« Quand on se retrouve avec 15 personnes à 3 mètres des gorilles de montagne, là, on se dit qu’il y a un problème ! » Et le problème en l’occurrence, concerne moins ces touristes téméraires… que les gorilles eux-mêmes. En pleine pandémie de Covid-19, les chercheurs craignent en effet que ces grands primates soient contaminés par l’homme… « On voit de plus en plus sur les réseaux sociaux des photos de personnes proches d’animaux en tous genres, souvent des animaux venant du milieu sauvage, et c’est spécialement concernant avec les primates, car avec leur matériel génétique très proche du nôtre, ils sont capables d’être infectés par le même genre de maladies que nous. » Plusieurs cas de décès provoqués par des maladies respiratoires humaines ont été répertoriés chez les grands singes en contact étroit avec les humains, et tout récemment, dans un zoo de San Diego, des gorilles ont été testés positifs au Covid-19, avec de légers symptômes. Dans son étude pour le moins originale, l’équipe de Gaspard Van Hamme a justement cherché à évaluer si le risque de transmettre nos microbes aux gorilles sauvages s’était accru ces dernières années. Avec ses collègues, ils ont eu l’idée d’analyser des photos postées sur Instagram entre 2012 et 2019, dans les réserves naturelles du Congo, du Rwanda ou encore de l’Ouganda. Dans leur collimateur, un comportement devenu quasi compulsif chez l’être humain... le selfie. Cette manie de nous tirer le portrait nous rapproche dangereusement des protagonistes situés au second plan, devenus, bien malgré eux, de véritables stars des réseaux sociaux… « Malgré le fait qu’elles étaient cachées parmi d’autres photos avec juste des gorilles ou des paysages, on a très vite trouvé des photos avec des touristes extrêmement proches ! On a essayé d’estimer la distance à laquelle étaient les gens, il y a eu plus de 850 fois où les gens étaient à moins de 3 mètres. Et ça, ça fait vraiment peur ! A voir tous ces trophées photographiques, on en oublierait presque que le gorille de montagne mesure entre 1,40 et 2 m, et que les plus imposants, les mâles dominants à dos argenté, pèsent jusqu’à 300 kg… Les grands singes ont une force incroyable, heureusement ils sont assez paisibles, ils ne sont pas d’un tempérament agressif, mais on n’est pas à l’abri un jour d’un accident. » Les gorilles de montage sont une espèce déjà grandement menacée par de nombreuses maladies mais aussi par le braconnage et le recul de leur habitat. Pour les scientifiques, il est donc urgent d’alerter sur les dangers de les exposer à de nouveaux pathogènes humains… « En fait le risque, si on prend les gorilles des montagnes, aux dernières nouvelles ils étaient décomptés à 1063 individus, c’est vraiment rien, c’est pas énorme pour une espèce entière. Et aujourd’hui on ne sait pas les dégâts que pourraient faire un coronavirus chez eux. On sait par exemple qu’un métapneumovirus d’origine humaine a déjà tué des gorilles et le problème c’est qu’aujourd’hui, ça peut paraître anecdotique, mais à notre avis, ça ne l’est pas parce que les risques sont vraiment très grands. » Environ 50 000 personnes gravissent chaque année les forêts Est-africaines dans le but d’apercevoir ces géants pacifiques, et les chercheurs estiment que 60% des gorilles de montagne sont déjà habitués à la présence humaine. L’écotourisme se retournerait-il contre les espèces qu’il entend préserver ? « Je ne dirai pas que l’écotourisme est une catastrophe en général, car il y a beaucoup de cas où c’est fait de façon durable. Ça amène beaucoup de bon aussi, ça amène de l’attention sur ces animaux qu’on veut conserver. Ça donne envie aux gens de les conserver, de faire plus attention dans la vie de tous les jours Par exemple, on a vu avec l’huile de palme, que par amour pour les orangs-outangs qui sont l’espèce emblématique des forêts tropicales, les gens se disent prêts à acheter moins d’huile de palme ou à faire attention. Ils font aussi des efforts, même les autorités là-bas, même les organisateurs essaient de faire au mieux, dans la mesure du possible, mais je pense que s'il y a aussi ce déclic chez les gens, ça va les aider à pouvoir prendre des attitudes plus fortes. Alors, si vous êtes tout de même tentés de pénétrer le sanctuaire naturel des grands singes, portez toujours un masque chirurgical et n’approchez jamais à moins d’une dizaine mètres de l’animal.