Quel est le point commun entre la foule de cette scène de Game of Thrones, le public du festival Hellfest, et l'attroupement traversé par ce véhicule robotisé ? Dans les trois cas, le comportement de ces rassemblements de personnes a été modélisé, c'est-à-dire calculé par un ordinateur. Ce calcul est essentiel, par exemple pour prévenir les risques de mouvement de foule. Mais en pratique, il est très loin d'être facile. Le comportement d'une foule, c'est un des comportements les plus difficiles à simuler, en particulier parce qu'au sein d'une foule, il y a une très grande variété de comportements parmi les individus. Même pour une simulation, la toute première étape est donc de collecter des données issues de la vraie vie. Ces lunettes sont équipées de petites caméras infrarouges à ce niveau-là. On voit deux caméras sous chaque œil qui capturent l'image de ton œil, donc de ta pupille, ainsi qu'une petite caméra à l'avant qui enregistre la scène, on fait ainsi le lien entre la vidéo et l'activité du regard, où tu regardes. Il faut bien regarder au centre de la mire. C'est bon, c'est calibré. L'idée c'est de partir de cette position, pour aller vers le troisième panneau. Tu marches normalement comme si tu te baladais dans la rue. On mesure l'activité en temps réel. Le trajet paraît ordinaire et quotidien, mais les interactions entre piétons dans la rue répondent à la même complexité que celle d'une foule plus dense. Quand on parle du comportement piéton, on a l'impression de parler d'un comportement hyper simple où chacun, finalement, va d'un point A à un point B. Mais ce comportement, aussi simple soit-il, est soumis à de nombreux facteurs. Par exemple l'état psychologique : si je suis en colère ou calme, ou si je suis joyeux, je vais avoir une démarche différente, donc une trajectoire de piéton différente. Comprendre le rôle de tous ces facteurs, ensemble, c'est ça le véritable défi. La réalisation d'une telle expérience sur le terrain nécessite un investissement important, rien que pour recruter les participants et organiser la logistique. L'idée est de faire passer plein de personnes avec un participant, pour cette étude on en fait passer une vingtaine, afin d'avoir des statistiques. L'environnement va changer entre les différentes personnes qui passeront. Ça fait partie des problématiques. Je vais te demander de lire et parapher sur chaque page et de signer à la fin. L'étude du mouvement collectif implique des expériences extrêmement compliquées à mettre en œuvre. Vu qu'on parle de foules humaines, il faut rassembler un grand nombre de sujets, c'est déjà un problème logistique en soi. C'est aussi un problème économique. En termes de préparation, ça va demander plusieurs mois, trois, six mois. En termes d'analyse, ça peut aller jusqu'à une année. Donc pour réaliser une expérience sur un élément de comportement, ça peut prendre jusqu'à une demi-thèse chez nous, puisque c'est beaucoup à travers le travail des doctorants qu'on mène nos recherches. Comment faciliter la préparation, la réalisation et le traitement des données ? L'équipe de recherche VirtUs, basée à l'Inria de Rennes, est pionnière en matière de réalité virtuelle pour étudier le mouvement collectif. Avec cette technologie, l'expérience est au moins quatre fois plus rapide. En laboratoire, la rue a été reproduite à l'identique et les passants remplacés par des avatars. Les comportements ne sont pas très différents entre le réel et le virtuel. En termes d'activité du regard, on va regarder les mêmes objets et les personnes dans des proportions similaires. D'un point de vue scientifique, la réalité virtuelle présente de nombreux avantages. Quand on le fait en réel, nos piétons n'ont pas forcément la même vitesse de marche. Quand on leur dit "Go", ils ne partent pas forcément au bon moment. Donc on n'arrive jamais à avoir les conditions qui nous intéressent, ou alors avec beaucoup d'essais. En VR, on va pouvoir précisément dire à l'humain virtuel où on le place. Ça va nous permettre de standardiser nos expériences et de répliquer des conditions d'un individu à l'autre. On va pouvoir manipuler l'apparence des personnages dans la rue. On va pouvoir manipuler la manière dont ils bougent. Est-ce qu'ils me regardent ? Ou pas ? À quel moment ? Est-ce qu'un événement va apparaître ? Je vais pouvoir manipuler très précisément l'ensemble de ces paramètres. Comprendre l'influence de tel ou tel facteur sur le comportement du piéton dans cet environnement peuplé. Au bout du compte, les chercheuses et chercheurs collectent davantage de données beaucoup plus précises et plus fines. La réalité virtuelle permet de tester des configurations inédites. - Déplacez-vous ! Là tu marches un petit peu. - Traitement. Tu reviens vers le centre. Dans cette expérience, un seul participant joue à tour de rôle toutes les personnes qui composent une foule. Il n'a pas le choix. Pour sortir de la pièce, il faut passer par un goulot d'étranglement. Il répète l'action des dizaines de fois, à chaque fois dans la peau d'un autre personnage. Il te reste neuf personnages à jouer. On voit les améliorations en termes de matériel sur les 10 - 15 dernières années. On est capable d'afficher plus de personnages, d'avoir des personnages plus réalistes, qui se rapprochent en termes de comportement et d'apparence, et aussi de variété, de ce qu'on retrouverait dans une scène réelle. Ça devient de plus en plus intéressant parce qu'on va pouvoir explorer des questions qui sont très difficiles à explorer en réel, car ça impliquerait de faire venir beaucoup de monde, d'équiper beaucoup de personnes, d'extraire beaucoup d'informations, de vidéos réelles. Régulièrement, l'équipe de recherche confronte ce qu'elle mesure virtuellement à des situations dans la vraie vie. Comme ici au Hellfest, où les scientifiques se sont mélangés au public, équipés de capteurs. Plus on va collecter de données sur le comportement des foules, plus on sera à même de le comprendre. Au Hellfest, on est allé observer les interactions physiques entre individus, c'est-à-dire à des niveaux de densité où les gens commencent à se pousser les uns et les autres. Tout ce travail qu'on fait sur la compréhension des foules aboutira à terme à renforcer la sécurité des événements de masse. En créant des alter ego numériques réalistes, l'équipe VirtUs améliore chaque jour les modèles de calcul de ce qui est l'un des phénomènes les plus complexes des interactions humaines.