Image légendée
Moungi Bawendi, lauréat du prix Nobel de chimie 2023, sur une photographie fournie par le Massachusetts Institute of Technology (MIT) où il est professeur © MIT/AFP Jodi Hilton

Trois hommes, reliés par de minuscules particules. Alexei Ekimov, 78 ans, et Louis Brus, 80 ans, ont fait séparément la découverte il y a plusieurs décennies qu’il était possible de fabriquer un nouveau type de matière -- chacun de leur côté du rideau de fer. Puis dix ans plus tard, Moungi Bawendi, 62 ans et ancien élève de Louis Brus, invente une méthode pour le faire de façon bien plus précise. Leurs travaux sur les points quantiques, des nanoparticules qui émettent différentes couleurs et changent de propriétés selon leur taille, leur ont valu mercredi le prix Nobel de chimie 2023.

Leurs recherches trouvent aujourd’hui leur application dans les téléviseurs, ou encore dans l’imagerie médicale. Moungi Bawendi est né en 1961 à Paris en France, d’un père tunisien et d’une mère française. Ses parents émigrent aux États-Unis lorsqu’il a 10 ans. Il commence ses études à l’université Harvard, où il rate son premier examen. « J’ai pensé +oh mon dieu+, c’est la fin pour moi, qu’est-ce que je fais ici ? », a-t-il raconté, en riant, lors d’une conférence de presse. Mais cet épisode lui apprend la « persévérance », et il est ensuite également diplômé de l’Université de Chicago. Il travaille temporairement avec Louis Brus pour la firme américaine Bell Laboratories, alors haut lieu d’innovation. Il s’est dit ravi de partager sa récompense avec son « mentor », avec qui il est encore en contact. « Je ne pensais pas que ce serait moi qui aurait ce prix », a modestement dit le chercheur au comité Nobel. « C’est un secteur avec énormément de gens ayant contribué, depuis le début. »

La découverte elle-même a été faite « en même temps aux États-Unis et en Union soviétique » par ses deux co-lauréats, a-t-il rappelé. Une simultanéité « incroyable ». Aujourd’hui professeur au Massachusetts Institute of Technology (MIT), Moungi Bawendi réussit pour sa part, en 1993, à créer ces particules de façon plus maîtrisée, à l’aide d’un solvant particulièrement bien choisi et d’un jeu de température très précis. Il s’intéresse encore actuellement au sujet, car selon lui, même si les points quantiques « sont déjà largement utilisés », « il y a encore énormément de travail enthousiasmant à faire ».

« Progrès collectifs »

Alexei Ekimov et Louis Brus ont eux grandi eux dans le contexte de l’après-guerre. Le premier, né en 1945 dans l’ancienne URSS, est diplômé de l’université d’État de Léningrad, aujourd’hui Saint-Pétersbourg. Il travaille ensuite dans cette ville, notamment à l’Institut d’optique Vavilov, où il fait au début des années 1980 la découverte lui valant aujourd’hui son prix Nobel.

Image légendée
Louis Brus, lauréat du prix Nobel de chimie 2023, sur une image transmise par l'université Columbia © Columbia University/AFP Handout

Alexei Ekimov se rend aux États-Unis en 1999, où il devient scientifique en chef pour la société Nanocrystals Technology. C’est aux États-Unis, à la même période, que Louis Brus grandit et se retrouve à travailler sur la même question. « J’ai été élevé après la Seconde Guerre mondiale, alors que les États-Unis développaient de façon spectaculaire la science et la technologie en réponse à la Guerre Froide », écrit Louis Brus lorsqu’il reçoit un autre prix scientifique, le prix Kavli. Doué pour les sciences et les mathématiques dès le lycée, il grandit dans le centre des États-Unis, en banlieue de Kansas City, où il dit avoir « développé un intérêt pour les outils et machines, en travaillant après l’école et les week-ends dans un magasin de bricolage ».

Fils d’un homme d’affaires, c’est ce qu’il pense un temps devenir lui aussi. Après avoir reçu son doctorat en 1969 à l’université Columbia à New York, il sert dans la marine américaine, en tant que chercheur dans un laboratoire à Washington. Puis, en 1972, il commence à travailler pour Bell Labs, où il reste 23 ans. Sa découverte sur les points quantiques remonte à 1983. Il est aujourd’hui professeur à l’université Columbia et croit fermement dans le pouvoir de la science. « Les scientifiques se débattent quotidiennement avec leurs expériences, et ont tendance à perdre de vue les progrès collectifs énormes de la science et de la technologie au fil des décennies », a-t-il écrit. « La science a créé une bien meilleure existence pour l’humanité malgré la guerre, les effondrements économiques, et les catastrophes naturelles. »