"2101, sciences et fiction"
"Vol spatial"
Roland Lehoucq, astrophysicien.
-Si on sait faire un voyage rapide, il n'y a pas trop de souci.
Les passagers rentrent normalement dans le vaisseau, le voyage se fait rapidement, ils descendent.
Ils ont pu jouer aux échecs, lire, regarder des jeux...
s'occuper pendant le voyage qui n'a pas été trop long.
Si le voyage est lent, s'il prend...
Dans le Système solaire, ce sera des mois, mais un voyage interstellaire, ce sera des centaines d'années, peut-être 1 000 ans.
Là, il faut réfléchir sur un autre ordre.
Est-ce que les gens que l'on envoie vont vivre, se reproduire, avoir des descendants qui vont vivre, se reproduire, etc., et ce sont les descendants des descendants, etc., qui arrivent ?
Ça pose des tas de questions, évidemment, humaines, génétiques, de population.
Des tas de questions très difficiles à gérer.
On pourrait dire aussi : "Qu'à cela ne tienne !
Ceux qui rentrent dans le vaisseau, on va les endormir, les mettre en stase", comme on dit dans les films, les cryogéniser, les refroidir, les mettre en hibernation, quel que soit le mot qu'on utilise.
Bref, ils vont être dormants pendant toute la durée du voyage, se réveiller à la fin du voyage, et c'est bien eux qui descendront du vaisseau, mais ils auront été mis en dormance pendant toute la durée du voyage.
On ne sait pas faire ça de façon provoquée.
Il y a des animaux qui hibernent, la marmotte, les ours, certains reptiles, un tas d'animaux hibernent.
Les humains n'hibernent pas.
On ne sait pas provoquer l'hibernation chez un mammifère, a fortiori un humain, qui n'est pas taillé pour ça, qui ne le fait pas spontanément.
Et l'hibernation pose aussi un certain nombre de problèmes.
Imaginez que vous sachiez faire hiberner un humain.
Il va falloir le nourrir, lui fournir un minimum de nourriture, par des injections dans son système sanguin, par exemple, pendant tout le voyage.
Ses muscles...
Pensez que les gens qui vont dans l'espace, qui sont en orbite, leurs muscles s'atrophient en une durée de l'ordre du mois s'ils ne font pas d'exercice musculaire.
Il faut avoir des passagers qui arrivent en bon état de santé.
Donc, il faut être capable d'endormir et de réveiller la personne, mais en bonne santé, des mois, des années, des centaines d'années plus tard.
Puis, la version de la cryogénisation.
Là, on se dit qu'il n'y a plus besoin de nourrir personne.
On a simplement transformé le corps du passager en un bloc de glace, pour faire simple.
Il n'y a plus besoin de le nourrir, plus besoin de rien, les muscles, tout est gelé, solide.
Et on le "décongèle" à l'arrivée.
On ne sait absolument pas faire ça avec un être vivant.
Congeler un être vivant et le décongeler pour qu'il soit à nouveau vivant, on ne sait absolument pas faire ça.
Les cellules sont riches d'eau.
Notre corps, sa masse, c'est trois quarts d'eau.
Si vous congelez une toute petite cellule instantanément, vous la mettez toute seule dans un bain d'un liquide très froid, par exemple de l'azote liquide, qui est à -196° C, la toute petite cellule est instantanément congelée et les cristaux de glace que va faire l'eau dans la cellule vont être de petite taille.
Si vous congelez lentement la cellule, le cristal va grandir, la glace occupant un volume plus grand que l'eau, va dilater les parois cellulaires au risque de les briser, et donc de tuer la cellule.
Pour le corps humain, on ne peut pas le congeler instantanément.
Il est trop gros, il est chaud.
En le plongeant dans l'azote liquide, il y aura des parties congelées, des parties qui ne le seront pas instantanément.
Et même si on savait congeler un corps humain instantanément, après, il y a le problème du réveil.
Qu'est-ce que ça implique de congeler un être vivant et de le réveiller, sur ses fonctions vitales ?
Tout ça, ce sont des champs d'études complètement vierges, pour l'instant.
On ne sait pas faire ça.
On peut l'imaginer.
Les auteurs de science-fiction ne s'embarrassent pas de ces détails.
Ils l'imaginent car c'est pratique pour leur histoire.
Le but n'est pas de justifier comment se font certains de ces détails, ils le prennent et traitent l'histoire qui les intéresse vraiment.
"2101"
Alors, à l'horizon d'un siècle, je pense que c'est un peu court.
En revanche, c'est un voyage qui est pensable, avec la science et la technique moderne.
Il n'y a pas besoin de se dire qu'on va devoir inventer une physique nouvelle ou faire des développements techniques qu'on ne maîtriserait pas, au moins pour partie, maintenant.
Il n'y a pas besoin de tout ça pour penser et imaginer un voyage interstellaire crédible et plausible.
Évidemment, les distances qui séparent les étoiles sont considérables, ce qui fait que la durée des voyages, a priori, est très grande.
Si on prend les meilleurs engins qu'on sait faire actuellement, la vitesse la plus rapide qu'on ait été capables d'atteindre avec des véhicules interplanétaires, des sondes interplanétaires, c'est d'une trentaine de kilomètres par seconde.
Dix mille fois plus lent que la lumière.
Quand on pense que l'étoile la plus proche, Proxima ou Alpha du Centaure, se trouve à un peu plus de 4 années-lumière, à cette vitesse, 30 kilomètres par seconde, il faudrait 40 000 ans, disons, en chiffres ronds, pour atteindre cette étoile.
Inutile de dire qu'on ne risque pas d'envoyer des humains, ni même des robots.
Donc, il faut considérablement augmenter nos vitesses de voyage dans l'espace pour atteindre même l'étoile la plus proche en un temps, disons...
une vie humaine, mettons 40 ans, c'est un peu plus court qu'une vie humaine.
4 années-lumière en 40 ans, il faut être capable d'envoyer un vaisseau à un dixième de la vitesse de la lumière, soit mille fois plus vite que ce qu'on sait faire actuellement.
La difficulté, le point fondamental à comprendre, c'est que pour aller mille fois plus vite, il faut dépenser plus d'énergie dans la propulsion du vaisseau, et que cette énergie de mouvement va dépendre du carré de la vitesse.
Je vais dire une formule, mais elle est importante, elle est valable aussi en voiture.
Quand on freine et qu'on veut dissiper son énergie de mouvement pour éviter une collision, on doit dissiper une énergie qui dépend du carré de la vitesse.
Quand on va deux fois plus vite, c'est quatre fois plus difficile d'arriver à l'arrêt, il y a quatre fois plus d'énergie, puisque 2 au carré, ça fait 4.
Si on a un vaisseau qui doit aller mille fois plus vite, il faut payer un million de fois plus d'énergie.
Et payer un million de fois plus d'énergie, l'énergie mise dans le mouvement du vaisseau pour qu'il atteigne la vitesse d'un dixième de la vitesse de la lumière et qu'il parcoure la distance qui nous sépare d'Alpha du Centaure en une grosse quarantaine d'années, c'est une énergie si considérable qu'elle représente plusieurs fois le bilan énergétique de l'humanité entière pendant un an.
Je le redis en d'autres termes.
Vous prenez toute l'énergie que les humains consomment.
Vous les empêchez de la consommer donc, ça pose un certain nombre de problèmes.
Toute cette énergie pendant un an.
Pendant deux ans, trois ans, quatre ans, cinq ans.
Tout cet énorme "tas" d'énergie...
On n'en fait pas un tas comme ça, il faudrait le stocker...
Je passe, il y a de nombreux détails techniques.
Toute cette énergie, vous la récupérez et vous l'injectez dans votre vaisseau, et là, c'est bon.
Vous pouvez peut-être faire un vaisseau qui fera quelques milliers de tonnes de charge utile et qui atteindra Alpha du Centaure en 50 ans.
Donc, c'est un problème de bilan d'énergie.
L'humanité, pour l'instant, ne dispose pas de l'énergie suffisante pour atteindre en un temps raisonnable l'étoile la plus proche.
2101, sciences et fiction
Conception et réalisation : Patrick Chiuzzi
Avec la voix de Johanna Rousset
Avec la participation de Roland Lehoucq, astrophysicien
Images bande dessinée 2101 : Guillaume Chaudieu
Développeur : Thomas Goguelin
Image et son : Patrick Chiuzzi et Robin Chiuzzi
Enregistrement voix : Studio Ghümes
Musique : Ludovic Sagnier
Montage : Yann Brigant
Chromatiques
Producteur : Patrick Chiuzzi
Assistante réalisateur : Cécile Taillandier
Assistante de production : Élodie Henry
Images additionnelles : Shutterstock
Universcience
Rédaction en chef : Isabelle Bousquet
Production : Isabelle Péricard
Responsable des programmes : Alain Labouze
Avec la participation d’Amcsti
Remerciements : Eloïse Bertrand, Alice Chiuzzi, Agate Chiuzzi, Delphine Boju, Romain Mascagni, Mathieu Gayon
Avec le soutien d’Investissements d’Avenir et la participation du Centre National de la Cinématographie et de l’image animée
© C Productions Chromatiques / Universcience / Centre de recherche astrophysique de Lyon / 2016