À Bornéo, dans cette île emblématique d’Asie du Sud-Est, les bouts de jungle ont petit à petit laissé place aux agriculteurs. Les plantations recouvrent maintenant l’île à perte de vue.
Plus de 80 % de la jungle a été transformée en usage non forestier, en grande partie pour l’industrie de l’huile de palme.
À cause de cette déforestation massive, la liste rouge de l'UICN indique que de nombreuses espèces de l’île sont en danger ou en danger critique d'extinction, y compris des espèces emblématiques comme l'orang-outan de Bornéo.
La plupart de la faune ici est endémique, elle ne peut être observée qu’à Bornéo. C’est pourquoi nous voulons aider la forêt pour créer un nouvel habitat pour eux.
Si des initiatives de reforestation existent, sont-elles réellement efficaces pour offrir un habitat viable pour la faune et la flore de l’île ? Jusqu’à aujourd’hui, aucune étude de suivi n'était réellement menée en Asie du Sud-Est. Mais une doctorante de l’Université de Hong Kong, aidée par le centre de recherche Danau Girang, a décidé de combler ce vide.
Si l’huile de palme a tant de succès sur l'île, ce n’est pas un hasard. Arbain est agriculteur. Travaillant autrefois dans le tourisme, il a commencé à planter de l’huile de palme il y a maintenant 12 ans.
Quand j’ai rejoint la production d’huile de palme, c’était vraiment bien, car j’ai pu faire un emprunt à la banque. Avant, je n’avais rien, je n’avais pas de voiture, et quand j’ai rejoint la production d’huile de palme, j’ai pu enfin avoir une voiture. L’huile de palme est très importante pour les gens ici.
Produire de l’huile de palme assure une qualité de vie décente à ces agriculteurs. Mais face à cette déforestation massive, les populations locales ne sont pas restées indifférentes. Sur les rives du célèbre fleuve Kinabatangan, la coopérative KOPEL a décidé de lutter contre la déforestation. Leur but : replanter toutes les parcelles de forêt détruites.
Nous allons dans la forêt pour faire notre propre collecte de graines. Parfois, nous grimpons aux arbres pour récupérer les fruits et les graines, que nous ramenons ensuite dans notre pépinière. Nous extrayons les graines de l’intérieur des fruits. Une fois les graines récupérées, nous les plantons dans cette pépinière. Quand elles atteignent cette taille, elles sont prêtes à être replantées dans la forêt.
Tous ces arbres seront plantés selon un protocole strict. Pendant 3 ans, les membres de KOPEL s’occuperont de ces plantes afin qu’elles poussent le plus rapidement possible, et que la canopée puisse enfin se reconstruire.
Les habitants du village ne sont plus les seuls à se rendre compte du problème. Les fabricants d’huile de palme aussi ont changé leurs méthodes de production. Arbain suit depuis quelques années les règles de la Sustainable Palm Oil Initiative.
Nous n’utilisons pas de pesticide.
Nous ne touchons pas aux rivières.
Nous ne coupons pas tous les fruits pour que les macaques à longues queues puissent les manger.
Je ne coupe pas les arbres à moins de 15 mètres au bord des rivières.
La grande majorité des producteurs de l’île, conscients du problème mais attachés à leur production, ont depuis près d’une dizaine d’années mis en place ces mesures. Mais toutes ces actions sont-elles réellement efficaces pour préserver la biodiversité ? Le travail d’Amaziasizamoria Jumail consiste à mesurer chaque jour l’impact de ces mesures, en arpentant ancienne et nouvelle jungle.
Le début de sa journée très chargée commence avant le lever du soleil. Elle se rend sur ce site de reforestation planté il y a un an.
Sur notre site de restauration, nous effectuons beaucoup de surveillance sur plusieurs espèces animales. L’une d’elles est la surveillance avec un filet. Nous surveillons les oiseaux présents dans le sous-bois. Nous utilisons ce filet spécialement conçu pour cela. Nous l’ouvrons à 6 h du matin et le fermons à midi.
Après 30 minutes, elle retourne au filet.
Nous avons attrapé quelque chose.
Première prise de la journée.
C'est un Dicée à croupion jaune. Probablement le numéro 4. Un Dicée femelle.
Après avoir bagué l’oiseau, Amaziasizamoria collecte ensuite des informations : le sexe, la taille du bec, l’état des ailes, ou encore le poids… L’oiseau sera observé sous toutes ses coutures avant d’être relâché.
Chaque jour, Maze capture entre 5 et 7 oiseaux. Et en plus des oiseaux, elle a placé plusieurs caméras sur ce secteur afin de prendre en photo les moyens et gros mammifères passant sur cette zone de reforestation.
Son but : collecter des informations pendant plusieurs années afin de suivre l’évolution de la biodiversité sur la parcelle.
Après 6 heures de collecte d’informations, la journée n’est pas encore terminée.
Cet après-midi, nous allons visiter l’un de nos sites de reforestation, où nous mesurerons nos arbres. Cela permet d’évaluer la quantité de carbone hors sol. Ce site a été planté en 2020. C’est parti !
Ils absorbent le dioxyde de carbone de l'atmosphère et produisent de l’oxygène. Ça aide à combattre le réchauffement climatique ou le dérèglement climatique. Donc, en plus de surveiller la biodiversité, nous mesurons aussi la séquestration du carbone, parce que nous voulons savoir si cet effort de reforestation réduit le dioxyde de carbone ou non.
Pour mesurer la séquestration de carbone de ces nouveaux arbres, Amaziasizamoria mesure le diamètre de l’arbre à 1m30 du sol et sa hauteur grâce à cet outil. Avec son diamètre et sa hauteur, elle peut déduire la quantité de carbone capturé par cet arbre.
Un peu moins de 58.
À la nuit tombée, elle arpente de nouveau le fleuve Kinabatangan pour rejoindre un nouveau site de recherche.
Nous allons sur un autre site de Regrow Borneo. C’est un site qui a été planté en 2002-2003 par KOPEL, donc c’est une forêt qui a 21 ans. Nous avons inclus ce site pour le comparer avec nos nouvelles plantations.
Cet environnement marécageux est idéal pour la préservation des batraciens. Alors chaque nuit, lumière à la main, Amaziasizamoria marche avec ses équipes, regard au sol ou dans les arbres, à l'affût de chaque petit saut pour compter le nombre de grenouilles. Pour ce soir, Maze en a observé 8.
Je pense qu’il y en a une ici, au-dessus de la feuille.
Elle enregistre leur taille et leur espèce. Après plusieurs années de collecte d’informations, l'objectif sera de comparer ces résultats aux données provenant de forêts vierges.
Avec le projet Regrow Borneo, nous n’avons pas vu de grands changements en ce qui concerne la biodiversité, car ces recherches sont très récentes. Cela fait seulement deux ans que nous surveillons la biodiversité sur ces sites. Mais nous avons observé une augmentation de la séquestration de carbone par les arbres. Une augmentation du carbone dans le sol mais aussi hors sol. Donc, je peux dire qu'en reboisant la jungle de Bornéo, nous avons augmenté la séquestration de carbone par les arbres et donc l’absorption du CO2 de l’atmosphère, et ça, c’est bénéfique pour l’environnement.
Si les travaux d’Amaziasizamoria et du Danau Girang Field Center sont si importants, c’est qu’il n’existe que très peu de données sur l’efficacité réelle des tentatives de reforestation dans le monde. Souvent laissées à l’abandon après plantation, ces zones de reforestation sont finalement peu efficaces pour offrir de nouveaux habitats pour la biodiversité. Le projet Regrow Borneo, en partenariat avec KOPEL, prend le parti d’entretenir pendant plusieurs années les zones reforestées, mais seul le temps dira si cette initiative est réellement efficace.