Image légendée
Des chimpanzés à Marshall City, au Libéria, en novembre 2021 © AFP John Wessels

Grâce à l’étude de leur ADN, des biologistes ont pour la première fois établi une carte des lieux de vie de chimpanzés sauvages. Ils ont fourni une reconstruction détaillée des migrations de ces espèces menacées, et un nouvel outil pour combattre le trafic illégal de ces animaux.

Des échantillons d’ADN ont été collectés dans des milliers d’excréments de chimpanzés, dans le cadre d’un programme s’étendant sur 48 sites à travers l’Afrique de l’Ouest et centrale. Ces résultats ont été publiés mercredi 1er juin dans la revue scientifique Cell Genomics

Ce catalogue génomique, qui inclut 828 individus, peut être utilisé pour relier les chimpanzés kidnappés à leur habitat d’origine avec une précision de 100 kilomètres. Il aidera donc les forces de l’ordre à lutter contre le braconnage. « Si nous pouvons connaître la diversité génétique de ces espèces en danger et l’histoire de leur démographie passée, cela peut nous aider à mettre en place de meilleures stratégies de préservation », a expliqué à l’AFP l’auteure principale de cette étude, Claudia Fontsere, de l’Institut espagnol de biologie évolutive. 

Un défi technique 

Les excréments sont très utiles pour étudier des espèces menacées, car ils permettent de récolter de nombreuses informations tout en interférant au minimum avec les animaux. Mais leur exploitation constitue aussi un défi technique, car ils contiennent peu d’ADN de leur propriétaire. Pour surmonter cet obstacle, les chercheurs ont utilisé une nouvelle technique de séquençage d’ADN appelée « target capture » en anglais. Elle a déjà été utilisée pour étudier les restes d’hommes de Neandertal, abîmés car vieux de milliers d’années. 

Cette technique a permis à l’équipe de découvrir 50 % de plus de variants d’un chromosome spécifique, le chromosome 21, par rapport à ce qui avait jusqu’ici été identifié. Les chercheurs ont pu déduire l’histoire génétique des différentes populations de chimpanzés, améliorant considérablement la connaissance dans ce domaine. Par le passé, seuls 59 génomes entiers de chimpanzés avaient été séquencés, en majorité d’animaux en captivité, ne fournissant que peu d’informations sur leur origine. 

Des migrations complexes  

Comme les humains, les chimpanzés ont une histoire migratoire complexe. Dans l’étude, les scientifiques sont remontés jusqu’à 100 000 ans en arrière. « Nous avons pu montrer, en utilisant plusieurs méthodes analysant des variations très anciennes et plus récentes, que leur histoire est complexe, tout comme la nôtre », a expliqué à l’AFP l’une des auteures de l’étude, Mimi Arandjelovic, de l’Institut Max Planck d’anthropologie évolutive. « Il y a eu énormément de débats pour savoir si les quatre sous-espèces de chimpanzés divergent vraiment entre elles ou si elles ont une continuité génétique ». Les sous-espèces de chimpanzés ont été séparées par le passé, mais ont également connu des périodes d’échanges génétiques. Les chercheurs ont aussi observé que des barrières géographiques entre des sous-espèces ou certaines populations (lacs, rivières…) se traduisaient par des différences génétiques. Ils ont aussi mieux compris les croisements avec le bonobo. 

Cette nouvelle carte pourrait enfin permettre d’identifier d’où proviennent les chimpanzés illégalement capturés. Même si les réintroduire dans la nature est une tâche difficile à cause des structures sociales complexes qui régissent ces groupes d’animaux, les individus s’en sortent mieux lorsqu’ils sont libérés près de leur lieu d’origine. « Cela peut aider les forces de l’ordre à retracer leur route probable »,  signale Claudia Fontsere. Les scientifiques espèrent améliorer encore cette carte grâce à la collecte de nouveaux échantillons et étendre cette technique d’analyse à d’autres primates.