INFOX ? RIPOSTES ? Des scientifiques face à la désinformation Traitement du cancer : distinguer les désirs de la réalité Salut tout le monde, bonne nouvelle, y’a une super solution pour les personnes traitées en chimiothérapie! Il paraît que les injections de vitamine C soulagent les effets secondaires. Faudrait recommander ça à tout le monde ! J’vais p'têt commencer le jus d’orange en intraveineuse, moi… Attention Thomas, il faut qu’il y ait des preuves scientifiques pour qu’on offre un traitement comme celui-là. Moi je suis pharmacien et vulgarisateur scientifique, je me suis penché sur la question et ça a déclenché des réactions assez intenses. Je peux te raconter ça. Hey, bienvenue chez moi pour cette histoire ! On est au Québec, en 2019, et une pétition qui circule rassemble plus de 100.000 signatures ! C’est beaucoup pour chez nous ! Cette pétition réclame des injections de vitamine C pour les personnes traitées en chimio, pour soulager les effets secondaires... Le problème c’est qu’il y a peu d'éléments scientifiques pour appuyer ça. C’est là que “Le Pharmachien” est entré en scène. C’est un vulgarisateur, très connu chez nous, avec son émission de télé où il explique les vaccins, le gluten, la caféine... Il a décidé de ramener un peu de méthode scientifique dans cette histoire. Et ça lui a coûté cher. A un moment donné, j'ai senti qu’il n’y avait pas beaucoup de scientifiques qui se prononçaient sur : “ils veulent autoriser les injections de vitamine C mais est-ce que ça marche et est-ce que c'est sécuritaire ?”, donc j'ai senti que c’était peut-être un bon moment pour que je m'implique là-dedans. Le but c’était vraiment de permettre aux gens de se faire une sorte de jugement éclairé. Ils se disent : “J'ai envie de signer la pétition mais en même temps je connais pas grand chose sur le sujet”, donc je voulais outiller les gens pour qu'ils puissent se faire un jugement plus critique sur ces questions-là. La première chose que fait Le Pharmachien, c'est de lire les rares études scientifiques sur le sujet. Et… elles ne sont pas tellement fiables. Le problème c'est qu'on n’avait pas comparé avec un placebo, c’est-à-dire une injection à l'intérieur de laquelle y'a pas d'agent actif. Pourquoi c'est important de faire ça ? Si on administre un traitement à des gens, dans presque tous les cas, les gens disent que ça les aide. Mais on est pas capable de dire si c’est un vrai effet ou si c’est les gens qui ont l’impression que ça fonctionne subjectivement. Ah ouais, le fameux effet placebo. Mais alors comment on fait ? Donc on va créer un groupe où on va administrer une fausse injection aux gens sans leur dire, les chercheurs ne le savent pas eux non plus, c'est une étude qu’on appelle en double aveugle. Donc ensuite on va être capable de voir si le traitement fonctionne ou pas en comparant le groupe à qui on a donné la vraie injection et la fausse injection. Y’a comme ça plusieurs techniques de comparaison pour vérifier qu'un traitement fonctionne. Mais là, Pharmachien, t’exagères pas un peu? Si ça leur fait du bien aux patients, on s'en fiche que ça se passe dans le corps ou seulement entre les deux oreilles, non ? On parle d’administration de méga-doses de vitamines, jusqu’à des dizaines et des dizaines de fois plus que ce dont le corps a besoin. Mais une chose qui est peu mentionnée à propos des vitamines c’est que presque toutes les vitamines administrées en excès, donc à très haute dose, peuvent être nuisibles, faire des dommages sur le corps. Y’avait même certaines évidences comme quoi ça pourrait réduire l’efficacité de la chimiothérapie de donner des injections de vitamine C en même temps, donc là c'est assez sérieux. Ah zut, dans ce cas ça deviendrait contre-productif ! Genre : “Une petite injection d’eau de javel contre votre Covid, mon bon monsieur ?” Pour qu’un traitement soit utile en médecine, il faut que ses bénéfices dépassent largement les risques possibles. Dans le cas des injections de vitamine C, on n’était pas capables de conclure à l’efficacité, et il y avait une possibilité de risques, donc le ratio n'était pas très élevé dans ce cas-ci. Alors Olivier Bernard explique tout ça sur son site, avec des dessins. Au fil des mois, les porteurs de la pétition ajoutent des arguments, lui les décrypte. Mais un jour ils interpellent le gouvernement, pour qu'il se prononce sur le sujet. Alors Le Pharmachien fait la même chose, en rappelant qu'il faut se fonder sur la science, pas seulement sur les désirs des gens. Et les choses s’emballent. Je recevais déjà beaucoup de messages haineux depuis des mois, ça c’est correct, je peux vivre avec ça. Là où ça commencé à me faire peur c’est quand des gens ont commencé à écrire à mes employeurs, ils ont invité les gens à porter plainte à mon ordre professionnel, l’ordre des pharmaciens, y’a des gens qui ont commencé à harceler ma conjointe. Là j’ai vraiment eu peur, ma conjointe et moi on avait vraiment très très peur pour notre sécurité. Jamais j’avais vécu ce niveau-là d'attaque en ligne, c'était vraiment le pire que j'ai vécu personnellement, je m'attendais pas à ça. Premièrement j'avais envie que ça s'arrête et deuxièmement que d'autres personnes s'impliquent. Et t'as pas juste eu envie d'abandonner ? Pourquoi cette désinformation était si grave ? Dans le cas de la vitamine C, le gouvernement en théorie aurait pu décider de créer une commission parlementaire, par exemple, sur la vitamine C. Juste sur la base d’une pétition populaire. Donc si on a des scientifiques qui ne se prononcent pas et des groupes de pression qui peuvent avoir un impact même sur la politique, on peut se ramasser avec une situation où y’a des traitements non-scientifiques ou pseudo-scientifiques qui s'insèrent dans le système médical malgré nous. Ah ouais, ça fait peur… la poudre de perlimpinpin remboursée par le système social… Et donc, Olivier Bernard dit haut et fort qu'il est harcelé. Et là, avalanche de soutien : des scientifiques prennent la parole, l’ordre des pharmaciens exprime son soutien, le gouvernement aussi, un politicien très impliqué en faveur de la pétition prend ses distances… Énorme affaire. Sûr que ça a fait du bien, surtout après des mois à vivre tout ça. Je suis content de l’avoir fait, si c’était à refaire je referais la même chose. Suite à cette histoire, des instances scientifiques se sont mises à travailler sur la vitamine C. Le gouvernement a créé un groupe de travail pour protéger les scientifiques qui parlent de sujets sensibles. Et notre Pharmachien a même reçu un prix, là bas chez THE Queen ! Pour avoir défendu la science face à l’adversité. Pfiou, mais ça a été beaucoup d'émotions quand même ! On peut faire quoi pour que ce genre de rumeurs n’ait plus des conséquences aussi ahurissantes ? La décision la plus importante, je crois, c’est d’enseigner l’esprit critique aux jeunes. Le consensus semble être autour de 4 à 6 ans, même, pour éviter que les gens développent tout ce système de croyances pour plus tard. OK ! Aider les enfants à construire des petites barrières mentales face à l’inondation d’infos pas très nettes. Mes barrières à moi étaient pas très étanches... La prochaine fois je me demanderai si je lis une information scientifique, ou plutôt quelque chose qui me ferait plaisir, mais qui n'est pas vraiment fondé. Allez, à bientôt pour d'autres vidéos sur la riposte des scientifiques face aux infox. D'ici là, musclez votre esprit critique !