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Un agriculteur montre une feuille de betterave, infectée par le virus de la jaunisse de la betterave, dans une ferme à Oye-Plage, dans le Pas-de-Calais, le 4 août 2020 © AFP/Archives Denis Charlet

Un grand jour pour les pollinisateurs ? Ce jeudi, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) juge illégales les « autorisations d’urgence » octroyées par plusieurs pays d’utiliser en plein champ des néonicotinoïdes. Cette famille de pesticides accélère le déclin massif des colonies d’abeilles. Ces dérogations nationales à l’interdiction européenne de 2018 bénéficiaient depuis fin 2020 aux cultivateurs de betteraves qui espéraient le vote d’une troisième en mars prochain.

Une mauvaise nouvelle pour les agriculteurs français qui redoutent la jaunisse de la betterave, une maladie qui fait radicalement chuter la rentabilité des plantes cultivées. « La brutalité d’une telle décision, appliquée en l’état, risque d’entraîner des conséquences désastreuses et irréversibles dans nos territoires ruraux alors même que les politiques encouragent la souveraineté alimentaire/énergétique et la réindustrialisation de la France », a dénoncé la Confédération générale des planteurs de betteraves dans la soirée. Premiers producteurs européens, les 24 000 betteraviers français redoutent la concurrence de la canne à sucre brésilienne.

La plainte était à l’origine adressée contre six dérogations au bénéfice de bettervaier belges. PAN Europe, ONG co-corequérante devant la CJUE, se réjouit de cette décision. »[C’est] un grand jour pour les pollinisateurs en Europe » salue Martin Dermine, directeur de PAN Europe. Il « rappelle que le droit doit primer sur les intérêts de l’industrie des pesticides ». Or cette décision communautaire s’applique à l’ensemble des États membres.

Des dérogations mal utilisées

Rien d’illégal à première vue. Le texte d’interdiction prévoit la possibilité aux États membres d’autoriser de façon dérogatoire et temporaire l’usage de pesticides contenant des substances bannies dans l’UE. Pourtant, la Cour estime qu’elle « ne permet pas de déroger aux réglementations visant expressément à interdire la mise sur le marché et l’utilisation de semences traitées à l’aide de tels produits ». Elle assure que les États membres doivent privilégier les méthodes insecticides « à faible apport en pesticides », voire « non chimiques » quand c’est possible. La Cour ajoute qu’il faut recourir aux « pratiques et produits présentant le risque le plus faible pour la santé humaine et l’environnement parmi ceux disponibles. »

Une limitation claire à l’usage des dérogations pour sauver une industrie. « La CJUE établit clairement que les substances interdites dans l’UE pour raisons sanitaires ou environnementales ne peuvent pas être réintroduites de manière détournée au niveau des États, une pratique devenue courante », observe l’avocat de l’ONG Antoine Bailleux. Pour 14 pesticides interdits par Bruxelles, 236 dérogations ont été adoptées dans l’UE depuis quatre ans, la moitié concernant des néonicotinoïdes, estime l’association PAN Europe. Onze États membres de l’UE ont adopté des « autorisations d’urgence » pour l’usage de néonicotinoïdes pour endiguer la baisse des rendements des sucriers nationaux face aux maladies.

Or l’Union européenne a interdit depuis 2018 l’usage en plein champ, pour toutes les cultures, de trois néonicotinoïdes (clothianidine, thiaméthoxame et imidaclopride). Apparus dans les années 1990, ils protègent les betteraves de la jaunisse, transmise par les pucerons verts, en s’attaquant au système nerveux des insectes, donc des pollinisateurs. Même à faible dose, abeilles et bourdons sont désorientés, ne retrouvent plus leur ruche, le sperme des mâles est altéré…

Silence du gouvernement français

En France, le Parlement avait autorisé fin 2020 le retour temporaire des néonicotinoïdes pour voler au secours de la filière betteravière après une récolte ravagée par la jaunisse. En précisant que les dérogations ne pourraient être accordées, jusqu’en juillet 2023, que pour les semences de betterave sucrière. Une troisième dérogation pour 2023, après 2021 et 2022, était sur le point d’être adoptée.

Pour l’heure, le gouvernement n’a pas réagi sur le fond de cette décision de justice. Une réunion du Conseil français de surveillance des néonicotinoïdes, initialement prévue vendredi sur le sujet, a été reportée au 26 janvier.