Un ballon chinois survolant les États-Unis, à l'origine d'une crise diplomatique. Voilà une façon inattendue pour les plus légers que l'air de revenir sur le devant de la scène. Passé au second plan à l'air des satellites et de la NewSpace, le ballon stratosphérique n'en est pas moins un outil scientifique incontournable et surtout l'un des plus adaptés pour rejoindre entre terre et espace la stratosphère qui suscite un nouvel attrait et de nombreux projets.
Un ballon stratosphérique peut atteindre les couches de l'atmosphère au-dessus du niveau de vol des avions de ligne, soit entre 14 et 40 km d'altitude. La stratosphère correspond à la région de l'atmosphère où la température de l'air remonte avec l'altitude. Le ballon stratosphérique comme ceux qu'exploite le Cnes depuis bientôt 60 ans, pour la science et la technologie, c'est une enveloppe de polyéthylène, de plastique, remplie d'un gaz plus léger que l'air, aujourd'hui de l'hélium. Grâce à la poussée d'Archimède, le ballon s'élève en altitude et les vents l'emportent pour une durée de vol plus ou moins longue suivant le type de ballon. Ballon ouvert de courte durée ou pressurisé qui peut durer plusieurs mois. Le Cnes utilise ces ballons de toutes tailles qui permettent de réaliser des mesures uniques in situ d'ozone ou de gaz à effet de serre, de calibrer les mesures satellites, de mesurer les vents pour améliorer les modèles météo, d'emporter des télescopes de plus d'une tonne au-dessus de la turbulence atmosphérique, ou encore d'étudier l'effet des radiations sur des cellules souches. Le Cnes et d'autres organismes utilisent aussi des ballons de plus basse altitude qui évoluent plus près du sol ou plus près de l'eau pour des mesures de phénomènes météo plus locaux. Par exemple, les aérosols ou les particules au-dessus de la Méditerranée dus au sable saharien ou l'évolution de la pression à l'approche des cyclones ou dans les cyclones océaniques. Les mesures qu'on fait à bord des ballons sont complémentaires de celles que font les satellites. Et les ballons permettent de faire des mesures in situ dans l'atmosphère, à l'endroit où on veut mesurer, par exemple, la teneur en ozone, en méthane, en dioxyde de carbone. Il faut les mesurer dans la stratosphère entre 14 et 40 km d'altitude. C'est un domaine que le satellite ne voit que de très haut donc depuis 600 km par exemple. Et donc pour avoir une mesure précise grâce à un satellite, il faut auparavant comparer cette mesure à celle réalisée par un ballon qui va servir d'étalon, qui va calibrer, puisque le ballon fait la mesure à l'endroit-même où la variable a besoin d'être mesurée. Et complémentarité aussi du satellite : dans la mesure où le ballon permet de tester, à moindre coût, des instruments qui, à terme, auront vocation à voler sur les satellites. Dans un premier temps, on va vérifier leur fonctionnement à bord d'un ballon car il permet de récupérer ces instruments, de les améliorer jusqu'à avoir une version finale qui pourra être mise à bord d'un satellite. On fait des mesures à des altitudes où les avions et les drones classiques n'ont pas accès. Et les drones stratosphériques sont à ce jour très rares et très coûteux. On peut citer le Zephyr d'Airbus. Et leur capacité d'emport reste très faible. On parle de moins de 10 kg, même de 5 kg pour Zephyr. Alors que les besoins peuvent être supérieurs. L'accès à l'espace aérien des pays est réglementé normalement par les règles de l'air régies par l'OACI, l'Organisation de l'Aviation Civile Internationale. Mais ça concerne l'espace aérien qui s'étend du sol jusqu'au niveau "Flight Level 600", à peu près 18 km d'altitude. Au-delà de cette zone, on n'est pas encore dans l'espace. Mais les règles sont un peu plus floues, alors au Cnes, on se réfère à la Convention de Chicago qui date de 1944. Il y a l'article 8 qui dit qu'un aéronef sans pilote à bord doit demander l'autorisation avant de survoler un pays donné. Nous, on l'applique. Peut-être que les Chinois interprètent autrement la Convention de Chicago. Lorsqu'on est au-dessus de 18 km, ne peut-on pas s'affranchir de demander au pays l'autorisation de les survoler ? Surtout, si on ne doit pas descendre dans leur espace aérien réglementé. Il se peut aussi que les Chinois est tout simplement perdu la maîtrise de leur ballon. Ça, on n'est pas censés le faire. Au Cnes, par exemple, on redonne de la fonction de terminaison du vol du ballon pour que ça ne nous arrive pas. Avant de perdre le contrôle avec le ballon, on aurait arrêté le vol dans un endroit sécurisé. On assiste à un engouement assez récent pour les véhicules capables de voler de manière durable dans la stratosphère. On parle de pseudo-satellites car on veut leur faire porter des missions semblables à celle des satellites, notamment la surveillance pour des intérêts de défense des territoires : surveillance maritime, surveillance des frontières, mais aussi surveillance civile de feux de forêt. Car on comprend que si on arrive à maîtriser un vol assez permanent dans la stratosphère, on peut, avec des caméras de résolution relativement moyenne, avoir des images d'aussi haute résolution que depuis les satellites. Et évidemment, la stratosphère suscite un intérêt commercial parce qu'il y a des gens qui veulent y développer du tourisme. On peut donc imaginer le tourisme sous ballon. Mais de manière stratégique, c'est mettre des véhicules de surveillance qui vont peut-être être moins coûteux que les satellites pour offrir un service comparable. L'innovation majeure, fin des années 2020, va être l'avènement de ballons manœuvrant. C'est ce que Google a mis au point avec son projet Loon aux États-Unis par exemple. Et auquel on s'attelle en France aujourd'hui avec notre société fabricante de ballons, Hemeria Airship, qui va être le maître d'oeuvre. Là, ça sera un ballon à double enveloppe : l'une remplie d'hélium pour le porter et l'autre pressurisée avec plus ou moins d'air servant de lest variable pour réaliser des excursions d'altitude, pour rester au-dessus d'une zone fixe. On parle de "ballon persistant". Encore plus ambitieux, il y a le grand dirigeable stratosphérique Stratobus de Thalès Alenia Space qui lui va viser à rester géostationnaire grâce à de la propulsion électrique, à des hélices. Il aura une capacité d'emport plus importante que le ballon manœuvrant. On parle de plus de 250 kg, voire jusqu'à 400 kg. Alors que le ballon manœuvrant du Cnes et d'Hemeria vise l'entrée de gamme avec des instruments de 20 à 30 kg. L'équipe Zefalto propose un tourisme relativement vert puisque le vol en ballon n'est pas très consommateur pour l'environnement. C'est vraiment une utilisation duale de la stratosphère par les différents types de ballons à laquelle il faut s'attendre, avec plus d'activités qu'il n'y en avait jusqu'à aujourd'hui. On sent qu'on est dans une ère nouvelle où bientôt on ne sera plus les seuls, au Cnes, à maîtriser ce domaine. Et c'est tant mieux pour toutes les applications que cela va pouvoir générer.