À quoi ressembleront ces champs en 2050 et qu'y cultivera-t-on ? Parmi les activités humaines, l'agriculture reste l'une des plus influencées par le climat. Si la production agricole émet 17 % de gaz à effet de serre à l'échelle mondiale, ce secteur en subit aussi les conséquences. Le réchauffement de l'atmosphère pourrait stimuler la photosynthèse et améliorer le rendement de certaines cultures, mais il entraînerait aussi une transformation profonde du cycle de l'eau avec, en perspective, des périodes de sécheresse intenses et longues. Les plantes s'y adapteront-elles, et peut-on les y aider ? Une équipe de scientifiques a décidé d'en mettre certaines à l'épreuve pour étudier leur résistance à la sécheresse.
GENERIQUE
Dans les chambres froides du centre de recherche de l’INRAE se cachent des trésors. Cette collection de semences est régulièrement sollicitée pour des expériences en pleine terre. Elles ne le savent pas encore, mais certaines s’apprêtent à subir un privation d’eau drastique pour mesurer leurs capacités d'adaptation. Sur ce site, la recherche agronomique s'est alliée à la haute technologie pour faire naître un abri d'un nouveau genre baptisé Siclex : un simulateur de climat extrême. L'objectif : soumettre des plantes à l’environnement qu’elles pourraient connaître d’ici 20 ou 30 ans.
ITV Cédric Perrot - Ingénieur
- Siclex est un dispositif expérimental que nous avons développé et mis en service en 2018 pour intercepter les précipitations et générer du stress hydrique sur les parcelles de culture, notamment les prairies. Le côté automatique est assuré par un logiciel que j'ai développé qui va chercher sur Internet des cartes radar de précipitations pour anticiper l'arrivée de la pluie pour évidemment intercepter l'ensemble des précipitations avant que la pluie n'arrive sur le site.
Ces parcelles longues de 100 m sont ainsi recouvertes par l'abri avant que ne tombe la moindre goutte. Et pour augmenter encore le stress auquel sont soumis ces plantes cobayes, l'abri se retire systématiquement après la pluie pour profiter du rayonnement solaire. Sous la chaleur, ces végétaux augmentent ainsi leur consommation de l’eau présente dans le sol et dans leur organisme, accentuant le phénomène appelé « évapotranspiration ».
L’écophysiologiste Jean-Louis Durand s’intéresse à l’adaptation des prairi aux changements climatiques. Pour cette expérience, il a sélectionné différentes variétés de dactyle. Cette plante fourragère riche en protéines permet de nourrir les ruminants, un maillon essentiel pour l'élevage. Avec son équipe, il a fait pousser 77 petits massifs composés de variétés de différentes régions d’Europe pour comparer leurs réactions.
ITV Jean-Louis Durand – Écophysiologiste
- Les plantes sur lesquelles on travaille ici sont actuellement étudiées mises face au même manque d'eau généré par ce système pour observer d'une part la vitesse avec laquelle elles assèchent le sol, comment elles réagissent, comment elles entrent petit à petit dans une phase où elles deviennent toutes jaunes, complètement fanées, et on cherche à savoir combien de temps elles peuvent rester dans cet état avant qu'elles ne puissent plus jamais repousser.
Ces dactyles ont été totalement privé d’eau entre avril et septembre avant d’être brusquement arrosés, simulant ainsi un été caniculaire précédent les pluies d’automne. Premier constat : la majorité des variétés plantées est repartie. mais avec des différences de performances très notables. Pour les mesurer avec précision, les chercheurs utilisent des prises de vues aériennes. Les clichés haute définition pris par ce drone durant son vol permettent de modéliser cette parcelle en 3D et de comparer dans le temps la vitesse et la qualité de repousse de ces plantes fourragères.
ITV Jean-Louis Durand – Écophysiologiste
- Les plantes, pour vivre, ont besoin de consommer beaucoup d'eau. Elle la trouve dans le sol qui est alimenté par les pluies. Tout se joue sur l'équilibre entre les pertes en eau et l'alimentation par les pluies. Or, les climatologues disent que, pour commencer, la consommation d'eau aura tendance à augmenter alors que les pluies resteront constantes, et qu'un déficit hydrique, climatique, s'impose de plus en plus. Ces périodes d'été sec vont être plus fréquentes à l'avenir. Par conséquent, il faudra trouver moyen que les plantes qu'on cultive aujourd'hui continuent à produire le maximum en été et surtout survivent à ces étés très secs.
Survivre à l’été de 2050, c’est le défi proposé à ces dactyles, une population très diverse génétiquement présente du nord au sud de l’Europe, dans des conditions climatiques très différentes. Le croisement des variétés les plus robustes pourrait faire naître un idéotype, une plante idéale créée naturellement au fil des générations. Ce laboratoire mène ainsi l’enquête pour identifier les marqueurs génétiq qui favorisent la résistance à la sècheresse. Une fois identifiés les individus les plus résistants, on va regarder leur ADN et on pourra dire que telle séquence offre la résistance à la sécheresse.
ITV Philippe Barre – Généticien
- On va identifier cette séquence chez plusieurs individus, et on croisera les individus porteurs de cette séquence pour ensuite créer une descendance avec cette séquence favorable et créer une nouvelle variété.
Face à l’urgence climatique, ce protocole encore expérimental permet de gagner un temps précieux, en donnant naissance à de nouvelles variétés de plantes 3 à 4 fois plus vite qu’avec des méthodes traditionnelles. D’ici 4 ans, ces dactyles aux capacités de résistance accrues pourraient germer dans les prairies d’Europe en dessinant les contours de l’agriculture de demain.