Reverdir l’Afrique, un défi à relever
La déforestation s’aggrave depuis trente ans, avec la perte de 4 millions d’hectares de forêt chaque année depuis 2010. Mais des solutions sont peu à peu mises en place.
Aminata Goudiaby, Bakary Traoré, Merry Saka, Talara Odianto, Rachid Alalouche, Boursier Tchibinda, François Ndondo et Elihu Jos Benam, sous la coordination de Sébastien Hervieu - Publié le
Représentant presque cinq fois la France, la forêt du bassin du Congo est la deuxième plus grande du monde. Ce gigantesque poumon vert de la planète s’étend sur six pays d’Afrique centrale. Mais comme d’autres sites sur le continent, elle subit une déforestation rampante, due à l’exploitation agricole et minière. L’Afrique est le seul continent où la déforestation s’est accélérée ces dernières années, selon les chiffres des Nations unies. Mais de plus en plus conscients de la précieuse valeur de leurs arbres, ses habitants inventent des solutions. Depuis quatre ans, la République démocratique du Congo a ainsi octroyé la propriété de milliers d’hectares d’arbres à certaines communautés résidant dans la forêt tropicale humide. Une incitation forte à les gérer de manière durable, en limitant par exemple la production de charbon de bois pour cuisiner. Une quarantaine de concessions ont ainsi été attribuées. Et les premiers résultats sont encourageants : le rythme de la déforestation ralentit, la pauvreté recule.
L’Afrique face à la déforestation
La superficie forestière continue de se réduire sur le continent. Les raisons d’un tel phénomène sont multiples.
La forêt tropicale du bassin du Congo est la plus grande forêt au monde après l’Amazonie. Mais en Afrique, la déforestation s’est accélérée depuis 1990. Entre 2010 et 2020, le continent a perdu en moyenne près de 4 millions d’hectares par an, selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Mais le phénomène n’est pas homogène sur tout le territoire. En Afrique centrale, le recul du couvert forestier oscille entre 0,4 % et 0,5 % par an. En Afrique de l’Ouest, il dépasse les 2 %. Le cas de la Côte d’Ivoire est emblématique. Il n’y avait plus que 3 millions d’hectares de forêt en 2019, contre 16 millions en 1900 ! Chaque année en moyenne, le pays a perdu l’équivalent de 15 000 terrains de football de surface de forêt.
Les causes de cette déforestation sont diverses. L’exploitation de subsistance par les communautés, tout d’abord. La culture sur brûlis, qui consiste à défricher des parcelles par le feu, demeure répandue pour les produits vivriers. La consommation de bois énergie, qui sert à se chauffer et cuisiner, reste, elle aussi, importante. Selon la FAO, le continent consomme 625 millions de m3 de bois par an, soit le volume en eau d’un peu plus de 160 000 piscines olympiques. Avec une croissance démographique estimée à 2,7 % par an, ce chiffre pourrait croître encore. Outre l’expansion urbaine, l’exploitation industrielle du bois réduit les surfaces forestières. 44 millions d’hectares de forêt seraient sous concession d’exploitation ; un chiffre qui ne prend pas en compte l’exploitation illégale de bois, un véritable fléau sur le continent.
Des forêts mal en point
Plus d’arbres que prévu au Sahara et au Sahel
Il y a davantage d’arbres dans l’ouest du Sahara, le Sahel et la zone soudanienne que ne le pensaient les scientifiques. C’est l’étonnante conclusion à laquelle une équipe internationale de chercheurs a abouti en 2020. Grâce à l’exploitation de données satellitaires (plus de 11 000 images haute définition) couplée à un programme d’intelligence artificielle, elle a pu inventorier le nombre d’arbres à un niveau de précision encore jamais égalé sur une aussi grande surface. Les chercheurs ont ainsi comptabilisé 1,8 milliard d’arbres sur une superficie de deux fois et demie la France. Cette nouvelle méthode de détection pourrait se révéler précieuse pour étudier la biodiversité et l’impact du changement climatique.
Le défi du reboisement
Pour lutter contre la déforestation, des États africains mettent en œuvre des plans de reboisement. Mais les résultats sont mitigés.
Le Sénégal fait partie des bons élèves du reboisement sur le continent. En septembre 2020, une nouvelle opération spéciale a permis de planter près de 20 millions d’arbres dans le pays, comme des baobabs ou des caïlcédrats qui résistent mieux aux sols pauvres. Le principe ? Le gouvernement livre gratuitement les plants ; charge aux habitants d’en prendre soin. Couplée à des initiatives locales, cette volonté nationale a contribué à la réduction du nombre d’hectares de forêt perdus chaque année, de 80 000 à 40 000 ha en moins de dix ans. Mais tous les pays de la région n’ont pas le même dynamisme. Lancé en 2007 pour lutter contre la désertification au Sahel, le projet de Grande muraille verte est jusqu’à présent un échec. Du Sénégal à Djibouti, les onze pays participants devaient contribuer à l’élaboration d’une immense bande de végétation de 8 000 km de long sur 15 km de large. Mais seulement 4 % de l’objectif prévu pour 2030 a été atteint, soit 4 millions d’hectares de terres aménagées sur les 100 millions du programme.
Les raisons sont multiples : manque de volonté politique, sous-investissement, insécurité liée au djihadisme, obstacles techniques. Dans la mise en œuvre des plans nationaux de reboisement, des erreurs sont aussi parfois commises, comme la plantation d’essences de forêt tropicale dans des zones de savanes, ou la plantation d’arbres dans des zones qui n’ont jamais été boisées. D’un coût total de 33 milliards de dollars (28 milliards d’euros), le projet panafricain a toutefois reçu en janvier 2021 un coup d’accélérateur avec l’annonce, par des bailleurs internationaux, dont la France, d’une enveloppe de 14 milliards de dollars.
En Éthiopie, un reboisement en question
En une seule journée, le 29 juillet 2019, les Éthiopiens ont planté – selon les autorités – 353 millions d’arbres. Une opération spectaculaire du programme « Héritage vert » porté par le Premier ministre Abiy Ahmed. Mais des critiques n’ont pas tardé à apparaître sur l’implication des populations, la fiabilité du nombre d’arbres plantés et la pérennité de l’opération, les terres choisies n’étant pas toujours fertiles ni adaptées. En un an, d’ailleurs, plus d’un tiers des pousses ont été balayées par les pluies. Entre 2000 et 2015, sur les 4 milliards d’arbres plantés selon les chiffres officiels, à peine 20 à 30 % d’entre eux ont survécu.
Les fruits de l’espoir
Dans les campagnes, la reforestation se conjugue désormais avec la plantation d’arbres fruitiers. Le but est de favoriser le développement économique local.
Les arbres fruitiers sont de plus en plus présents dans les programmes de reforestation à travers l’Afrique, qu’ils soient promus par des gouvernements, des organisations internationales ou des ONG. Les raisons ? Ils offrent un revenu supplémentaire aux populations rurales qui vendent les fruits, tout en enrichissant leur régime alimentaire. Ainsi, dans des villages marocains, l’association de défense de l’environnement Ibn Al Baytar (AIB) encourage les habitants à planter des citronniers, des oliviers, des palmiers, des dattiers, des caroubiers ou des amandiers. Dans onze régions du pays, 32 000 hectares d’arbres fruitiers ont été plantés durant la saison 2019/2020. 36 000 hectares sont attendus pour 2020/2021. L’association estime que cette initiative a assuré 36 000 heures de travail rémunérées. Au Sénégal, dans la région de Thiès, un agriculteur nommé Cheikh Babou a mis au point une technique pour réussir, malgré le manque d’eau, à faire pousser des plants de mangue. Comment ? En introduisant les semis dans un arbuste sauvage, le nguiguiss, ce qui leur offre une protection salutaire contre le soleil, le vent de l’harmattan ou encore les animaux errants. En Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, un nombre croissant de centres de formation agricole enseignent aux agriculteurs des méthodes comme l’enracinement, le greffage et le marcottage d’espèces indigènes. Le but est de leur permettre de produire des variétés améliorées de certains fruits, comme le safou, l’akpi, le kola amer ou encore la mangue du Gabon.
Sauver les espèces endémiques au Burundi
Lauréat du Prix National Geographic 2018, le Burundais Léonidas Nzigiyimpa a été en charge pendant 20 ans de la conservation de la nature et de la gestion des aires protégées à l’Office burundais pour la protection de l’environnement (OBPE). En 2019, il a créé l’association « Conservation et Communauté de Changement » qui œuvre au Burundi pour la protection de la biodiversité grâce à l’implication des populations. Il plaide ici pour la nécessité de sauver les espèces endémiques du Burundi en détaillant les bénéfices qu’elles apportent et la façon de les faire renaître.
Mieux gérer les aires protégées
Pour mieux lutter contre les feux de brousse et l’exploitation illégale du bois, l’Observatoire des forêts d’Afrique centrale (OFAC), une organisation inter-gouvernementale, utilise le logiciel IMET. Destiné aux gestionnaires des aires protégées, IMET permet de combiner des données relevées sur le terrain et de les interpréter. Finies les intuitions hasardeuses, IMET agit comme un révélateur des faiblesses de la gestion des réserves naturelles.
Des micro-organismes pour sauver le karité
Un karité qui fleurit au bout de seulement 5 ans contre 20 ans habituellement, c’est la prouesse réalisée par des chercheurs burkinabè de l’Institut de l’environnement et de recherches agricoles (Inera). Dans leur pays, deuxième producteur mondial du fameux beurre de karité, ils ont développé une technique expérimentale de restauration de cet arbre menacé par la déforestation. Le principe consiste à inoculer à de jeunes plants des souches de champignons mycorhiziens arbusculaires afin d’améliorer la croissance de l’arbre. Le karité, dont les fruits renferment des amandes blanchâtres, est une source de revenus importante pour la population rurale, en particulier les femmes.
Des drones pour larguer des graines
Planter depuis le ciel des bois précieux menacés comme le bois de rose, ou des arbres à croissance rapide comme l’acacia, c’est le défi que s’est lancé Madagascar. Pour cela, les autorités prévoient d’utiliser cette année une dizaine de drones. Dotés d’une caméra multispectrale associée à une télédétection par laser, ces appareils repèrent les meilleurs emplacements à ensemencer. Ils larguent ensuite de petites capsules biodégradables contenant des graines germées et des apports nutritifs. Objectif : essaimer 400 000 graines par jour, en particulier dans des zones difficiles d’accès. Madagascar compte replanter 4 millions d’hectares d’arbres d’ici 2030.
Cartographier avec les habitants
Pour préserver les forêts, impliquer les communautés locales est indispensable. Exemples au Cameroun et au Burundi.
Comment rendre accessibles des données satellitaires sur l’état de la forêt à des habitants de zones isolées dépourvues d’électricité et d’Internet ? Dans le sud-ouest du Cameroun, l’organisation non gouvernementale African Conservation Foundation partage directement ces informations (provenant de l’application open source Global Forest Watch) avec les populations sur place. À partir des données, les communautés fabriquent des cartes en carton en trois dimensions. Grâce à cette modélisation participative, les habitants peuvent ainsi affiner la connaissance de l’état de la forêt en échangeant avec des chercheurs. Et ils font évoluer les cartes en fonction de leurs propres observations sur le terrain, que ce soit sur le recul du couvert forestier ou l’étendue réelle des concessions des exploitants. Le besoin de documenter en cartographiant est d’autant plus important que la connaissance ancestrale – et non écrite – de la forêt, se perd avec le départ des plus jeunes vers les villes. Au Burundi, la communauté batwa du sud du pays est fortement impliquée dans la sauvegarde des écosystèmes forestiers de la région. Dans la réserve naturelle de Bururi, les habitants mènent des activités de démarcation des limites de l’aire protégée et de traçage et entretien du sentier pare-feu. Grâce au relevé des coordonnées GPS, ils ont contribué à la réalisation de la première carte géoréférencée du pays.
Alerter par courriel
Des arbres ont disparu ? Vous en serez informé par courriel. C’est le principe du système de surveillance satellitaire GLAD (Global Land Analysis & Discovery) créé par l’université américaine du Maryland et adopté depuis 2017 par sept pays d’Afrique équatoriale, dont le Gabon et la République démocratique du Congo (RDC). Il s’appuie sur des images haute résolution de deux satellites de la Nasa pour détecter les ravages des incendies ou de l’exploitation illégale du bois. Si le couvert forestier diminue, une alerte hebdomadaire est envoyée gratuitement aux abonnés.
Sur cette image : les alertes de déforestation GLAD en Afrique centrale entre 2015 et 2020.
Protéger les forêts sacrées
En Afrique, certaines forêts sont sacrées, à l’instar de celle d’Attiégouakro, dans le centre de la Côte d’Ivoire. Les villageois du peuple Baoulé nanafouè y vénèrent leurs ancêtres et des dieux et ils y font des sacrifices pour obtenir leur protection. Pour protéger ce lieu de la déforestation, les riverains ont mis en place un comité de surveillance. Des amendes sont infligées aux jeunes habitants qui servent de guides aux exploitants forestiers illégaux. En 2019, la Côte d’Ivoire a lancé un plan national de réhabilitation des forêts sacrées, misant sur des actions de sensibilisation, un pouvoir accru pour les chefs traditionnels et une meilleure protection législative.
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Une édition spéciale du Blob.fr, dans le cadre de la Saison Africa2020
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