Les bactéries multirésistantes ou résistantes à tous les antibiotiques pourraient devenir la première cause de mortalité dans le monde. Les taux de résistance sont extrêmement élevés et donc c'est très inquiétant. Les antibiotiques, ils sauvent des vies tous les jours, sauf qu'aujourd'hui, ils sont de moins en moins efficaces contre les bactéries qui se sont adaptées. Au point que l'OMS parle d'une pandémie. Dans un dernier rapport, elle dresse un état complet de l'antibiorésistance, un phénomène planétaire. C'est la première fois où on a des données sur des pays pour lesquels on n'avait aucune idée de ce qui s'y passait. En 2016, il y avait 25 pays qui participaient, maintenant il y en a 104 qui participent, et qui, chaque année, envoient à l'OMS des données épidémiologiques de l'antibiorésistance. Évidemment, pas sur toutes les bactéries, mais sur les bactéries majeures, celles qui posent problème actuellement en thérapeutique, responsables de nombreuses infections chez l'Homme. Le constat majeur, c'est que la résistance aux antibiotiques augmente pour toutes les bactéries qui sont suivies par l'OMS. On y retrouve les entérobactéries, telles qu'Escherichia coli et Klebsiella pneumoniae, des bactéries qui vivent dans notre tube digestif. Chez ces bactéries-là, on a vu une augmentation de presque 40 % au niveau global de la résistance aux céphalosporines 3e génération. Les zones les plus touchées par l'antibiorésistance, ce sont les pays d'Asie du Sud-Est et également les pays africains, notamment subsahariens. À titre d'exemple, on peut prendre la résistance aux céphalosporines de 3e génération chez Escherichia coli qui est de 8 % en France et qui peut monter jusqu'à 80 voire 90 % dans certains pays d'Asie du Sud-Est comme au Cambodge. Ces pays sont plus touchés et plusieurs facteurs l'expliquent. D'une part, l'utilisation des antibiotiques non contrôlés que vous pouvez acheter dans le supermarché. Évidemment, il y a l'hygiène qui est extrêmement importante. Beaucoup de ces pays n'ont pas des systèmes d'épuration comme nous avons en France et ce sont des pays souvent surpeuplés. Plus un pays est surpeuplé, plus il y a un risque de transmission de ces bactéries d'un individu à l'autre. En France, le taux d'antibiorésistance reste bien moins préoccupant, même s'il est l'un des plus élevés d'Europe. 5 500 personnes meurent à cause d'une bactérie résistante chaque année. On pourrait penser que parce que l'antibiorésistance touche plutôt d'autres pays et d'autres continents, nous Européens et nous Français, sommes épargnés. Or ce n'est pas le cas, parce que l'antibiorésistance traverse très rapidement les frontières. C'est un peu à l'image du Covid. Quand on avait l'épidémie qui commençait en Italie, et qu'on disait ici : "C'est l'Italie, ce n'est pas un problème français." On a vu très rapidement que le virus s'est disséminé. Avec les bactéries, c'est exactement pareil. La moitié des souches qu'on reçoit au CNR proviennent de patients qui sont rapatriés sanitaires, des Français partis en voyage à l'étranger, qui ont un accident sur la voie publique, qui sont stabilisés dans un hôpital dans leur pays de vacances puis rapatriés ensuite en France. Quand vous allez dans un pays à forte prévalence de bactéries multirésistantes, vous avez des chances de vous coloniser avec ces bactéries et éventuellement de vous infecter. L'une des solutions : trouver de nouveaux antibiotiques, c'est la course-poursuite dans laquelle se sont lancés des chercheurs du monde entier, mais les résultats sont peu nombreux. On met à peu près 20 ans pour développer un nouvel antibiotique, et la bactérie va mettre à peu près 24 heures dans un tube à essai à devenir résistante à cet antibiotique. Donc c'est une course-poursuite qu'on a l'impression de perdre. Avant, les industries pharmaceutiques investissaient des grosses sommes pour développer et trouver des nouvelles molécules. Maintenant, c'est entre les mains des académiques. La différence entre un industriel et un laboratoire académique, c'est les moyens. Un académique a moins de moyens que l'industriel. Il faudrait augmenter, il faudrait qu'il y ait plus d'argent investi dans la recherche d'antibiotiques, parce que c'est vraiment un bien planétaire. L'autre axe de recherche, c'est la phagothérapie. L'idée, utiliser cette fois des virus pour tuer les mauvaises bactéries. Quand vous ingérez des antibiotiques, vous allez tuer plein de bactéries dans votre tube digestif, parce que ça va taper sur tout ce qui est sensible. Alors que le phage, lorsque vous prenez un bactériophage, il reconnaît des récepteurs sur la paroi de la bactérie. Et donc seules les bactéries qui ont ce récepteur-là vont pouvoir être infectées. Et donc du coup, vous avez une frappe chirurgicale du germe responsable de l'infection. Le problème de la phagothérapie, c'est qu'il n'y a pas eu d'études cliniques à proprement parler. Parce qu'on considère le bactériophage comme un médicament et pour pouvoir l'utiliser en thérapeutique humaine, comme tout médicament, il doit passer par des études de phase 2, phase 3, voire phase 4. Il est indéniable qu'on va développer des médicaments à base de bactériophages. D'ailleurs, il y a déjà des pays où la phagothérapie est pratiquée, comme la Russie ou l'Arménie. Cependant, en France, pour les infections ostéoarticulaires, on a l'autorisation d'utiliser la phagothérapie en tout dernier recours. Si rien n'est fait d'ici l'an 2050, selon plusieurs rapports, y compris celui de l'OMS, plus de 10 millions de gens pourraient décéder d'infections bactériennes et donc les bactéries multirésistantes ou résistantes à tous les antibiotiques pourraient devenir la première cause de mortalité dans le monde.