La plus grande étude d’ADN éclaircit l’origine des langues indo-européennes
Publié le - par le blob l'extra-média, avec l'AFP
Les linguistes cherchent depuis des décennies à comprendre pourquoi les langues parlées de Paris à New Dehli appartiennent au même groupe de langues, dites indo-européennes. La plus grande étude d’ADN d’humains anciens jamais réalisée, publiée le 6 septembre dans la revue Science, apporte une réponse : des migrations de populations de bergers nomades des steppes eurasiennes, il y a 5 000 ans, vers l’ouest (Europe) et vers l’est (Asie).
Le rôle des déplacements humains depuis 10 000 ans est fondamental pour comprendre les changements linguistiques, ainsi que la sédentarisation progressive des humains avec le développement de l’agriculture, explique Vagheesh Narasimhan, coauteur de l’étude.
« Il y a eu beaucoup de travail sur l’ADN, ainsi que des travaux archéologiques, sur ces processus en Europe », poursuit ce postdoctorant à l’école de médecine d’Harvard. Mais ces transformations ont été beaucoup moins étudiées en Asie. Une équipe internationale de généticiens, d’archéologues et d’anthropologues ont analysé les génomes de 524 anciens humains d’Asie centrale et du sous-continent indien, augmentant d’un coup d’un quart le nombre total d’anciens génomes humains séquencés.
Les langues indo-européennes incluent l’hindi et l’ourdou, le farsi, le russe, l’anglais, le français et 400 autres : elles ont des points communs dans la syntaxe et le vocabulaire, comme la façon de nommer les membres d’une famille. Une étude de 2015 avait établi qu’elles étaient arrivées en Europe par les steppes d’Asie centrale. Mais pour l’Asie, il y avait débat.
Une école privilégiait l’hypothèse d’une arrivée depuis l’Anatolie (Turquie). Mais la comparaison des ADN d’habitants du sous-continent indien et de Turquie a montré qu’ils n’avaient que peu en commun. « On peut mettre une croix sur une migration à grande échelle d’agriculteurs de racines anatoliennes vers le sous-continent indien », estime David Reich, autre coauteur à Harvard.
Civilisation de la vallée de l'Indus
Un autre indice confirmant l'hypothèse d'une origine commune dans les steppes est la découverte de similarités génétiques entre les personnes parlant des langues indo-iraniennes et les branches balto-slaves.
Les populations parlant actuellement ces langues descendent d'un sous-groupe des steppes qui a migré en Europe il y a 5.000 ans, puis qui est retourné vers l'est, vers le sous-continent indien, dans les 1.500 années suivantes.
En outre, les personnes qui parlent des langues dravidiennes (surtout dans le sud de l'Inde et le sud-ouest du Pakistan) ont très peu d'ADN des steppes, alors que ceux qui peuplent le nord du sous-continent, plus proche des steppes, en ont plus (ceux qui parlent hindi, panjabi et bengali).
Quant à l'agriculture, des fouilles archéologiques ont montré qu'elle avait commencé sur le sous-continent indien avant l'arrivée des migrations des steppes. Elle serait donc née indépendamment.
Une seconde étude parue jeudi 5 septembre dans une autre revue, Cell Press, par une partie des mêmes auteurs, décrit le génome d'un individu de la civilisation de la vallée de l'Indus, une grande civilisation qui a vécu il y a plus de quatre millénaires.
Elle comptait des villes de dizaines de milliers d'habitants, qui utilisaient un système standardisé de poids et mesures, construisaient des routes et des voies de commerce. L'humidité du climat de la région rendait jusqu'à présent très difficile le séquençage des restes humains, mais pour la première fois, des chercheurs sont parvenus à isoler et analyser l'ADN de restes d'une femme ayant vécu à l'Âge de Bronze, il y a quatre à cinq mille ans, à Rakhigarhi, la plus grande ville de cette civilisation, aussi appelée civilisation harappéenne.
Selon ces travaux génétiques, les Indiens ou Pakistanais modernes descendent de la civilisation harappéenne, qui s'est ensuite mélangée aux humains venus des steppes. L'intérêt de ces recherches génétiques est de rattraper le retard pris par la science moderne pour les populations non-européennes, la plupart des études ADN ayant jusqu'à présent porté sur des personnes d'origine européenne.