu différente, on va vraiment mettre la focale sur une région du cerveau qui est très importante pour la mémoire et la réguler : les hippocampes. C'est une structure, comme son nom l'indique, qui ressemble un peu à l'animal marin, l'hippocampe. Ça fait à peu près 8-10 cm de long, ça a une tête et une queue enroulée sur elle-même. Et c'est en fait une structure extrêmement complexe. On va observer au fil du temps une modification de la densité structurale des hippocampes. Donc en fait, leur taille va se moduler au fil de temps. Ce qui est quand même très intéressant, c'est quand on fait une étude longitudinale, on voit que cette taille évolue en fonction d'un certain nombre de paramètres. Donc ça, ça nous renseigne en tout cas sur la composante, sur l'importance, sur l'implication du trauma dans ces conséquences sur la taille de hippocampe. Et ce que l'on voit, c'est que les personnes dites "rémittentes", telles que je les ai décrites, c'est-à-dire celles qui changent de statut, qui souffraient d'un trouble de stress post-traumatique au départ et qui n'en souffraient plus au deuxième temps de l'étude, on voit la taille de hippocampe qui reprend une trajectoire normale. C'est un message qui est très important pour tout le monde, pour la communauté scientifique et puis plus encore pour les patients, parce que ça montre que vivre un trauma, y compris vivre un trauma extrême, comme ceux qu'ont vécu les personnes du Bataclan, des terrasses et du Stade de France, ce n'est pas un déterminisme, c'est pas entrer là-dedans, mais il y a des moyens d'évolution et même si le cerveau est meurtri, le cerveau est capable de trouver des voies qui lui permettent de renaître et de se reconstruire. De plus en plus, on travaille maintenant avec des psychothérapeutes, avec des spécialistes du psychotrauma en cliniques courantes. Et ce qui nous intéresse aujourd'hui, c'est le transfert de nos résultats vers la clinique. Une voie thérapeutique, une voie psychothérapeutique, c'est de renforcer ces mécanismes de contrôle de la mémoire. Donc ça doit faire partie aujourd'hui de la panoplie des thérapies cognitivo-comportementales. Il y a 10 ans, on ne parlait pas de psychotrauma en France. Moi, je suis biaisé parce que je travaillais sur la mémoire depuis pas mal de temps et je voulais travailler sur le psychotrauma. J'avais réussi à travailler dessus, mais c'était extrêmement difficile. J'avais réussi, avec des collègues, à faire un travail sur une petite cohorte de jeunes femmes qui avaient subi des violences sexuelles, mais c'était une quinzaine de personnes. J'avais voulu travailler avec les militaires, c'était impossible. Aujourd'hui, nous avons un Centre national de ressources et de résilience. Nous avons des centres psychotraumas dans l'ensemble de la France. Donc nous avons eu cette évolution. C'est très important pour les victimes, pour les familles des victimes. Tout ça est très important. Nous sommes des individus, mais nous vivons dans une société. Et quand une société est confrontée à ce drame, elle doit réagir dans son ensemble. C'est aussi un des messages du programme 13-Novembre. Certes, il y a des IRM, et peut-être des résultats qui paraissent un peu froids comme ça, mais non, tout ça c'est un ensemble, parce que ces modifications cérébrales, elles tiennent aussi à ces grands changements dans la société, parce que ce qui va guérir une personne qui est blessée psychique, c'est certes son entourage proche, ce sont les dispositifs médico-sociaux autour de lui ou d'elle, mais c'est aussi la vision de la société dans son ensemble.