Peut-on encore faire confiance aux médecines dites complémentaires ?
Débat sans complaisance entre Céline Berthié, médecin généraliste, membre du collectif FakeMed, et Alain Baumelou, néphrologue, en charge du Centre intégré de médecine traditionnelle chinoise à la Pitié Salpêtrière.
Réalisation : Anthony Barthélémy
Production : Universcience
Année de production : 2019
Durée : 21min51
Accessibilité : sous-titres français
Peut-on encore faire confiance aux médecines dites complémentaires ?
VERSUS PEUT-ON ENCORE FAIRE CONFIANCE AUX MÉDECINES COMPLÉMENTAIRES ?
Je suis le docteur Céline Berthié. Je suis médecin généraliste. Je constate quotidiennement la montée d'un climat anti-science, un climat de défiance envers les savoirs médicaux. Je pense qu'on doit se méfier des pseudo-sciences, des pseudo-médecines et qu'il faut remettre les preuves au sein de l'exercice médical, notamment en luttant contre les discours ésotériques : "On peut se soigner mieux, autrement, avec moins d'effets secondaires". C'est pas vrai. Alain Baumelou Je m'appelle Alain Baumelou. Je suis néphrologue à l'hôpital Pitié-Salpêtrière. Je développe depuis une dizaine d'années un centre dit "intégré" de la médecine traditionnelle chinoise, qui a pour but d'évaluer ces différentes techniques, ces différentes procédures de médecine chinoise. La formation des jeunes médecins, leur ouverture d'esprit à l'évaluation de ces médecines, est absolument nécessaire. RÉTRO
Archive 1 Une fois que le point a été déterminé, nous allons le poncturer de cette façon. Respirez. Voilà. Ça ne fait pas mal ?
Archive 2 Une vésicule biliaire, par exemple, qui fonctionne mal, ou un ovaire qui fonctionne mal, ou un estomac qui fonctionne mal, peuvent être remis en équilibre par l'action de l'acupuncture. Ceci explique d'une part mais aussi son action préventive.
Archive 3 Mais me direz-vous qu'est-ce que l'étiopathie ? L'étiopathe considère en fait l'individu comme une machine dont le fonctionnement est conditionné par sa structure. Des éléments soit extérieurs, soit de relation peuvent en modifier le bon fonctionnement.
Archive 4 Elles sont douces, mais elles marchent très forts. Oui, les médecines douces n'ont jamais eu autant de succès. De Rika Zaraï et ses bains de siège froids, à Georgina Dufoix, ancien ministre de la Santé qui vante l'homéopathie, les médecines alternatives ont de nombreux avocats.
Archive 5 Ce que je trouve passionnant c'est de comprendre ce qu'il y a derrière, quel est le déséquilibre qui explique que on a beau soigner de façon parfaite en allopathie la mycose, paf 15 jours après, à nouveau elle reviendra. C'est ça qui est passionnant, comprendre ce qu'il y a derrière. Qu'est-ce qu'est en train d'exprimer cette personne à travers sa mycose ?
Archive 6 Un Français sur cinq se soigne régulièrement à l'homéopathie. Du vent, selon la très sérieuse revue scientifique The Lancet, qui a analysé 200 essais cliniques. Conclusion sans appel : les petites billes ne valent pas mieux qu'un placebo.
Archive 7 Un placebo peut être efficace dans plein de pathologies. L'hypertension artérielle, la dépression. On va imaginer que ce sont des malades imaginaires qui répondent au placebo, mais pas du tout.
Archive 8 Ma décision est de suivre l'avis de la Haute Autorité de santé et donc d'aboutir au déremboursement de l'homéopathie.
PEUT-ON ENCORE FAIRE CONFIANCE AUX MÉDECINES COMPLÉMENTAIRES ? Céline Berthié Le terme "médecine complémentaire" ne devrait pas exister, ne devrait pas être employé. Ce sont des pratiques de soins non-conventionnelles. Rien que le mot médecine, c'est déjà... permettre aux gens de se fourvoyer. Alain Baumelou Ah bah, le débat est lancé. Céline Berthié Tout à fait. Alain Baumelou À fond la caisse. Écoutez, moi personnellement, je suis néphrologue et j'ai fait pratiquement toute ma carrière de 40 ans dans le soin des patients, le soin pur et dur en médecine conventionnelle. On peut lancer le débat par exemple sur ma discipline. Si vous prenez un patient dialysé depuis plusieurs années, vous vous rendez compte que comme dans toute maladie chronique, plus d'un patient sur deux, c'est à dire que ce patient a une chance, vous allez dire un risque, sur deux de côtoyer, de participer à des médecines complémentaires, même si le terme ne vous plaît pas. Autrement dit, il y a une réalité anthropologique, sociologique, psychologique qui nous impose d'évaluer ça. Et c'est dans ce domaine que je travaille à la Pitié-Salpêtrière. Céline Berthié Est-ce que parce qu'il y a une demande des patients, on doit leur donner raison ? Moi, les gens veulent des antibiotiques, est-ce que je leur en donne parce qu'ils en veulent ? La médecine, c'est pas drôle, et en fait leur... leur dire : "On peut faire autrement, on peut faire plus doux, on peut vous aider quand même, même si on peut plus rien, on peut..." En fait, c'est ne pas lâcher le... Effectivement, on veut pas lâcher prise. Parce qu'on voudrait pouvoir prendre en charge du début à la fin, soigner complètement. Mais en fait... on ne peut pas. Et le problème, c'est que... on n'est même pas formés à ça. Toutes nos études, c'est des choses carrées. Allez dire tout d'un coup : "Bon ben maintenant, vous allez utiliser le placebo". Moi franchement, quand je sais que quelque chose est un placebo, après j'arrive plus à l'utiliser. Le problème, c'est que les médecins qui l'utilisent actuellement, ils sont pas conscients que c'est des placebos, ils y croient en fait. Alain Baumelou Mais vous utilisez le terme : "utiliser le placebo". Le placebo, c'est... C'est quelque chose d'absolument multiple. Vous avez un grand scientifique italien qui s'appelle Benedetti qui a publié là-dessus. Vous avez au moins quinze... une quinzaine d'éléments qui... qui expliquent l'effet placebo. Et je pense que dans votre discours, ce qui est très très gênant, c'est que... d'emblée vous condamnez la satisfaction du patient. C'est à dire que... Vous retrouvez ça un peu... C'est une notion quand même très très française. C'est à dire : vous avez notre santé conventionnelle. C'est une santé d'État. C'est une médecine d'État. C'est Foucault qui avait utilisé ce mot-là, mais c'est absolument caractéristique. C'est une médecine d'État, dont la puissance est relayée par un ordre et qui dicte une médecine conventionnelle. Et il faut admettre, si vous voulez, qu'il y a d'autres approches qui peuvent être... stimulées par le désir d'une satisfaction du patient. Et sur l'effet placebo, si vous voulez, il faut bien se rendre compte d'une chose, c'est que l'effet placebo existe aussi énormément en médecine conventionnelle. Et il y a un gap entre tout ce que vous démontrez dans les essais contrôlés et l'utilisation qu'en font les patients, qui les prennent pas, qui... Grosso modo, une observance de 30 à 50 %. Donc on est quand même dans une médecine dite conventionnelle qui va pas très bien. Céline Berthié En fait, le... Quand on affirme quelque chose, on doit le prouver. On peut pas simplement dire : "Ça marche, faites-moi confiance". Parce que, après, où s'arrêter ? Une fois qu'on a dit : "Ça marche", après les gens, ils ont pas de limites. Notre limite à nous, c'est la réalité en fait, c'est... Je dirais même que... En fait, c'est dans notre code de déontologie. On doit pas promouvoir un traitement insuffisamment éprouvé. Parce qu'en fait sinon c'est la... Si on commence à mettre des choses qui sont pas prouvées... Vraiment, où s'arrêter, en fait ? Les gens du coup s'y arrêtent pas. Et moi, je le vois vraiment en médecine générale, où on traite beaucoup de symptômes fonctionnels, des gens qui vont dépenser vraiment beaucoup de sous, et de temps dans des pratiques tout à fait fantaisistes. Alors, il y a les pratiques traditionnelles, mais il y a aussi des pratiques modernes et... Enfin, à partir du moment où c'est pas prouvé, pour moi, c'est sur le même plan d'égalité. Mais en fait, le problème, c'est que ça devient dangereux des fois. On parle beaucoup des morts liées aux erreurs de la science, du Mediator, de tout ça. Mais en fait, les morts évitables liées à la confiance excessive dans les médecines traditionnelles, elles sont là, elles sont en train d'être répertoriées. Enfin, en Espagne, on est à 1800. Et ça, personne ne fait de bruit, parce que le patient se plaint pas, les familles disent : "Bon bah il faisait confiance à ce praticien, donc..." Et nous, médecins, les gens nous font confiance grâce à la science. C'est notre seul... Ils veulent savoir ce qu'on a appris, pas ce en quoi on croit. Ils veulent savoir ce en quoi on a été formés. "Bon ça, ça marche ou ça marche pas ?" Ils me demandent pas qu'est-ce que moi je crois. Alain Baumelou Ça, je suis pas tout à fait sûr. Ils vous demandent à être bien soignés et quand même avoir une empathie suffisante... Céline Berthié Tout à fait. Alain Baumelou …pour guérir. Parce que je pense que dans ce processus-là... Et vous faites appel à autre chose. C'est à dire qu'en fait, vous dites : "Il est trop tôt pour insérer dans le soin." J'aurais tendance à dire que à partir du moment où il y a pas eu d'évaluation, c'est trop tôt. Mais il n'empêche que vous avez des évaluations qui sont très positives. Céline Berthié Ah non, il y a... Alain Baumelou Mais non. Non, non. Je vous... Plusieurs articles sur les chutes chez le sujet âgé et le Parkinson, dans les plus grands journaux anglo-saxons... Céline Berthié Sur l'acupuncture ? Alain Baumelou ...ont démontré la diminution de 50 % des chutes. Ce sont des réalités. Céline Berthié Mais une méta-analyse... Plus de 61 indications, pas une qui ressort du lot. Alain Baumelou Eh bien écoutez, je vous adresserai l'article du New England Journal of Medicine 2013 qui a été largement repris. Mais si vous voulez, je pense que nous avons... des modes différents de regarder la littérature. Que vous m'ayez dit qu'il y avait des forts doutes sur l'efficacité de l'homéopathie et que ça a été repris par la Haute Autorité de santé et que ça a entraîné le déremboursement, j'irai pas discuter là-dessus. Mais il n'empêche que vous avez de nombreuses techniques corps-esprit qui ont démontré une efficacité. Et peut-être pas une efficacité : une satisfaction des patients, au terme d'une certaine durée d'utilisation. Céline Berthié ( Mais une satisfaction... Vous savez bien qu'on peut pas se baser sur la satisfaction du patient. Alain Baumelou Pourquoi ? Céline Berthié Eh bien, parce que moi, j'estime qu'un patient qui va se mettre en danger par ma faute, je serai pas tranquille en fait. Alain BaumelouMais pourquoi il se mettrait en danger ? Quand vous avez des céphalées chroniques et que vous dites que par exemple, vous pouvez faire confiance à l'acupressure. Vous avez de très nombreux articles sur : acupression, acupuncture, céphalées chroniques, non-migraineuses, je suis d'accord avec vous. Alors je vais vous dire, à mon avis, en tant que médecin qui a en charge l'évaluation, votre position est juste sur le fond, et sur la forme, elle ne tient pas compte des choses qui sont publiées. Céline Berthié Mais si... Alain Baumelou Et à ce moment-là, ce qu'il faut, c'est une formation. Vous avez commencé tout à l'heure la discussion en disant : "Je n'ai jamais été formée, donc je vais pas." Je suis tout à fait d'accord avec vous. Céline Berthié Ah oui, je n'ai pas été formée à... Alain Baumelou Ceux qui n'ont jamais été en contact avec... ne savent même pas ce que c'est que l'acupuncture, etc. Donc ça a été la première chose que j'ai faite à la Pitié-Salpêtrière, c'est de créer deux formations en second cycle, qui sont une ouverture d'esprit. Est-ce qu'on peut s'ouvrir un peu l'esprit ? RÉACTION « LORSQUE LA PRATIQUE N’A PAS APPORTÉ SCIENTIFIQUEMENT LA PREUVE DE SON EFFICACITÉ, LE TERME DE MÉDECINE EST À PROSCRIRE. » MINISTÈRE DES SOLIDARITÉS ET DE LA SANTÉ, COMMUNIQUÉ DE PRESSE, 2017 Alain Baumelou Bon ben vous avez commencé par ça ! Céline Berthié Oui, j'avais... J'étais d'accord avec cette affirmation. Alain Baumelou Il n'empêche, Madame, que dans le domaine de la médecine, nous sommes 6 milliards, je crois, sur cette terre, et que en médecine conventionnelle on admet qu'il y a à peu près 1 milliard 500 millions d'individus qui sont traités par la technique de médecine occidentale, et que vous en avez 4,5 milliards qui sont traités par d'autres médecines. Céline Berthié Avec une espérance de vie de... ? Alain Baumelou Avec des espérances de vie qui sont différentes. Mais vous savez fort bien que dans le domaine de l'espérance de vie et des déterminants de la santé, il y a douze déterminants de la santé très très forts qui sont... qui jouent presque encore plus que la médecine sur l'espérance de vie. Céline Berthié (11:31) Vous me parliez d'ouverture d'esprit. La science, c'est l'ouverture d'esprit. C'est effectivement ne pas avoir... d'hypothèse préconçue et demander qu'on apporte des preuves. Je pense que quand on défend l'acupuncture comme vous le faites, il y a à ce moment-là une fermeture d'esprit à toutes les études négatives qui existent. Vous comprenez ce que je vois quand je vois des croyants comme ça, des médecins qui croient en l'homéopathie, en l'acupuncture, je vois une fermeture d'esprit. Parce que ça a été, sur des milliers de patients, des centaines d'études, où ça fait pas mieux... La fausse acupuncture, vous savez, quand on pique à côté, ne fait pas mieux que la vraie. Et ça, reproductible des centaines de fois. Au bout d'un moment, je pense qu'il faut se dire : "Bon, en fait, c'était une croyance et... Ça me plaisait, c'était chouette, mais en fait, c'est..." Vous... Enfin voilà... Moi je pense que, on peut pas nous reprocher le... la fermeture d'esprit, parce qu'on se fermerait aux techniques... on va dire, d'autres pays. On est évidemment pour essayer de trouver un maximum de choses qui marchent et je dirais même que sous-entendre qu'on se ferme à ça, c'est aller... c'est... contre votre volonté, alimenter le discours anti-science. En fait, on voit beaucoup de gens qui ont pas confiance, qui ont pas confiance dans les vaccins, qui ont pas confiance dans les médicaments. Moi, j'ai même du mal maintenant à traiter les gens avec un antihypertenseur tout simple, parce qu'il va avoir tous les effets secondaires de la liste, ce qu'on appelle l'effet nocebo. Et en fait, c'est parce que il y a un discours autour qui dit : "On peut se soigner autrement, mais on vous ment. Ne prenez pas de médicaments qui vont causer des effets secondaires, parce qu'en fait, on peut faire autrement, regardez." Et ça, c'est un discours très dangereux. Et le fait que des médecins, avec leur diplôme ou dans des hôpitaux... il y ait des consultations qui... qui prônent ce discours, qui disent : "On peut soigner autrement", en fait, moi je trouve que c'est dangereux dans ma pratique quotidienne. Alain Baumelou Je vous entends, mais... Les patients n'attendent pas ce genre d'avis. 2001, Eisenberg, Journal of Clinical Pharmacology : 60 % des malades atteints de maladies chroniques utilisent une médecine non-conventionnelle. Céline Berthié Tout à fait. Alain Baumelou Institut Gustave Roussy, cancer du sein : mise en place de soins de suite et de supports qui sont... parfaitement bien balisés, etc. Ça questionne. Ça impose un minimum d'évaluation. Ça incite à un minimum de formation de nos... de nos jeunes médecins, de manière à ce qu'au moins ils sachent, à ce qu'au moins ils se fassent une opinion personnelle sur : acupuncture, homéopathie, les techniques corps-esprit, etc. Moi, je dois avouer que je suis tombé dans le chaudron des médecines complémentaires par le biais de la médecine chinoise et... Il est indiscutable que les techniques corps-esprit, il est indiscutable que la méditation peuvent avoir des indications très précises et que le problème actuellement, ce n'est pas l'absence d'indications, c'est l'absence de formation des médecins sur ces techniques. Céline Berthié Alors, quand on a trouvé une indication sur laquelle ça marche, tout à fait. Effectivement, la méditation, on a bien montré que ça diminuait l'hypertension artérielle... Alain Baumelou Non, pas du tout. La seule... Céline Berthié Ah ben si, ça a été... Alain Baumelou La seule indication reconnue dans la méditation, c'est la prévention des récidives dans les dépressions chroniques, récidivantes et chroniques. Il n'y a rien de démontré sur l'hypertension artérielle, pas plus d'ailleurs avec une autre médecine complémentaire. Céline Berthié Ce que je voulais dire, c'est que lors de la séance, ils avaient... Enfin, ça avait été publié que... Enfin... Qu'on pouvait agir sur son corps en contrôlant son esprit. Dans l'acupuncture, quand on regarde la méta-analyse, il y a le traitement de la sinusite chronique, la prévention de l'infertilité pour tomber enceinte, le déclenchement de l'accouchement, le traitement de l'asthme, le traitement des migraines, le.... En fait, vous trouvez absolument tout. Enfin, rien que ça, je trouve ça... ça discrédite. Si vous voulez, comment on peut se targuer d'une indication quand en fait on dit qu'on soigne tout. "Prévention de l'asthme chronique", c'est quand même dangereux. Enfin, je sais pas, ça... Alain Baumelou Moi je vais vous dire, c'est pas du tout sur les indications... Je suis tout à fait d'accord avec vous. C'est sur ces méta-analyses. Des méta-analyses sur l'acupuncture, vous... Alors je sais bien qu'elle est au top niveau de l'evidence based medicine. Mais des méta-analyses, qui plus est contradictoires... On a vu Bruno Falissard tout à l'heure à l'écran. Et Bruno vient de démontrer... Il a fait faire par un de ses collègues un travail extraordinaire. Il a fait bouger les outcomes dans... dans un certain nombre de méta-analyses. Céline Berthié Ah oui, on peut faire dire des choses... Alain Baumelou Il leur a fait dire : oui ou non, efficace ou non-efficace. Alors on va peut-être enlever du sommet de la pyramide de l'EBM la méta-analyse. Céline Berthié Ah ben quand même, est-ce que... Alain Baumelou Puis après, on enlèvera les essais prospectifs contrôlés randomisés. Céline Berthié Oui et après on arrivera à l'expérience individuelle et on retournera à il y a 200 ans. Alain Baumelou (16:17) Ce serait peut-être une bonne chose ! #VERSUS « ET SI LE TEMPS ACCORDÉ AUX PATIENTS ÉTAIT LE SECRET DU SUCCÈS DES MÉDECINES NON CONVENTIONNELLES ? » Céline Berthié (16:29) C'est évident. C'est... En fait... Les homéopathes, avec qui j'ai beaucoup débattu... refusent de l'admettre, mais c'est évident que quand on passe une heure avec un patient à écouter tous ses problèmes et à les prendre en compte, et dire : "Là, on va essayer de trouver une solution, là on va faire ça"... Enfin ça me paraît vraiment limpide que c'est une clé pour aller mieux et que, à l'inverse, la médecine conventionnelle en France... S'il y a en France un gros lobby anti-vaccins, s'il y a en France, un gros lobby anti-science, c'est aussi parce qu'on n'a pas donné les moyens à la médecine conventionnelle et que demander à un généraliste de voir un patient en 15 minutes, c'est pas faisable. J'augmente mes consultations à 20 minutes, à titre personnel. Voilà, je vois trois patients par heure, au lieu de quatre. Qu'on soit bien clairs, je me prive de 25 % de rémunération par rapport aux collègues. C'est tout. Je le fais. Je ne ferai pas mon métier autrement. En fait, on a besoin de temps avec les gens. C'est évident. Alain Baumelou Vous débordez le scientifique, là. Vous êtes dans des domaines qui sont totalement non-scientifiques. Alors moi, je voudrais rebondir sur la plaquette, là. D'abord, premièrement, l'efficacité. Est-ce que... nos systèmes méthodologiques actuels... démontrent une efficacité de type scientifique ? Vous savez que c'est vraiment très débattu, surtout compte tenu de la manière dont c'est utilisé en aval par le patient. Après, je suis tout à fait d'accord avec vous. D'une manière pragmatique : vous, vous allez voir le patient, vous êtes absolument obligée vous le voyez 20 minutes, alors que le généraliste, très souvent, il le voit 12 à 15 minutes. 12 à 15 minutes : 23 euros. Et puis, l'acupuncteur, première consultation, 40-45 minutes : 70 euros. Céline Berthié On n'est pas à armes égales. Alain Baumelou Donc c'est vrai que vous êtes... Du point de vue pragmatique, vous n'êtes pas à armes égales. Mais je pense, et je le dis très franchement, que la grande croisade qui a été faite contre l'évaluation des médecines complémentaires et cetera, il n'y avait pas que des arguments scientifiques. Il y a le fait que la... l'exercice de la médecine générale en France, il est largement sous-évalué. Autrement dit... Céline Berthié "Sous-évalué" : vous voulez dire ? Alain Baumelou Largement sous-évalué... Vous êtes largement sous-rémunérée, à mon avis. Céline Berthié Ah oui, on donne pas assez de moyens aux généralistes. Alain Baumelou Et autrement dit, vous êtes en concurrence avec des gens qui... Mais par contre, ce qui est tout à fait extraordinaire, c'est que vous avez quand même beaucoup de gens qui acceptent de donner 60, 70 euros pour... Céline Berthié Ah mais bien sûr. Les gens ont vraiment besoin de croire, honnêtement. Après, moi ce que je constate, c'est qu'une fois qu'ils ont fait le tour des thérapeutes et que en fait, même malgré ça, ils ont pas réussi, à un moment donné, d'entendre un discours de vérité : "Non là, en fait on… Moi à ma connaissance on peut rien faire, je suis désolé", et ben en fait, des fois ça leur permet de poser les armes et de dire : "Bon, ben en fait, je vais rester avec vous. J'ai compris qu'effectivement il y a pas de médicament pour... mes douleurs chroniques, mes..." Enfin voilà, tout un tas de choses. Mais par contre, ce discours de... Ce discours de rationalité peut apaiser. Et je pense que c'est dur de le tenir. C'est pas facile, pour beaucoup de médecins de dire : "En fait, j'ai rien à vous proposer." Mais pour moi, la clé elle est là et elle va être importante pour l'avenir de notre profession et puis surtout pour la lutte contre le... la montée du climat anti-science. Parce que d'abord reconnaître ses limites, c'est déjà permettre... d'attirer l'adhésion. Alain Baumelou La conclusion de notre discussion, c'est : est-ce que... la médecine ne peut que se juger... scientifiquement. C'est un énorme problème. C'est un énorme problème et je crois que la parole elle est pas aux médecins. Parce qu'en fait, les médecins, ils font un peu la médecine pour eux-mêmes. La parole, elle est au patient. Céline Berthié Je… Pour moi, ce discours est dangereux, vraiment. Non mais je suis désolée, je vous le dis. On voit des gens qui peuvent se fourvoyer jusqu'à la fin, des gens refuser les soins. Vous savez cette étude qui a montré que sur des cancers curables, les gens qui faisaient de la médecine... des pratiques de soins non-conventionnelles en plus voyaient leur chance de survie diminuer à 5 ans. Alain Baumelou À 5 ans, ils perdaient 8 mois. Céline Berthié C'était 25 %... Alain Baumelou L'énorme problème de cette étude, qui est d'une certaine manière un peu scandaleuse, la manière dont elle est présentée, c'est qu'il n'y a rien sur la qualité de vie dans cette étude. Céline Berthié Ah oui. Alain Baumelou Il y a aucune évaluation de la qualité de vie. Céline Berthié Alors pas de problème, il faut informer les gens, quoi. Il faut dire : "Vous croirez, donc vous serez plus heureux" par contre du coup, vous risquez plus de refuser la chimio et... Alain Baumelou Le deuxième élément : c'était une population très particulière, puisque d'un côté, vous avez des jeunes femmes qui voulaient être traitées, et dans l'autre bras, c'était : qui refusaient tout traitement. Et ça, c'est quand même pas une situation... Céline Berthié Alors, au départ ils ont, ils ont inclus des... des stats qui relevaient des traitements et les personnes qui pratiquaient les pratiques étaient plus enclines à refuser les traitements. Et ça, ça me surprend pas parce que quand on vous propose d'aller mieux versus une chimiothérapie vraiment lourde à supporter et tout, c'est... Je pense que l'important, c'est de dire aux gens. Enfin voilà, là où on est sur le niveau de preuves et ce qu'ils attendent de notre... Ce qu'on peut leur proposer, quoi.
Réalisation : Anthony Barthélémy
Production : Universcience
Année de production : 2019
Durée : 21min51
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