L’Afrique souffre d’un manque chronique d’infrastructures médicales et de praticiens qualifiés dans le domaine de la santé. Selon des chiffres publiés par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), on compte environ 2 médecins pour 10 000 habitants en Afrique contre 32 pour 10 000 dans la région européenne. Certes, l’espérance de vie de sa population s’est améliorée, avec un gain de dix années entre 2000 et 2015, grâce aux efforts entrepris pour lutter contre le VIH et le paludisme. Mais le continent doit faire face à de nouvelles maladies non virales, affections cardio-vasculaires ou cancers, liées à l’extension de modes de vie plus sédentaires. Le développement des innovations numériques dans le domaine de la santé facilite désormais l’accès aux soins – le talon d’Achille en Afrique – et ce, en brousse comme dans les mégalopoles.

Une médecine connectée pour un accès aux soins

La télémédecine est devenue un levier incontournable pour que l’Afrique comble son retard en santé publique.

L’Afrique a encore beaucoup de chemin à parcourir dans le domaine de la santé : l’espérance de vie y est de 61 ans contre 73 pour le reste du monde. L’accès aux soins reste très limité et le personnel soignant qualifié presque inexistant. Des exemples ? Dans la zone subsaharienne, un Africain sur 1000 n’a pas accès à un lit d’hôpital s’il est malade. On compte 0,2 médecin pour 1000 habitants en 2017 contre une moyenne mondiale à 1,6 et à 3,7 dans l’Union européenne. Cependant, dans sa quête de soins de santé équitables, le continent peut compter sur sa vitalité dans le domaine de la téléphonie mobile. Selon le dernier rapport de la GSM Association, pas moins de 660 millions d’habitants du continent africain étaient équipés d’un smartphone en 2020, soit le double de 2016. En permettant le développement de prestations de santé localisées, moins coûteuses et accessibles, donc plus proches de la population, la télémédecine a déjà commencé à réformer le secteur médical en Afrique : grâce à la gestion des données médicales personnelles, l’analphabétisme ne représente plus un problème dans le suivi des patients ; le manque de gynécologues dans la brousse est compensé par des consultations à distance pour les femmes enceintes ; des plateformes dédiées à la santé reproductive donnent accès librement et facilement à des informations sur la sexualité. Cependant, pour que cette révolution prenne vraiment de l’ampleur, il reste à relever le défi de la couverture Internet. Moins de 30 % des habitants ont accès au haut débit mobile (contre 43 % en Asie) et seulement 15 % des Africains bénéficient d’un accès à Internet à leur domicile.

Etat des lieux de la santé en Afrique

Télécardiologie : Bouaké donne le ton

L’unité de télémédecine de la deuxième ville de Côte d’Ivoire révolutionne la prise en charge des malades du cœur.

Depuis 2014, plus de 10 000 cas ont fait l’objet d’une télé-expertise. Soit plus d’un million de kilomètres de trajets évités épargnés aux patients et à leurs familles. Avant la télé-ECG, un patient parcourait en moyenne 177,7 km pour ses soins. Rien qu’entre janvier 2015 et décembre 2017, 6045 patients ont été traités par l’unité de télémédecine de Bouaké, révèle une analyse médico-socio-économique publiée en septembre 2020. Issus pour la plupart des zones rurales, éloignés des centres spécialisés, les patients du centre, du nord et de l’ouest du pays sont aujourd’hui débarrassés des frais de déplacement et d’hébergement. L’électrocardiogramme, qui coûtait entre 12 et 15 euros, leur revient dorénavant à 9 euros. L’unité, installée au sein du centre hospitalier de Bouaké, ville située à 349 kilomètres d’Abidjan, est reliée à 22 centres hospitaliers par le biais de Cardio+. Cette plateforme digitale centralise les examens et les informations sur les cas traités et est accessible aux praticiens de ces centres, comme aux cardiologues. Selon le Dr Florent Diby, responsable de cette unité, des pathologies cardiovasculaires réputées rares autrefois en Afrique subsaharienne, comme l’infarctus du myocarde, la fibrillation atriale et l’hypertension artérielle compliquée d’une hypertrophie ventriculaire gauche, ont ainsi pu être découvertes chez les patients. Elles sont sans doute liées à un changement de mode de vie, plus sédentaire, et une alimentation plus riche en sel et en graisse et sont encore sous-diagnostiquées sur le continent. L’initiative devrait être étendue à d’autres spécialités, psychiatrie, dermatologie ou ophtalmologie.

Image légendée
© JokkoSanté

JokkoSanté, une pharmacie communautaire digitalisée 

Fini le gaspillage de médicaments abandonnés dans l’armoire à pharmacie familiale. Au Sénégal, chacun peut déposer ce qu’il n’a pas consommé dans des centres de santé publics implantés un peu partout dans le pays. Ces médicaments sont triés et mis à disposition des plus démunis. Ensuite, grâce à l’application JokkoSanté, le déposant reçoit un SMS qui lui indique les points gagnés, équivalant à la valeur des produits donnés. Il pourra les dépenser pour acheter d’autres médicaments. Au Sénégal, les dépenses de santé représentent jusqu’à 73 % du budget d’un ménage, alors que 80 % de la population vit sans couverture médicale. Depuis sa création en 2015, plus de 6 000 Sénégalais ont bénéficié de ce service.

Une borne pour détecter les maladies

En Guinée, la borne Octopus, développée depuis 2017 par Tulip Industries, une entreprise du pays, veut faciliter les diagnostics à distance. Tactile et facile à utiliser, la borne compte huit dispositifs, dont un stéthoscope et un oxymètre de pouls, pour mesurer le rythme cardiaque et le taux d’oxygène transporté par le sang, ainsi qu’un thermographe pour la détection précoce du cancer du sein. Autonome grâce à l’énergie photovoltaïque, elle transmet les données médicales de manière sécurisée et confidentielle à un professionnel de santé. Plusieurs fois primé, Octopus est en phase de test à l’hôpital national Donka de Conakry.

Image légendée
© Greg Yetchmeniza/Le Dauphiné Libéré
Image légendée
© X. Olleros/Handicap International

Au Togo, des prothèses de jambe imprimées en 3D

Le Togo compte plus d’un demi-million de personnes en situation de handicap. Moins de 20 % d’entre elles ont accès à des appareillages orthopédiques. A l’Ecole nationale des auxiliaires médicaux, des spécialistes produisent des prothèses pour des personnes amputées (voir photo) ou des orthèses pour soutenir une jambe paralysée, sur une imprimante 3D, installée en 2020 par Action Handicap International. Dans les régions éloignées, des agents de santé scannent le moignon ou la jambe et transmettent ces mesures numériques par téléphone portable. Au total, 234 personnes ont déjà bénéficié de ces prothèses dans cinq pays africains (Togo, Madagascar, Mali, Niger, Ouganda). Seul bémol, le coût –1 200 euros – pris en charge par l’ONG en cette période de test.

L’épilepsie diagnostiquée sur smartphone

En 2017, un électroencéphalogramme mobile pour la détection précoce des crises d’épilepsie.

Avec une prévalence moyenne de 14,2 cas pour 1 000 personnes, contre 5,8 en Europe, l’épilepsie est plus courante en Afrique que dans le reste du monde. Or le continent africain manque cruellement de neurologues. Ainsi, la Guinée ne compte que douze de ces spécialistes, soit un ratio d’un pour un million d’habitants, alors que la norme de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) est d’un neurologue pour 50 000 habitants. Grâce à un financement américain et à un partenariat technique danois, le professeur Fodé Abass Cissé, neurologue au CHU Ignace Deen de Conakry, a donc développé un électroencéphalogramme (EEG) mobile, le Brain Scanner-2. Le dispositif comprend un casque à électrodes, relié sans fil à une application sur smartphone disponible en open source. Le tracé est analysé à distance par un neurologue pour déterminer le soin à administrer. En phase d’expérimentation à l’hôpital de Conakry, l’initiative permettra de réaliser des EEG à moindre coût partout en Guinée. L’équipe travaille désormais à une nouvelle version de cet EEG mobile qui permettra aux professionnels de santé non-spécialisés en neurologie de poser des diagnostics précis et de proposer des traitements adaptés.

Le CardioPad, la tablette du cœur

Une tablette tactile, des électrodes : le système inventé par Arthur Zang, jeune informaticien camerounais et fondateur de l’entreprise Himore Medical Equipments, permet de réaliser des électrocardiogrammes à moindre coût dans les zones les plus reculées. Une fois collectées, les données médicales sont transmises grâce au réseau GSM à un médecin cardiologue qui peut alors porter un diagnostic et proposer un traitement. Commercialisé en 2016 au Cameroun, le CardioPad est désormais disponible au Gabon, en Inde et au Népal. Après ce premier succès, son inventeur propose aujourd’hui un autre dispositif, l’Oxynnet, système composé de stations de production d’oxygène thérapeutique connectées, pour subvenir aux patients atteints de la Covid-19.

Image légendée
© Rolex Awards/Marc Latzel

Accompagner les grossesses à distance

Des initiatives numériques se multiplient pour améliorer un suivi prénatal encore trop peu développé en Afrique.

L’Afrique subsaharienne détient le triste record du taux de mortalité maternelle le plus élevé au monde : en 2017, il atteignait 534 décès pour 100 000 naissances vivantes, contre 211 pour 100 000 dans le monde, d’après les chiffres de la Banque mondiale. En cause, le difficile accès à un suivi régulier durant la grossesse, le manque de personnel qualifié pour accompagner l’accouchement et des soins postnatals trop rares. Plusieurs outils virtuels visent à corriger cette situation. Ainsi, au Burkina Faso, l’application Panda (Pregnancy and Newborn Diagnostic Assessment) propose gratuitement des visites prénatales de qualité. Une base de données consultable sur tablette ou téléphone mobile permet de suivre à distance les femmes à risques de complications. En posant quelques questions simples – le bébé bouge-t-il ? la mère a-t-elle souffert de fièvre ou saignements ? –, un agent de santé peut surveiller la grossesse, préparer à l’accouchement et indiquer les bons réflexes en cas d’urgence. Le système a été mis en place par l’ONG Enfants du Monde en collaboration avec le ministère de la Santé. Au Sénégal, une autre application de télémédecine permet de réaliser le suivi de grossesse. Njureel offre gracieusement aux femmes et adolescentes enceintes un accès 24 h/24 à une assistance psychologique d’urgence. La consultation s’effectue sur l’application ou sur serveur vocal si la patiente n’a pas accès à une connexion internet.

Image légendée
© Agence universitaire pour l’innovation technologique (AUIT)

Une couveuse connectée au secours des prématurés

Au Cameroun, 108 000 prématurés viennent au monde chaque année. Avec moins de 100 couveuses néonatales fonctionnelles pour plus de 7000 établissements et un manque patent de professionnels de santé, plus de 10 000 d’entre eux meurent, d’après la Société camerounaise de médecine périnatale. Depuis 2016, l’Agence universitaire pour l’innovation (AUI) a mis au point 15 couveuses néonatales connectées. Le médecin suit le bébé en couveuse sur son smartphone, grâce à la caméra et aux capteurs intégrés. Il dispense à distance des consignes strictes à un infirmier formé à la manipulation de la couveuse. L’AUI veut désormais la fabriquer dans 15 pays d’Afrique.

Le carnet de santé devient numérique

En Afrique, 70 % des décès aux urgences sont dus au manque d’informations sur les malades.

C’est un bijou à l’apparence banale qui peut sauver des vies. Il est gravé d’un QR code crypté. Il suffit qu’un médecin le scanne pour qu’il accède à votre état de santé via un smartphone ou un portail web. Ce carnet de santé numérique, créé en Côte d’Ivoire, s’appelle le Pass Santé Mousso. Sécurisé, accessible, il est aussi disponible dans les zones rurales au travers de codes USSD [1], à taper sur son téléphone portable. La même technologie est utilisée au Togo, avec l’application Kondjigbalé. Lancée en mai 2019, elle se propose de combler le déficit de suivi des patients. Le médecin dispose du dossier médical partagé et sécurisé du patient dès sa prise en charge, et a accès à l’historique de ses antécédents. Il peut le consulter à distance et y enregistrer les diagnostics, les analyses et les ordonnances. L’application est dotée d’un centre d’appels en langues locales pour les populations rurales. Ces applications, si utiles, ont un point faible : l’utilisation abusive des données personnelles de santé. Au Sénégal, le Projet HOPE, plate-forme numérique de gestion des dons de sang, envoie régulièrement des SMS d’alerte en cas de besoin, ainsi que des appels téléphoniques en langues locales. Il a choisi de se conformer aux exigences de la Commission nationale de protection des données personnelles et aux normes internationales (HIPAA [2] et RGPD [3]) en vigueur.

[1] USSD : Unstructured Supplementary Service Data. Fonctionnalité associée aux services de messagerie instantanée que l’on retrouve sur les téléphones mobiles GSM, 3G ou 4 G.
[2] Health Insurance Portability and Accountability Act
[3] Règlement général sur la protection des données

Une appli contre les médicaments falsifiés

Le faux médicament tue. En Afrique subsaharienne, plus de 122 000 enfants de moins de 5 ans meurent chaque année à cause d’antipaludiques falsifiés. Méditect, une start-up française, teste en Côte d’Ivoire une application gratuite qui vérifie l’authenticité de la boîte de médicaments, en scannant son QR code. La technologie employée est celle de la blockchain : chaque acteur de la chaîne – laboratoire, pharmacie – entre les renseignements utiles, date de fabrication et de livraison, par exemple. D’abord en phase pilote en 2020 sur le seul Efferalgan, l’appli s’étend désormais à d’autres classes de médicaments, dont un antipaludique, la Cofantrine.

Image légendée
© Pascal Deloche/Godong/Photononstop/AFP