MAI 68, la science s’affiche
Épisodes Scriptés
Épisode 3
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SCHUCH PRODUCTIONS PRÉSENTE
AVEC LE SOUTIENT DE L’INSERM
EN COPRODUCTION AVEC CNRS IMAGES
EN ASSOCIATION AVEC UNIVERSCIENCE
MAI 68 LA SCIENCE S’AFFICHE
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Bernard Cassou
"La médecine du capital ne soigne pas, elle répare les travailleurs". C'est l'évolution de la médecine, les différentes spécialités ! On fragmente la personne. Tout le discours de Mai 68, c'est l'inverse ! Tout le travail d'un médecin c'est d'essayer de refaire un être humain avec tous ces morceaux.
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III. RÉPARER LES TRAVAILLEURS
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Pierre Jouannet
En Mai 68, j'étais à l'époque… Je travaillais à l'hôpital de Corentin-Celton à Issy-les-Moulineaux. Et je participais aux réunions du personnel de l'hôpital, qui était en grève. Donc il y avait des échanges entres le personnel de l'hôpital et les syndicats ouvriers, les ouvriers de toutes ces usines d'Issy-les-Moulineaux. On passait son temps à aller chez les autres, on se racontait ce qu'on faisait, etc. Et j'ai mieux découvert ce que c'était que le monde du travail, et le monde du travail est très dur.
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Bernard Cassou
Fin mai et puis début juin, moi je participais à essayer d'aider les piqués de grève. On était toute une série d'étudiants. Enfin d'étudiants en médecine ! Donc par rapport à d'autres étudiants, il y avait quelque chose de plus, parce qu'il y avait toujours des gens qui étaient blessés, des gens qui avaient des problèmes… Voilà, donc on sentait qu'on avait notre place ! Et j'ai compris que la santé c'était un lieu de lutte. Pour changer la société il fallait aussi lutter dans le champ de la santé.
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Pierre Jouannet
Après 68, on amenait une réflexion c'était : "mais plutôt que de jouer aux révolutionnaires que nous ne sommes pas vraiment, si on essayait de s'assumer pour ce que nous sommes, c'est à dire des médecins, jeunes médecins, et c'est ça qui était le régime du groupe information-santé, du G.I.S, ce désir d'agir dans le domaine de la santé, de manière contestataire par rapport au système traditionnel. L'idée qui prévalait au G.I.S, c'est que nous étions des médecins, nous étions des experts du système de santé, et traditionnellement, dans la relation médicale, il y avait une dimension assez hiérarchique, entre la relation patient-médecin, et nous voulions rompre ça. Les personnes qui nous sollicitaient étaient des partenaires.
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Bernard Cassou
On part de ce que les salariés disent. Ce qu'ils disent, c'est juste. enfin, "juste" au sens où il faut l'entendre ! On se réunissait pour voir comment s'y prendre, comment on peut les aider. Donc il y a eu, c'est comme ça qu'il y a eu Penarroya. Penarroya, c'était le premier grand trust qui faisait du plomb. Et depuis le début des années 70 il y avait régulièrement des grèves. Entre autre parce que ils sentaient que les conditions de travail étaient mauvaises, ils le ressentaient dans leurs corps.
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Archives : Ouvrier face caméra
"Tous les travailleurs qui travaillent au plomb, depuis, je sais pas moi, des quinzaines d'années, ils ont pas eu de résultats sur l'analyse, il y en a plusieurs qui sont malades, ils ont du plomb, aussi."
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Bernard Cassou
Et en face d'eux, il y avait des médecins du travail et la direction qui disait "Non, non, non ! Si vous êtes fatigués ou autre c'est parce que vous êtes des tire-au-flancs !"
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(Archives : médecin face caméra)
"Chaque ouvrier qui a fait la demande au médecin du travail a toujours pu se voir communiquer le résultat de ses propres analyses."
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Bernard Cassou
Or on savait depuis quelques années qu'on pouvait par des dosages dans les urines identifier l'intoxication par le plomb. Donc alors voilà, c'est le travail qu'on a fait.
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(Archives : voix off sur un croquis de corps humain)
"Les médecins sont venus nous voir, ils faisaient des croquis de corps humains pour expliquer les endroits touchés par la maladie du plomb. À partir de ce moment-là, presque tous les ouvriers ont bien compris leur maladie."
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Bernard Cassou
J'ai le souvenir de cette réunion où il y a eu tout de suite un débat entre les médecins qui étaient du côté du patron qui disaient "mais le plomb, ils vont le pisser ! Il disparaîtra, il se passera rien." et puis nous qui sortions d'autres études qui disions "Non, non non ! Pas du tout ! Il se fixe dans l'os, il va se fixer ici, ici…" ça a duré deux-trois heures, j'ai le souvenir des travailleurs marocains qui nous ont dit à un moment "mais qu'est-ce qu'il se passe, là ? nous, on se met en grève !" et le directeur est revenu et il a dit "Alors, on va régler le problème rapidement." Il pensait que la science allait résoudre leur problème, en fin de compte ils ont eu gain de cause par la grève.
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Archives : voix off d'un gréviste marocain
"Vive la liberté ! Vive la liberté !"
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Bernard Cassou
On avait le sentiment d'être au service d'eux. Parce que en 68 on disait "Il faut que la médecine soit au service du peuple", mais ça restait très théorique. Voilà, là, c'est passé dans la pratique. Très concrètement.
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Pierre Jouannet
Tout ce que j'ai vécu à cette époque a quand même influencé ma manière de travailler mes relations avec les patients. Cette conception d'avoir plutôt des relations de partenariat et que ça soit pas moi en tant que médecin qui impose un point de vue aux personnes.
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Bernard Cassou
Un bon médecin, c'est quelqu'un qui s'intéresse au malade. Mais un très bon médecin c'est quelqu'un qui s'intéresse à l'environnement dans lequel vit le malade. Le déterminant essentiel de la santé, c'est le travail. Ma vision a changé en 68. Et aider la classe à ouvrière à prendre en main ses problèmes, c'était l'aider à prendre en main ses problèmes de santé.