AU TABLEAU ! Pascal Picq
Alors est-ce que l'homme descend du singe ? Voilà une expression galvaudée, qui est complètement fausse, puisque l'homme ne descend pas du singe, soyons tout de suite rassuré, l'homme fait partie des singes. Seulement le singe des philosophes et des théologiens, n'est évident pas celui des naturalistes et des évolutionnistes. Alors qui sont les singes ? Les singes, c'est un grand groupe de mammifères, adapté à la vie dans les arbres, et qui fait partie d'un groupe qu'on appelle les primates. C'est-à-dire les premiers, forcément on se met toujours au centre de cette histoire. Les singes ont un cerveau assez développé que domine une face relativement courte. Ce qui est plus intéressant, c'est lorsqu'on regarde un singe de face. Donc, il y a ce cerveau, il y a les yeux qui sont situés juste de part et d'autre de la racine du nez. Les singes ont perdu le museau, puisqu'ils ont une vraie face, au milieu de laquelle il n'y a pas de poil, et on trouve un vrai nez avec deux narines, bien circonscrites. Donc, il n'y a ni truffe, ni ces longs poils qu'on appelle les vibrisses, et qu'on retrouve chez tous les autres mammifères. Alors, c'est intéressant parce que les singes justement se reconnaissent par les traits du visage, et ils ont des mimiques qui permettent de communiquer. Donc voilà qui sont les singes. Maintenant, si vous ouvrez la mâchoire ou la bouche d'un singe, vous trouvez au niveau de la denture : deux incisives, une canine, deux prémolaires et trois molaires, chez l'adulte bien sûr. Ce qui fait 4 fois 8 : 32, 32 dents. Et là, nous possédons un fossile qui s'appelle « Aegyptopithecus zeuxis », qui nous vient du Fayoum en Égypte, qui date de 32 millions d'années et qui a déjà lui 32 dents. Donc, nous les singes, nous vivons de jour, excellente vision, nous avons l'habitude de nous tenir assis, d'avoir la main qui est libre. Et tous les singes sont presque omnivores, c'est-à-dire qu'ils mangent beaucoup de nourriture. Donc, vous voyez, on fait bien partie de ce groupe. Alors maintenant, parmi tous ces singes, il y a des singes qui ressemblent plus à nous qu'aux autres singes. On les appelle les grands singes. Aujourd'hui, ce sont les chimpanzés, les gorilles, les orangs-outans, et bien sûr, il y a l'homme. C'est un groupe qu'on appelle les hominoïdes, ça veut dire qui ressemble à l'homme. Alors quelles sont leurs caractéristiques ? Bien, elles ont celles qu'on vient d'évoquer : ce sont des singes comme nous. Mais si vous regardez un babouin ou un macaque, en faisant une coupe du corps à ce niveau-là, au niveau de la cage thoracique. Là, vous avez la colonne vertébrale, et la cage thoracique est profonde, entre la colonne vertébrale et le sternum, et étroite d'un flan à l'autre. Sur le côté, on a les omoplates, et ensuite donc, bien évidement, les quatre membres, donc ils sont quadrupèdes. Nous, c'est très différent, puisque la cage thoracique va être très large d'un flanc à l'autre, donc colonne vertébrale, sternum ici. Donc, au contraire chez nous, très large entre les flancs, et étroite entre la colonne vertébrale et le sternum. Nos omoplates se trouvent dans le dos, et ce qui nous permet de faire ceci, c'est-à-dire de se suspendre, donc de se mettre sous les branches et de se tenir verticalement. Donc, on voit bien que l'expression « l'homme descend du singe » est complètement stupide, puisqu'on sait depuis trois siècles qu'il y a parmi les singes, des grands singes qui ressemblent bien plus à nous effectivement qu'aux autres singes. Du coup, ça change complètement notre façon d'une part de considérer quelle est la place de l'homme dans la nature actuelle, donc on voit bien qu'il fait partie des singes, plus précisément des hominoïdes. Seulement, on a toujours en tête un vieux schéma qui est hérité d'Aristote et de la pensée grecque classique, qu'on appelle l'échelle naturelle des espèces. Alors ça, nous l'avons tous en tête. On a tous appris ça. Ça commence de gauche à droite, sens de la lecture, comme toujours. On a une petite ratouille qui est là, hop, on a, on va mettre un lémurien, un peu plus grand, très symbolisé, on va mettre un babouin, plus costaud, là on va avoir un grand singe, à moitié redressé, et puis au bout que fait-on ? Et bien, on met l'homme. Donc, c'est ça qu'on appelle l'échelle naturelle des espèces, le « scalisme » et l'expression « l'homme descend du singe » vient de là. Grosso modo, on dit « O.K. », on a une vision linéaire et hiérarchique de ce qu'on pense être l'évolution, que l'on confond avec la place de l'homme dans la nature actuelle. On dit l'homme descend du singe, et ça a deux conséquences : pourquoi le singe n'a pas évolué ? Ça... Ricanement des babouins dans les savanes. Et deuxièmement, l'autre idée, c'est de se dire, « O.K. on descend du singe, mais cachez ce singe que je ne saurais voir. » Donc, à cause de ça, on a perdu quasiment un siècle pour comprendre nos origines communes. Alors qu'en est-il aujourd'hui ? On oublie ce schéma, qui n'était pas complètement faux, mais qui n'est pas exact. On va mettre l'homme toujours à droite, mais ça c'est une habitude. Et il se trouve que l'espèce la plus proche de nous, dans la nature actuelle, c'est le chimpanzé ou plutôt les chimpanzés. C'est les fameux 99 % de matériel génétique commun. Après nous avons le gorille, et plus loin l'orang-outan. Ça veut dire quoi ça ? Ça veut dire tout simplement, que nous avons des relations de parenté. C'est Darwin qui avait compris ça. Que plus deux espèces se rencontrent, plus elles sont proches comme des frères et sœurs ou des cousins. Alors qui est le plus proche de moi dans la nature actuelle ? C'est mon frère ou ma sœur. Pour quelle raison ? En raison des caractères que nous avons hérité de nos parents. Ensuite, ce sont mes cousins en raison de caractères hérités cette fois-ci des grands-parents. Donc les chimpanzés sont les plus proches de nous dans la nature actuelle, donc nous avons un parent exclusif, qu'on appelle le dernier ancêtre commun. Et à partir de là, ça change complètement notre façon de reconstituer notre histoire évolutive, puisqu'en connaissant les chimpanzés et en connaissant l'homme, tout ce que nous partageons et bien nous considérons qu'il vient de ce dernier ancêtre commun. Et quand on connaît ce que font les chimpanzés, comme le disait John Romanes, un ami de Charles Darwin : il n'est pas surprenant que l'homme puisse avoir des capacités mentales, culturelles et physiques aussi élevées quand on part d'aussi haut, mais de qui évidemment des chimpanzés, qui évidemment possèdent beaucoup de caractéristiques que l'on retrouve bien sûr chez l'homme, forcément nous sommes frères. Donc, on tourne un peu en rond, mais il fallait le faire. Donc, plutôt que d'aller tout droit et d'oublier les singes, aujourd'hui, nous sommes sur ce schéma-là. Et reconstituer cette histoire, maintenant et bien, ce sont les fossiles et tout le travail des paléoanthropologues va consister à retrouver les fossiles de la lignée humaine, les fossiles sur la lignée des chimpanzés, ceux-là, on ne les a pas encore, puis les fossiles qui sont avant, ceux-là aussi, nous manquent beaucoup. Donc, voilà en fonction du schéma qu'on a en tête, en fonction de l'expression qui nous permet de décrire nos relations aux autres, eh bien, nous sommes capables d'envisager une histoire évolutive radicalement différente.